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2 Les lieux de l'art contemporain au défi d'un recensement

2.2.3 Diversité des temporalités

La visibilité des lieux, les dynamiques urbaines dans lesquels ils s'inscrivent dépend des temporalités, historiques et événementielles qui les caractérisent. Pour prendre la dimension temporelle en considération, la longévité des lieux a été qualifiée ainsi que la durée des événements.

La date de création des lieux permet tout d'abord de différencier les lieux en fonction de leur caractère plus ou moins récent et de mettre en regard histoire des lieux et histoire des espaces urbains. Pour prendre en compte cette dimension, nous avons relevé systématiquement les dates de création des lieux d'exposition. A partir de cette information, les lieux ont été classés en fonction de leur longévité, des lieux très récents aux lieux les plus anciens. Les lieux ont été répartis en cinq classes dont les seuils ont été fixés à un, trois, dix et vingt ans (encadré 2.3). La méthode de discrétisation détaillée dans l'encadré met en évidence les différentes étapes de définition de ces bornes, de la construction des classes à la classification finale.

Si on observe les résultats de la classification (tableau 3.12), on s'aperçoit que les lieux d'exposition créés depuis moins de dix ans représentent près des deux tiers des lieux recensés à Berlin, moins de la moitié à Paris. Le nombre de lieux créés depuis 20 à 50 ans est en revanche nettement supérieur à Paris. Ces résultats mettent en évidence à la fois le dynamisme actuel de Berlin et la stabilité de Paris sur la scène de l'art contemporain mais aussi des phases pour chaque ville de son activité artistique. La multiplication des lieux d'exposition à Berlin depuis une dizaine d'années traduit l'installation progressive des acteurs du marché de l'art dans la jeune capitale allemande où le nombre d'artistes va croissant et où l'espace disponible à la suite de la chute du Mur en 1989 est bien plus important

que dans d'autres villes allemandes et européennes. On peut également faire l'hypothèse d'un renforcement de la place de Berlin comme capitale culturelle par la diversification de ses fonctions : de ville de création jusque dans les années 2000 (Grésillon, 2002), le nombre croissant de lieux d'exposition peut aussi traduire son passage vers un centre de diffusion artistique plus affirmé, rattrapant progressivement d'autres métropoles culturelles telles que Paris ou Londres. L'importance des lieux d'exposition relativement anciens à Paris – plus du tiers des lieux recensés existe depuis plus de 20 ans – montre que la puissance actuelle de Paris du point de vue artistique s'appuie sur une tradition plus longue de développement des lieux d'exposition d'art contemporain. Cette puissance reste d'actualité et la scène parisienne continue à se développer, en témoigne les quelques 40% des lieux recensés qui datent de moins de dix ans. La scène artistique parisienne a en effet connu un renouveau important après que de jeunes galeries et des lieux d'exposition novateurs comme les galeries de la rue Louise Weiss ou Béton Salon, qui participent du renouveau de la vaste zone de projet urbain Paris Rive Gauche, se sont développés depuis la fin des années 1990 et ont pris le relais des pionniers des années 1960 et 1970. La date de création des lieux et le regroupement de ceux-ci en fonction de leur ancienneté permet de saisir des tendances historiques de développement de la scène contemporaine. La durée des événements artistiques offre un indicateur des temporalités présentes dans lesquelles s'inscrivent les lieux par le biais des expositions qui sont organisées.

Encadré 2.3 : Discrétisation de la variable « Longévité »

Les seuils d'une classe permettant de résumer l’ancienneté des lieux d'art ont été définis à partir des informations statistiques et de connaissances empiriques. L'observation des quartiles permet dans un premier temps de saisir les bornes « naturelles » des distributions parisienne et berlinoise et de les comparer. On peut voir que les trois premiers quartiles berlinois sont inférieurs aux valeurs parisiennes, ce qui traduit des lieux en moyenne un peu plus récents à Berlin qu'à Paris. Sur l'ensemble de la distribution, on retrouve un premier quartile à trois ans d'existence, borne qui permet de tenir compte de lieux très récents. Les seuils mentionnés sont ensuite dix et vingt ans, qui correspondent presque exactement aux bornes de la médiane et du troisième quartile de la distribution de l'ensemble (tableau a). Deux bornes ont enfin été ajoutées à dix et cinquante ans, qui permettent d'affiner le résumé statistique et constituent des seuils historiques importants : 1990 est en Allemagne l'année de la réunification, et 1959, celui de la naissance du Ministère de la Culture en France, qui marque une date importante dans l'organisation des politiques culturelles européennes. Les bornes interclasses fixées à trois, dix, vingt et cinquante ans rendent toutefois le poids des classes inégal et il en résulte une classe des lieux ayant entre trois et dix ans d'ancienneté plus importante que les quatre autres. On observe en effet des distributions nettement dissymétriques à gauche (graphique a), ce qui traduit une concentration des lieux d'exposition les plus récents et une dispersion des lieux les plus anciens aussi bien à Paris qu'à Berlin. Cette répartition inégale traduit une réalité de la distribution mais aussi de la nature même des individus statistiques pris en compte, les lieux d'art contemporain ayant connu une croissance importante au cours des vingt dernières années et le turn-over étant dans ce secteur particulièrement important.

Tableau a. Dates de création des lieux d'exposition

Longévité (en nombre

d'années) Berlin

Longévité (en nombre d'années)

Paris

Longévité (en nombre d'années)

ensemble Minimum 0 0 0 1er quartile 3 5 3 Médiane 5 12 8 3ème quartile 14 24 20 Maximum 314 217 314 Moyenne 14,8 20,2 17,3 Écart-type 31,2 26 29

Nombre de lieux renseignés 326 281 608

Nombre de lieux non renseignées 81 60 140

Graphique a. Distribution des lieux selon la variable « Longévité »

Source : Base de données de l'auteure. Détail cf. tableau 3.3

0 50 100 150 200 250 300 0 50 100 150 200 250 300 Nombre de lieux F q u en ce

Tableau 3.12 : Longévité des lieux

Longévité des

lieux Paris Berlin

Nombre de lieux % (sans les lieux non

renseignés) Nombre de lieux % (sans les lieux non

renseignés) 0-3 ans 28 10 63 20 3>10 ans 91 33 152 47 10>20 ans 61 22 52 16 20>50 ans 74 27 39 12 <50 ans 23 8 16 5 Non renseignés 61 0 85 0 Total 338 100 407 100

Source : Base de données de l'auteure. Détail cf. tableau 3.3

La durée des expositions a ensuite été utilisée pour saisir le type d'événements organisés et donner une indication des temporalités dans lesquelles les lieux s'inscrivent par ce biais. La durée d’exposition varie en effet selon le type d'événements organisés et influe sur la visibilité des lieux. Comme dans le cas de la longévité des lieux, les durées d'exposition ont été réparties en différentes classes. Une méthode similaire a conduit à déterminer les bornes des classes de durée, à partir de 615 lieux pour lesquels une durée moyenne d'exposition en janvier 2010 a été calculée (tableau 3.13). La première classe correspond aux lieux organisant, en moyenne, des expositions d'une durée inférieure à deux mois, inscrits dans des temporalités à court terme. La seconde classe qualifie les lieux organisant des expositions durant de deux à six mois caractérisés par une temporalité à moyen terme, la troisième qualifie les lieux organisant des événements longs et la dernière ceux dont les événements sont de durée variable. La répartition des lieux en fonction de la temporalité des événements montre que presque tous les lieux d'exposition d'art contemporain organisent des événements d'une durée inférieure à six mois (tableau 3.13). Si la durée moyenne des expositions est légèrement supérieure à Berlin par rapport à Paris (1,8 mois pour 1,6 mois), la durée des expositions est plutôt courte et souligne la rotation importante de ces dernières dans les lieux parisiens et berlinois. L'événementiel joue un rôle important dans l'attractivité des lieux d'art contemporain où la concurrence est d'autant plus importante que la densité dans une ville est forte. Certains lieux organisent des expositions plus longues et il s'agit surtout des musées et des institutions importantes. Des lieux comme les écoles d'art ou les ateliers d'artistes enfin, qui organisent des événements de manière irrégulière et de durée variable, font partie des lieux dont on a qualifié la durée moyenne d'exposition de variable.

Tableau 3.13 :Durée moyenne des expositions

Temporalité des

événements Paris Berlin

Nombre de

lieux % (non renseignés)sans les lieux Nombre de

lieux % (sans les lieux nonrenseignés)

<2 mois 131 46 130 34 2>6mois 131 46 210 54 >6mois 6 2 15 4 Durée variable 16 6 33 8 Non renseigné 54 0 19 0 Total 338 100 407 100

Source : Base de données de l'auteure. Détail cf. tableau 3.3

Les différentes variables que l'on vient de définir permettent de caractériser la nature et les activités des lieux d'exposition d'art contemporain. Associées, elles définissent le profil d'un lieu en fonction de sa spécialisation que l'on étudiera de manière synthétique dans le chapitre suivant. Un second type de variables a ensuite été défini avec pour objectif de mettre en évidence les réseaux géographiques dans lesquels les lieux recensés se trouvent intégrés.