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Les constats effectués à l’occasion des contrôles du CGLPL

Les constats effectués par le CGLPL mettent en évidence des difficultés qui résultent d’un durcissement de la politique migratoire.

3.1.1 Les centres de rétention administrative

La situation des CRA est variable d’un lieu à l’autre : elle est étroitement dépendante de l’état de l’immobilier, mais les centres de rétention en état indigne sont malheureu-sement les plus nombreux. Un seul des six centres visités depuis le début de l’année ne mérite pas ce qualificatif.

Les points faibles de la prise en charge sont fréquemment les mêmes : – une hygiène déplorable ;

– des locaux trop exigus, même lorsqu’ils sont installés dans des enceintes de police très vastes ;

– une sécurisation de type carcéral ;

– l’absence de respect de l’intimité (respect des espaces réservés aux femmes par les policiers, isolement des toilettes) ;

– l’absence d’accès à l’air libre ou un accès soumis à la disponibilité des équipes de police ; – une prise en charge médicale aléatoire pour le somatique et inexistante pour le

psychiatrique ;

– des pratiques exagérément restrictives en matière de communications ; – l’absence quasi-totale d’activités.

Ces visites, qui sont toujours des secondes ou troisièmes visites, ne montrent pas d’amélioration notable de la situation, même s’il arrive que, pour des raisons locales, notamment un changement de hiérarchie, une situation s’améliore ou se dégrade de manière rapide.

1. La liste complète des établissements visités en 2017 est dressée à l’annexe 2 du présent rapport.

2. De Roissy vers Tunis, de Lille vers Tirana, de Roissy vers Helsinki et de Bâle-Mulhouse vers Erevan.

3. De Marseille vers Alger.

Le respect du droit à l’information et l’aide des personnes retenues à l’exercice de leurs droits appellent également des réserves de la part du contrôle général. Les constats faits par le CGLPL sont variables, mais permettent d’identifier quelques faiblesses récurrentes :

– les policiers n’ont pas toujours une connaissance suffisante des droits qu’ils sont chargés de faire respecter ;

– la notification des droits et l’information sont souvent formelles ;

– la question de la langue est souvent mal prise en compte (interprètes non disponibles, traductions par téléphone, recours aux autres personnes retenues pour traduire, imprimés en langues étrangères non disponibles localement, etc.) ;

– la liberté de mouvement des associations au sein des centres et l’accès des personnes retenues à ces dernières ne sont pas toujours optimaux.

La prise en compte des observations du CGLPL par la direction générale de la police nationale est faible. Elle se heurte pour l’essentiel à une difficulté qui n’est pas différente de celle observée dans les commissariats de police : l’indigence des crédits de fonc-tionnement de la police. On doit y voir la cause de la dégradation des équipements, de l’exiguïté des locaux, de l’insuffisance d’entretien ou de l’absence d’activités.

Les conditions de fonctionnement des centres sont la plupart du temps conformes aux prescriptions – très minimalistes, car il ne s’agit que de normes d’équipement – de l’art. R 553-3 du CESEDA, mais on peut déplorer qu’il n’existe ni instruction plus précise sur les modalités de fonctionnement des centres ni véritable formation des poli-ciers qui y sont affectés. Ces deux outils permettraient en effet de favoriser une approche plus respectueuse des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, alors que les policiers, sur le fondement de leur formation générale, tendent à adopter une vision exclusivement sécuritaire de leur fonction.

Le nombre de placements en CRA de familles avec enfants est une préoccupation majeure du CGLPL. Toute mesure doit être prise pour éviter absolument l’enfermement d’enfants dans des centres de rétention administrative et a fortiori dans des locaux de rétention administrative (possibilité nouvellement ouverte suite à la loi du 7 mars 2016).

Selon un récent rapport de La Cimade 1 le nombre de placements de familles avec des enfants est passé de 41 en 2013 à 182 en 2016, malgré différentes condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme 2 et contrairement à la loi du 7 mars 2016 qui a réaffirmé le caractère exceptionnel du placement en rétention au profit de l’assignation à résidence des familles avec enfants. Le recours à cette mesure traumatisante pour les enfants semble surtout destiné à faciliter le travail de la police

1. Centres et locaux de rétention administrative, Rapport 2016.

2. Décision du 12 juillet 2016 dans cinq affaires concernant la France.

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aux frontières, y compris lorsqu’il n’existe pas de risque de fuite de la famille. Il est paradoxal d’observer une pareille évolution au moment où le Conseil de l’Europe lance une campagne qui pourrait aboutir à l’interdiction du placement d’enfants en rétention administrative.

3.1.2 Les zones d’attente

La situation des zones d’attente est en premier lieu caractérisée par des conditions d’hé-bergement inacceptables : dans les trois aéroports visités 1, les chambres des zones d’at-tente, même de conception récente, sont dépourvues de fenêtres et l’une d’elles présente une façade vitrée sur un couloir comme une geôle de garde à vue. Rien (TV, radio, magazines, jeux divers, etc.) n’est prévu pour égayer le quotidien ou tromper l’ennui.

Sans espace pour s’aérer, les personnes dépendent pour sortir de la disponibilité des policiers et de leur bon vouloir. Ces locaux sont donc inadaptés à tout séjour prolongé, a fortiori pour des enfants.

Par ailleurs, la gestion documentaire est très insuffisante : les documents d’information sont incomplets ou obsolètes et la tenue des registres de placement est imprécise.

Observons enfin que l’autorité judiciaire ne visite jamais ces locaux.

À l’aéroport de Bâle Mulhouse, le flou malheureusement habituel qui entoure la gestion des zones d’attente est aggravé par la gestion binationale de l’aéroport situé en territoire français : l’existence d’une zone d’attente suisse dans l’aéroport est contestée par les autorités françaises, de sorte que les étrangers placés dans cette zone subissent un sort incertain.

Pour des raisons pratiques, le tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny a été doté d’une salle d’audience délocalisée à proximité de la zone d’attente de Roissy (ZAPI), située au cœur de la zone de fret de Roissy, dans un endroit isolé et difficilement accessible et dont la signalisation est insuffisante.

Cette nouvelle organisation a pour but d’améliorer le confort et les conditions d’exer-cice de la défense dans le temps de l’audience des personnes maintenues, qui n’ont plus à se déplacer dans des conditions de transport médiocres et à subir, dans des conditions indignes, des temps d’attente importants au sein du TGI de Bobigny.

Mais, des difficultés importantes subsistent, s’agissant de l’accès à l’annexe et de l’accueil du public, essentiels s’agissant d’un lieu de justice afin d’assurer le respect du principe de la publicité des audiences et conditionnant un exercice effectif des droits de la défense. Le gardiennage de ce lieu de justice par les agents de la police aux fron-tières (PAF) n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés au regard du principe de publicité des débats et de droit au procès équitable : l’accès à la salle d’audience est

1. La zone d’attente de Dunkerque est en réalité en sommeil.

r églementé et contrôlé par des agents qui sont demandeurs à l’instance et chargés de mettre en œuvre la procédure de reconduite.

Et surtout, la localisation même de la salle d’audience (l’annexe du TGI se situe dans le même bâtiment que la ZAPI) n’est pas sans poser question au regard de la nécessaire image d’impartialité de la justice. Par ailleurs, les relations quotidiennes entre les juges des libertés et de la détention, le personnel de la ZAPI et les agents de la PAF – amenés à tisser des liens dans le cadre de l’exercice de leurs activités respectives – pourraient légitimement renvoyer aux personnes maintenues l’image d’une justice partiale.

3.1.3 Les éloignements forcés Voie aérienne

Les escorteurs dialoguent et agissent avec les personnes reconduites dans le but de créer un climat de sérénité, sans masquer la fermeté qui consisterait au besoin à « faire l’usage de la force juste nécessaire ». Ce comportement est sans aucun doute lié à la volonté de réussir l’éloignement, le respect de la personne éloignée est cependant apparu effectif. Les moyens de contrainte devraient toutefois être utilisés avec plus de discernement, l’objectif du « bien embarqué » ne devant pas faire oublier la nécessité de proportionner les moyens de contrainte au comportement des personnes éloignées, sans recours systématique.

Les unités locales d’éloignement (ULE) ne sont pas adaptées pour accueillir les personnes pendant des durées parfois longues. Si l’ULE de Roissy a déménagé et ses nouveaux locaux sont apparus en bon état et mieux adaptés que les précédents, aucune prise en charge matérielle des personnes éloignées n’est prévue au sein des locaux visités.

Les étrangers n’ont pas la possibilité de bénéficier d’une collation, l’accès à la douche, même si celle-ci existe, n’est pas proposée. Aucun nécessaire d’hygiène, aucun stock de vêtements de rechange ne sont en dotation. À l’occasion de l’éloignement d’une famille, il est apparu que le petit-déjeuner servi au local de rétention administrative était insuf-fisant et aucune alimentation n’a été prévue après le repas de midi alors que l’avion a atterri à 21h locales (minuit heure de Paris), un dîner étant pourtant prévu à l’arrivée pour l’équipage et les fonctionnaires de l’escorte.

Les contacts avec l’extérieur (avocat, proches) ne sont pas prévus à ce stade de la procédure d’éloignement, dès lors que les étrangers ont quitté le centre ou le local de rétention administrative.

Voie maritime

Le CGLPL a pour la première fois procédé au contrôle d’un éloignement forcé par voie maritime. Les escorteurs présents pendant cette mission disposaient d’une expérience reconnue et entretenue, appartenant à une unité spécialisée de la direction zonale de la police aux frontières Sud.

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Des améliorations peuvent être apportées ou ont été apportées entre le déroulement de la mission et l’envoi du rapport de visite du CGLPL. Toutefois les conditions d’hé-bergement de la personne éloignée sur le navire doivent être améliorées. En effet, celle-ci ne dispose pas d’intimité, les toilettes entrant dans le champ de caméras de vidéosur-veillance, elle ne dispose d’aucune distraction, ne peut pas faire l’obscurité dans sa cabine et n’a aucun moyen de se repérer dans le temps. Elle ne dispose pas non plus d’informations sur le déroulé de l’éloignement.

Les documents remis aux autorités de l’État de destination

La définition des pièces de la procédure à remettre aux autorités étrangères est forma-lisée quand la personne éloignée est escortée. À la différence de ce que le CGLPL avait observé en 2014-2015, la liste des documents à remettre aux autorités étrangères est désormais formalisée. Les fonctionnaires de police remettent ainsi les pièces d’identité originales et une copie de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Il demeure cependant nécessaire que pour les personnes éloignées sans escorte, les documents remis au commandant de bord fassent l’objet du même tri ; il n’est en effet pas acceptable que les pilotes aient entre leurs mains la totalité du dossier établi par un CRA.

Les conditions de subsistance des personnes éloignées dans l’État de destination Les ressources des personnes à éloigner sont connues, car l’inventaire de leurs biens et valeurs est renouvelé au moment de quitter le sol français. Les contrôleurs ont constaté certaines personnes éloignées n’avaient pas de ressources suffisantes (une personne seule sans argent, une femme et ses trois enfants âgés de 6 à 8 ans, en possession de 30 euros), alors même que l’on sait que leurs proches résident très loin de l’aéroport. La règle veut que la France ne verse pas de subside dans le cadre des retours forcés, mais que les autorités du pays de destination soient systématiquement avisées plusieurs jours avant l’arrivée afin qu’elles puissent organiser un accueil adapté aux personnes reconduites signalées. Cette formule n’est pas satisfaisante.

Selon les informations recueillies par le CGLPL, des États européens membres de l’agence FRONTEX remettraient aux personnes éloignées une somme permettant de couvrir les frais de nourriture pour une journée et de transport jusqu’à un endroit identifié. La France devrait à tout le moins adopter cette pratique.

3.1.4 La situation particulière de la frontière franco-italienne

Cette frontière est soumise à une pression migratoire inhabituelle : près de 20 000 personnes ont été non admises sur les huit premiers mois de 2017 et 101 non-admis-sions ont été prononcées à Menton en une journée, lors de la visite des contrôleurs en septembre. Les personnes non admises sont principalement des hommes majeurs. Des forces mobiles de sécurité et des militaires sont à disposition de la police aux frontières

pour procéder à des contrôles systématiques sur sept points de passage autorisés (axes ferroviaires et terrestres), en renfort des fonctionnaires de la PAF.

Les personnes interpellées de jour sont conduites dans les locaux de la PAF de Menton et remises aux autorités italiennes ou reconduites à la gare pour un retour en Italie par train. Les personnes interpellées à partir de 19h, heure de fermeture du poste italien, passent la nuit dans des locaux de la PAF dans des conditions qui ne relèvent d’aucun cadre juridique et qui sont matériellement inadaptées (promiscuité, absence de tout équipement, y compris de lits, de chaises, d’éclairage et de climatisation). Le nettoyage n’est prévu que pour les sanitaires mais n’est pas effectué en raison de l’occu-pation des locaux, les déchets sont laissés sur place.

La procédure de non-admission est expéditive et simplifiée ; les formulaires de refus d’entrée sont souvent pré remplis, notamment la renonciation au bénéfice d’un jour franc. La procédure se limite à remettre une copie du refus d’entrée et à enregistrer l’identité des personnes sur le registre numérique des entrées et sorties. Il n’est jamais fait lecture des documents aux personnes ni de notification des droits, aucun interprète n’est présent, et l’asile n’est jamais proposé. La notion de famille est abusivement élargie à la situation de tout mineur voyageant en groupe. Les mineurs ne font d’ailleurs pas l’objet d’une protection ou d’une procédure particulière au regard de leur vulnérabilité.

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