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Déduction pour une norme d’aménagement

3. La disjonction mentale de l’homme et du monde : condition et défis de l’homme urbanisé

3.3. Le paradigme de la durabilité : vers une re-conjonction mentale de l’homme et du monde ?

3.3.4. Durabilité de l’habitation urbaine et raison pratique géographique

3.3.4.2. Déduction pour une norme d’aménagement

Au delà de ces remarques beaucoup trop générales, en nous situant maintenant à l’échelle des grandes villes de la Suisse romande, quelles indications pratiques peut-on déduire des constats dressés jusqu’ici, eu égard en particulier à la question de l’étalement urbain, d’une part, et aux problèmes de santé publique en milieu urbain, de l’autre ? Quel principe directeur faudrait-il inscrire dans un plan général d’affectation du sol censé donner les orientations urbanistiques pour les années à venir ?

Convaincu, d’une part, que l’éloignement et l’occultation des catégories du naturel, situation caractéristique de la condition de l’homme urbanisé telle que cet essai s’est efforcé de la décrire, prive l’habitant des villes d’une ressource importante pour son bien être physique et psychique ; et, de l’autre, persuadé que, malgré les nombreuses critiques possibles, le paradigme du développement durable représente une opportunité à ne pas négliger pour limiter les conséquences de l’étalement urbain ; le géographe appelé à se prononcer sur une ligne de conduite en matière d’aménagement se trouve confronté à un dilemme qu’il se doit de résoudre.

Formulée avec le lexique de l’économiste, la question consiste en un problème de maximisation sous contrainte. L’aménagement en milieu urbain doit permettre le contact de l’habitant des villes avec les éléments “ naturels ” du monde. Les contraintes de durabilité imposent cependant la minimisation des coûts collectifs, financiers et écologiques, générés par la présence humaine dans le milieu et, partant, la limitation de l’étalement urbain sur le territoire, ce qui signifie nécessairement l’augmentation de la concentration du peuplement.361

La seule solution qui permet de concilier la maximisation de la présence d’éléments naturels en ville avec l’augmentation de la densité de population consiste à développer la ville dans la dimension verticale. Autrement dit, c’est la minimisation des coefficients d’occupation du sol qu’il convient de viser, en ajoutant quelques étages aux projets de nouvelles constructions ou lors de la rénovation des édifices existants. Pour banale qu’elle soit, la solution dans le sens d’une augmentation verticale de la taille des édifices n’est pas moins spectaculaire lorsqu’on détaille quelques chiffres sur l’intensité de l’emprise au sol qu’elle occasionne.

Imaginons, à titre d’illustration, de disposer d’une parcelle de 5'000 m2 de surface constructible. Un projet prévoit d’édifier 4 bâtiments carrés de 25 m de côté et de 5 étages chacun, un gabarit usuel dans nos villes romandes. Au total, ce sont 12'500 m2 de surface

361 Pour une discussion détaillée de la notion de densité, voir : Pascal Amphoux (éd.), La densité urbaine : du

programme au projet urbain, Institut de recherche sur l’environnement construit, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, Rapport de recherche no 142, janvier 1999, Lausanne.

habitable qui permettent d’offrir sur le marché 100 logements de 125 m2 chacun.362 Supposant

une moyenne de 2.5 personnes par logement, ce projet pourrait accueillir 250 habitants, soit une disponibilité de 25 m2 par habitant, valeur que l’on rencontre fréquemment en milieu urbain dense. Les 4 bâtiments prévus par ce projet généreraient cependant une emprise au sol importante, puisqu’ils occuperaient au moins la moitié de la parcelle disponible.

Un deuxième projet propose de construire un seul bâtiment pouvant accueillir, dans des logements de taille identique, le même nombre d’habitants prévus par le premier. Pour ce faire, et en supposant que cet édifice n’occupera que la même surface au sol d’une des constructions du premier projet, il faudra le bâtir sur 20 étages. Pour une densité de population égale, l’emprise au sol ne représenterait alors que 12.5 % de la surface de la parcelle disponible, soit 4 fois moins que dans le premier cas de figure. Les habitants du deuxième projet pourraient ainsi disposer d’un petit parc de quelque 4'000 m2 alors que les premiers auraient à se contenter d’un aménagement non bâti de 2'500 m2 dont une partie importante serait consommée par les voies d’accès. Aussi caricatural qu’il soit, cet exemple illustre les termes de l’enjeu et indique simplement l’orientation souhaitable en matière de développement urbain suisse, si l’on admet pour bien fondé le diagnostic du problème tel que nous l’avons formulé en conclusion de notre essai.

Au demeurant, les chambres immobilières, les promoteurs, les édiles, les bureaux d’études et les autres acteurs concernés pouvant peser sur l’appareil institutionnel qui dicte les règles à respecter en matière de construction savent bien - ou sont censés le savoir - que le processus de révision d’un plan directeur est une opération longue. Depuis les premières études, en passant par les diverses phases de consultation, une période d’environ deux lustres s’écoule jusqu'à l’adoption du document définitif par le conseil législatif compétent. La démarche institutionnelle caractéristique de notre pays rend de surcroît difficile l’émergence de solutions audacieuses aux problèmes publics d’envergure, car le processus de recherche d’un consensus suffisamment large pour accorder les intérêts particuliers tend naturellement à retenir le principe de la continuité dans la réforme.

Engager un processus volontariste de re-territorialisation du domaine urbanisé en Suisse romande est une démarche qui s’inscrit dans l’horizon d’au moins une génération. En admettant une certaine dose d’optimisme, on peut estimer qu’une vingtaine d’années ne seront pas de trop pour sensibiliser les édiles et le public au sujet des coûts collectifs et de la charge fiscale corrélative qu’exige la forme actuelle du développement urbain, très gourmand en quantité de sol utilisé, avec les conséquences qu’il implique, notamment à cause de l’emprise du véhicule individuel, de la protection de l’air, de la consommation de carburants et de toute une série de nuisances que les principes du développement durable voudraient maîtriser. Des temps plus

362 Ces chiffres sont évidemment des estimations grossières qui ne sauraient nullement satisfaire les critères usuels

de calcul appliqués par les architectes-urbanistes de nos services compétents. Ils n’en gardent pas moins leur pleine valeur démonstrative à des fins d’argumentation.

longs ne sont pas à exclure, car un important problème institutionnel reste pour l’heure entier et pèse significativement sur la possibilité d’adopter des choix un tant soit peu contraignants.

L’échelle de référence pour la question du devenir urbain en Suisse est en effet celle de la région. Or, malgré quelques démarches intéressantes, telle l'expérience fribourgeoise, le pouvoir politique reste l’apanage des communes et des cantons concernés, la Confédération n’intervenant que pour imposer quelques conditions lors de l’attribution des enveloppes financières de sa compétence en matière de trafic d’agglomération. Une critique étayée des modalités d’intervention urbanistique dans les grandes villes romandes sort toutefois du champ couvert par le présent essai, situé largement en amont d’une analyse de cas circonscrits.

A la lumière de la problématique ici développée, on peut noter au passage que les autorités municipales genevoises semblent bien poursuivre des options d’aménagement relevant avant tout de la dimension de la sociabilité, alors que des réservoirs existent pour des micro- interventions susceptibles de reverdir à des coûts non exorbitants plusieurs portions des quartiers populaires de la ville. De fait, comme en témoigne l’exemple récent de l’aménagement de la place de la gare Cornavin, l’administration et les édiles tendent à choisir des interventions privilégiant des aménagements réalisées avec des matériaux minéraux et métalliques, plutôt que par des éléments végétatifs. Au demeurant, on est parfois tenté de ressentir une certaine lassitude devant les frictions qui se produisent entre les autorités cantonales et celle de la ville sur de nombreux dossiers d’aménagement.

L’exemple de l’agglomération lausannoise illustre bien la difficulté de parvenir à des choix d’orientation lorsque le territoire de référence englobe plusieurs entités institutionnelles distinctes. Le principe de l’autonomie communale subsiste en effet comme facteur agissant trop souvent dans le sens d’un frein à l’émergence de solutions d’agglomérations. Des questions de péréquation financière et la crainte d’une perte de pouvoir tendant à figer les débats. Malgré le travail patient de nombreux édiles, la région lausannoise n’évolue que lentement dans le sens d’une conscience collective d’agglomération. Le problème est rendu encore plus compliqué par la variété des concepts opérationnels définissant l’agglomération, ces derniers changeant selon les institutions concernées, la Confédération se référant à la définition de l’Office fédéral de la statistique qui englobe Morges et ses communes limitrophes, alors que l’association des communes de la région lausannoise ne regroupe qu’une partie des communes retenues par la définition fédérale. Les services administratifs du canton interviennent pour leur part avec un angle d’approche encore différent, puisqu’ils ont à respecter le principe d’équité de traitement envers toutes les communes vaudoises.

Quel que ce soit le niveau institutionnel auquel les acteurs concernés sont rattachés, il est probable qu’un modèle institutionnel plus proche de la communauté urbaine à la française faciliterait le processus décisionnel, en conférant des pouvoirs à la présidence de l’institution d’agglomération pour permettre de forcer quelques blocages.

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