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La concentration des emplois du secteur culturel à Paris et à Berlin ne permet toutefois de ne saisir qu'un aspect des dynamiques métropolitaines sous-jacentes à l'organisation spatiale des activités culturelles. La mise en réseau joue également un rôle particulièrement important dans la production et la diffusion des biens culturels. La domination économique et symbolique d'une ville en terme de production culturelle est ainsi très fortement dépendante de l'existence d'institutions et d'infrastructures de diffusion des biens et des services culturels à l'échelle globale. En d'autres termes, la présence des médias incarne ces fonctions de « passeurs de culture » à l'échelle globale La prise en compte de la présence de sociétés de médias d'envergure internationale et les liens que celles-ci entretiennent avec d'autres sociétés est un des exemples les plus récents d'analyse relationnelle de la puissance culturelle d'une métropole et vient apporter quelques nuances au constat d'une concentration de la production culturelle plus importante à Paris qu'à Berlin (Krätke, 2002; Krätke et Taylor, 2004).

Paris, dont les fonctions métropolitaines la placent, quels que soit les indicateurs retenus, parmi les métropoles les plus puissantes du monde au côté de villes globales telles que New-York, Londres ou Tokyo conserve son rang en terme de production culturelle si on considère à la fois les implantations d'entreprises des médias, mais aussi les liens que celles-ci entretiennent à l'étranger (tableau 2.1). La position de Berlin par rapport aux autres métropoles diffère, elle sensiblement selon les fonctions que l'on considère. Le niveau des activités de services que la ville propose ne permet pas, malgré les fonctions politiques de capitale qu'elle exerce depuis la réunification, de la placer au rang de ville globale (Krätke, 2002; Sassen, 1991). La conjoncture économique et sociale berlinoise font de la capitale allemande une ville en crise, très fortement marquée par la désindustrialisation dans les années 1990 ̶ de 400 000 emplois industriels en 1993 on passe à 170 000 en 1996 (Halpern et Häussermann, 2003) ̶ et par le départ de population lié à la réunification et à l'ouverture à l'Ouest. Le taux de chômage y atteint des niveaux record (13,6% de la population active en 2010, soit près du double du chiffre enregistré sur l'ensemble de l'Allemagne, qui est de 6,9% en moyenne55) et de nombreux logements restent vacants. Le secteur tertiaire peine à croître, et plus encore en ce qui concerne le tertiaire supérieur. Berlin, « capitale en attente » en 1991 (Grésillon et Kohler, 2001) reste vingt ans après une ville en crise par bien des aspects. Sa place en tant que « métropole culturelle » contribue toutefois à relativiser ce constat négatif et à attribuer à Berlin une place dominante aux côtés d'autres « villes globales ». C'est ce que montre S. Krätke en proposant une analyse de la hiérarchisation métropolitaine globale à partir de l'exemple de la production médiatique:

« Alors que Berlin n'est toujours pas une ville globale si on entend par là un centre économique aux capacités de contrôle globales ainsi qu'un centre de services stratégiques (Krätke et Borst 2000), c'est par contre une ville globale de premier rang si l'on considère son rôle dans le secteur médiatique, en qualité de centre créatif pour une production culturelle et une industrie des médias de portée et d'influence internationales. »56(2003 : 619).

S. Krätke considère la position de Berlin au prisme de la connectivité des firmes berlinoises en matière de production et de diffusion médiatique. Berlin, qui n’apparaît pas dans les classements du GaWC comme une ville globale de premier rang (cf. tableau 3.1 : elle est classée comme une 55 Source: Statistisches Bundesamt et Statistisches Landesamt Berlin, 2010.

56 « while Berlin is still not a global city when defined as an economic centre with global "control capacities" and as a centre of strategic corporate services (Krätke et Borst 2000), it is a first-rank global media city in terms of being a creativity centre for cultural production and the media industry with a worldwide significance and impact. »

métropole de rang B), y figure si l'on considère à la fois le nombre d'entreprises internationales des médias comme Universal, et les liens internationaux que celles-ci entretiennent avec d'autres métropoles.

Tableau 3.1: Population et économie métropolitaine: quelques ordres de grandeurs

Paris (Unité urbaine) Berlin (Land) Superficie en km² 2723 dont 105 pour ParisIntramuros 891

Population Nombre d'habitants

11 899 544, dont 2,2 millions pour

Paris intramuros

3 459 218 dont 1,7 millions pour l'Innenstadt57

Densité (en hab/km²) 3745 3879

Économie

PIB (en milliards d'euros) 552,0558 94,72

Rang mondial selon le PIB 6 69

Rang métropolitain selon le

GaWC59 4, Alpha+ 55, Beta

Rang métropolitain du point de vue culturel et

médiatique 3, Alpha 6, Alpha

Sources: INSEE, 2007, Amt für Statistik Berlin-Brandenburg, Senatverwaltung für Stadtentwicklung, Pricewater House Coopers, 2009, Krätke, 2003

Paris et Berlin se placent toutes deux comme des métropoles culturelles de premier rang compte tenu de l'importance économique de ce secteur pour les deux villes et leur puissance dans les réseaux mondiaux. La production culturelle s'appuie dans les deux cas sur une organisation spatiale à l'échelle métropolitaine qui invite à mettre en regard les contextes urbains parisiens et berlinois. La tendance générale est de souligner l'importance de la concentration de la production culturelle. La localisation des pôles de productions culturelles dépend toutefois d'une organisation géographique des espaces urbains marquée par des trajectoires fortement différentes.

Dans le cas parisien on voit nettement se dessiner une opposition entre l'Est et l'Ouest de la métropole (carte 3.3). Les industries culturelles sont concentrées dans l'Ouest de la métropole et s'étendent des arrondissements centraux aux Hauts-de-Seine (Camors et Soulard, 2006). Quelques pôles apparaissent de façon plus éparse formant une dissémination en axes à partir de la concentration occidentale, vers le Nord-Est et le Sud, et de façon plus éclatée en grande couronne. Ces grands traits font entrevoir une concentration sectorielle sur des territoires restreints pour les secteurs de la radio dans les 16e et 8e arrondissements, du cinéma dans le Nord-Est parisien, de la télévision et de la presse dans le 15e arrondissement vers Boulogne-Billancourt et Issy-les-Moulinaux, un second pôle « presse » centré sur les 8e et 2e arrondissement et un pôle « livre » centré sur le 6e arrondissement. L'imprimerie est localisée de façon plus éclatée et on retrouve cette activité en Grande Couronne. Si on considère plus largement les activités dites créatives dans Paris intramuros, on retrouve, outre les concentrations mises en évidence par C. Camors et O. Soulard, un 57 On compte 4, 3 Millions d'habitants pour la région métropolitaine Berlin-Brandenburg en 2010.

Le terme « Innenstadt », « ville intérieure » en allemand correspond aux espaces urbains les plus densément bâtis et les plus peuplés. Il n'existe pas de limites administratives à l'Innenstadt berlinoise mais elle est traditionnellement circoncise aux limites du « Ring », la ceinture de S-Bahn entourant les quartiers centraux.

58 Données pour la Région Île-de-France en 2009

59 Source: GaWC 2008. Le classement métropolitain du GaWC s'échelonne de Sufficiency à Alpha+ avec une déclinaison des trois catégories supérieures Alpha, Beta, Gamma, en sous-catégories, Alpha -, Alpha, Alpha +, Alpha ++ par exemple.

pôle « mode et design » dans les 2e et 3e arrondissements (Scott, 2000b). Au regard de l'organisation spatiale et économique de ce secteur, on peut parler dans le cas parisien de clusters où se côtoient des acteurs à la taille et au rôle différents, allant des petits producteurs aux multinationales. Ces concentrations s'expliquent par une tendance au regroupement génératrices d'économies d'agglomération dans les arrondissements centraux où l'offre commerciale est la plus diversifiée et dans les pôles spécialisés plus récents offrant des services rares. C'est le cas des médias autour de Boulogne-Billancourt ou de l'industrie cinématographique autour de la plaine Saint-Denis. Elles résultent aussi des politiques incitatives comme dans le cas des avantages fiscaux qu'offre une implantation dans les Haut-de-Seine par exemple. Elles s'expliquent enfin par l'importance des débouchés sur un marché parisien ; le budget consacré à la consommation culturelle par les ménages parisiens étant en moyenne supérieur de 4,8 points à celui des ménages du reste de la France60.