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213 Eléments complémentaires de mise en perspective

Les thèmes développés par Didier Mouturat dans plusieurs éditoriaux de brochures apportent de nouveaux éléments d'orientation et d'appréciation, qui nous ramènent à leur manière à la double question de l'artistique et de l'esthétique, question paradoxalement souvent fort peu abordée dans les débats sur les politiques ou projets culturels.

A - Dans la brochure de la saison 96/97 : "J'ai vraiment ressenti parfois que le théâtre

(ou tout autre art de la scène) avait le pouvoir de laisser percer "l'étincelle de vérité" : l'instant où tout est juste ; où l'acteur capitule dans le combat qu'il mène pour rejoindre le présent et laisse enfn le présent venir à lui ; (...) où les passions, mêmes les plus violentes, laissent un goût de silence et ouvrent la porte à des échos sans fn ; où le spectateur, dans une ivresse très calme, se sent à la fois témoin et partie prenante de la fuite du monde et du courant d'énergie qui nous mène de la vie à la mort.

Dans chaque nouveau spectacle, c'est cela que je cherche. Je suis à l'affût de cette sensation si rare et inoubliable, qui n'est pas du même monde que les habituelles appréciations que je peux porter sur tel ou tel ingrédient qui compose une création.

De plus en plus aujourd'hui, la quête de cet instant ressemble à une utopie d'enfant. C'est pourtant cela que je cherche à offrir en partage au public ; comme un lieu de rencontre intime dont personne ne serait exclu" (5a/1).

Dans le premier numéro (novembre 1996) de la nouvelle formule de Post-Scriptum, brochure thématique à propos d'un thème particulier de la saison (pour ce numéro, la danse et singulièrement le travail de Jennifer Muller), une tension est mise en exergue : "Quand l'artiste a signé un spectacle, de combien d'ajouts de toutes sortes ne sommes-nous pas responsables nous autres spectateurs ? Involontairement, nous faisons nous aussi oeuvre d'auteur, tant sont particulières à chacun nos manières de voir et entendre (...). Mais ces ajouts, ces mirages qui n'appartiennent qu'à nous-même, ne sont-ils pas aussi la marque de notre manque de disponibilité intérieure, le témoin de tout ce qui empêche en nous le silence sans lequel l'intention de l'artiste, dans sa totalité, n'est pas perçue. C'est la même oeuvre (...) livré(e) là, au même instant à tous les spectateurs présents dans la même salle obscure. Si je pouvais, voir, entendre, ressentir au travers du prisme des sensations de mon voisin, je découvrirais sans aucun doute un autre spectacle, un autre monde" (6a/1).

Ou encore, en lien avec la création au printemps 1998 de "Joseph K" par l'AIRCT (voir § 322 et 327 B) : "Pour le spectacle vivant, le déf est sans doute le plus périlleux. Il est l'art de l'instant. L'humeur, la disponibilité, la préparation, l'attention des uns et des autres, sont les ingrédients sans cesse mouvants qui prévalent pour traverser sans encombre l'aventure à

haut risque que constitue cette rencontre entre l'artiste et le public : la représentation, instant unique, impossible à vraiment reproduire tant il dépend de cet accord tellement fragile, sans cesse compromis, entre l'énergie de ceux qui jouent et l'énergie de ceux qui assistent.

C'est cette petite fragilité là qui est le sel du théâtre, de la musique ou de la danse, de tout ce qui se joue dans l'instant, de tout ce qui risque la compromission dans le feu de la rencontre. C'est cette petite fragilité là qui a le vrai pouvoir de modifer de fond en comble la vie de chacun.

(...)

L'artiste meurt s'il n'a personne à qui "parler", et le public, au frottement de l'artiste, se souvient de ce qu'il a d'essentiel à se dire à lui-même" (5a/5).

B - Dans la brochure 97/98 : "Il est encore aujourd'hui des sociétés qui, bien que

subissant l'infuence partout rampante du modernisme et de ses lois économiques, conservent un lien avec l'histoire de leurs origines. C'est sur les mythes fondateurs qu'ils forgent l'identité qui leur permet de résister à la mondialisation des âmes et au clonage des esprits (...). Dans la langue de certaines de ces sociétés, les mots arts et artiste n'existent pas. Il n'y a pas de profession dans ce domaine (...).

Nous avons fait le choix sans retour d'idolâtrer le couple des dieux production et consommation, et nous avons élaboré pour en garantir l'effcacité, des systèmes et des corps de métier qui se ressemblent parfois étrangement qu'il s'agisse d'art ou de fastfood.

La contemplation quant à elle, nous l'avons reléguée au programme de nos vacances. Voilà pour le constat !...

Il n'y a pourtant pas deux mondes à opposer. Il n'y a pas de position ferme à tenir. Il n'y a pas de nouvelle guerre à déclarer. Mais il y a peut-être à prendre du champ par rapport à nos manières d'être et de faire, à accepter de laisser se fssurer quelques unes des certitudes qui ont engendré tant de nos habitudes.

Plus que dans l'affrmation des réponses qui nous réconfortent, il me semble que c'est dans les questions sans cesse réouvertes comme des plaies vives que de nouveaux petits big- bang régénèreront nos manières de représenter le monde sur la scène du théâtre, et de le partager entre nous.

Si ce sont là des enjeux trop grands pour nous, nous prétendons y travailler pourtant, à la modeste mesure de notre théâtre, dans notre ville" (5a/3).

C - Dans la brochure 98/99 : "La saison d'un théâtre n'est pas forcément une addition

de spectacles, elle peut être parfois comme un voyage à entreprendre, qui d'escale en escale suit le fl de l'étonnement (...).

Tout au long de l'année, nous emprunterons des "chemins de traverse" pour fâner d'un spectacle à un autre. Des rencontres qui auront lieu au théâtre, au bar de la Marine, ou ailleurs : rencontres avec les artistes, comédiens, conteurs, metteurs en scène, mais aussi, rencontres entre vous, entre nous " (5a/4).

Mais aussi, en exergue de la création à l'automne 1998 de "Comme il vous plaira" par la compagnie Terrain Vague - Titre Provisoire : "Signes des temps sans doute, le théâtre est de moins en moins souvent fabriqué par des compagnies, mais de plus en plus par des metteurs en scène. Ils sont les maîtres incontestés d'un processus de création auquel les acteurs ne sont associés que ponctuellement pour les besoins de la production d'un spectacle.

Il est devenu impossible aujourd'hui, d'entretenir une compagnie permanente dans des conditions normales et cela, sans doute, n'est pas sans conséquence sur le plan artistique.

Quand une équipe est réunie, elles ne l'est que d'une façon précaire. Elle est condamnée à produire dans les délais les plus courts imposés par des conditions économiques draconiennes. La tentative, l'expérimentation, la recherche sont alors interdits. Il faut créer de toute urgence et si possible avec succès, en répondant au mieux aux attentes d'un marché culturel qui a défni des normes auxquelles il n'est pas question de déroger "sous peine de mort".

Les quelques compagnies permanentes qui résistent, en dehors des grandes institutions, le font avec les énergies de la jeunesse et de l'utopie, dans des conditions d'une telle précarité qu'on est plus près de l'exercice d'un sacerdoce que d'une profession.

Aussi, ce n'est pas un hasard si les deux créations que le Théâtre Paul Eluard a choisi de soutenir cette année, sont celles de deux très jeunes compagnies" (5a/5).

D - En introduction d'un texte, toujours écrit par D. Mouturat et qui a servi de

détonateur à la réfexion d'artistes pour un prochain numéro de Post-Scriptum consacré aux processus de création (21a) :

"Les directeurs de Théâtre et leurs équipes sont au carrefour de l'offre artistique, au moins celle qui concerne le spectacle vivant. Les propositions (...) sont légions. Leur nombre et leur diversité peuvent apparaître comme le signe positif de la créativité d'une époque, et renseignent au moins, pour qui veut bien y prêter une attention plus fne, sur sa mentalité, sur ses inquiétudes, sur ses fantasmes.

Comment faire le tri indispensable ? Comment tenter d'y voir un peu plus clair, pour opérer en meilleure connaissance de cause, les choix qui détermineront la cohérence des lignes de force d'un programme de saison ?

Les artistes, "condamnés" à produire avec une certaine régularité pour exister (...) n'ont pas d'autre choix que de tenter de séduire les directeurs de théâtre qui disposent du privilège suspect de décider de leur rencontre avec le public.

(...)

Dans ce contexte, CREER, C'EST QUOI ?..."

Dans le texte envoyé à des artistes accueillis ou non au TPE, et qui propose à chacun de réagir autour de la question de la création - "terminologie qui porte d'ailleurs en elle même une conception particulière de ce qu'elle désigne, et que certains contestent" :

"Cette question peut se décliner de différentes façons :

Qui chez l'artiste prend la décision de créer ? S'agit-il d'obéir à une nécessité intérieure, à une pression connue ou inconnue, maîtrisée ou non ? S'agit-il de répondre à une fonction sociale ? Faut-il pour engager un processus de création prendre préalablement en compte la réalité d'un public et les enjeux d'un environnement social, ou bien faut-il laisser libre cours à toutes les impulsions subjectives ?

Quelle est la bonne mesure pour les théâtres et les lieux culturels de la prise en compte de la réalité politique dont ils dépendent, et du contexte social et économique de leur implantation ?

Comment se situer...

Entre ceux qui prétendent que l'artiste est le seul créateur, et ceux qui considèrent qu'il n'est que le siège d'un processus dont les forces le dépassent.

Entre ceux qui soutiennent

Que certains ont du talent, mais que tous ont du génie !...

(...)

Et les autres scandalisés qui répondent Que la seule vérité c'est celle de l'artiste !...

(...)

Les uns et les autres font-ils le même métier ? ... Car au delà du talent et du génie éventuels, il y a bien un savoir faire, un artisanat qui occupe une fonction sociale.

Entre ces deux attitudes et bien d'autres, l'artiste d'aujourd'hui se cherche, et le monde l'attend (le monde... la part du monde qui en a encore le loisir et le luxe). Les dieux de la foi et de l'idéologie sont oubliés, et plus rien n'incite l'homme à encore croire en plus grand que lui. Il en conclut cette terrible et inévitable évidence : il est désormais seul au monde et ne peut croire en autre chose qu'en lui-même.

Cette évidence ne fait peut-être pourtant que traverser une époque, car elle contredit des siècles d'histoire".

Au bout du compte, une façon de reposer explicitement quelques questions incontournables après plus d'un siècle d'art moderne, dont celles touchant à l'importance et au rapport relatifs entre la force et la singularité intentionnelles de l'oeuvre artistique d'une part, l'intensité, la variété et la plasticité de l'expérience esthétique des publics d'autre part. Ou encore, entre l'incontournable dépendance socio-économique des artistes à

leurs commanditaires publics et à leurs publics proprement dit d'une part, leur capacité à continuer à nous ouvrir à une sensibilité renouvelée à l'homme et au monde d'autre part.

Reste que les dimensions abordées lors d'un Conseil d'Administration de décembre 1998, sans qu'elles soient en soi contradictoires avec ce qui précède, désignent bien les

préoccupations pragmatiques et directes des administrateurs à propos de la programmation

et des moyens mis en oeuvre de la saison en cours : "La plaquette de saison était-elle suffsamment attractive ? La communication sur chaque spectacle est-elle suffsante ? Quelle est "l'image" du lieu dans la population ? La programmation est-elle élitiste, pas assez variée ? Doit-on tenir compte de l'avis donné par ceux qui ne viennent jamais (aux représentations) ? Quelles sont les contraintes de la salle (350 places) en termes de programmation et de politique fnancière ? Doit-on modifer la politique tarifaire lorsque l'on mesure les diffcultés sociales et économiques de la population ? Quels sont le rôle, la place et les résultats de l'action culturelle en direction des scolaires et des milieux défavorisés ? Pourquoi est-il important qu'un lieu comme le TPE continue à "fabriquer" de la culture y compris pour au delà de la commune ?" (2a/6).

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