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D- les opérations de contrôle :

3.3. OÙ SITUER L'ACTIVITE METALINGUISTIQUE EN LECTURE / COMPREHENSION ?

3.3.3. Un point de vue provisoire

Ainsi voyons-nous que notre problématique entraîne un grand nombre d'interrogations auxquelles il n'est pas aisé d'apporter des éléments de réponses. Pour résumer ce sous-chapitre nous dirons que, s'il est admis sur le plan lexical et sur le plan grammatical, que la lecture provoque un effet de structuration langagière, « que le fait d'apprendre à lire une autre langue peut aider les adultes à cerner la structure de celle-ci », (E. Bialystok 1990: 53) la question reste posée de savoir si des connaissances morphologiques et syntaxiques, même sommaires, sont convoquées pour être analysées explicitement par le sujet pendant sa lecture. On reconnaît là le débat des rôles respectifs des connaissances implicite et explicite (cf. chapitre 2). On peut faire l'hypothèse que ce sera le cas pour un lecteur lettré (au sens de "literate") et habile en lecture en LM, quand il voudra résoudre des difficultés de compréhension dans une LE qu'il maîtrise pas ou peu. Ce qui correspondra bien à une activité métalinguistique. Reste à savoir si cette activité "locale" ne compromettra pas l'activité "globale" de haut-niveau de construction du sens. En d'autres termes, y a-t-il un "haut-niveau seuil" des connaissances linguistiques en deçà duquel les exigences de la lecture en LE seraient trop grandes comme en fait l'hypothèse Bossers (1991) ? Si oui, cela signifierait que la lecture / compréhension dans une langue voisine inconnue serait pratiquement impossible. Ce n'est pourtant pas le cas comme nous aurons l'occasion de le démontrer.

3.4.QUAND LA LANGUE CIBLE EST INCONNUE MAIS APPARENTEE :

En citant jusqu'à présent des travaux pour traiter d'un point de vue assez général de la question de l'activité métalinguistique dans la lecture / compréhension en LE, nous n'avons pas tenu compte du niveau de connaissance des lecteurs dans la langue cible. Or, on peut faire l'hypothèse que cette variable peut avoir une influence considérable sur la nature et le rôle du traitement métalinguistique de l'information. A texte égal par exemple, la connaissance du vocabulaire ayant forcément augmenté avec le niveau de maîtrise de la langue, on imagine bien a priori que le traitement lexical sera plus développé chez l'apprenant de niveau faible.

En fait, très peu d'études se sont intéressées à la lecture à un faible niveau de maîtrise de la langue cible. Les recherches autour de cette habileté concernent toujours des apprenants d'un niveau intermédiaire ou avancé, ayant suivi majoritairement, pour débuter leur apprentissage, des méthodes centrées sur les habiletés de la communication orale (cf. P. Carrell 1988: 2). Souchon néanmoins (1991, 1992a et b, 1993) s'est intéressé au niveau « peu avancé », mais ses sujets ont en réalité une connaissance déjà consistante de la langue cible (élèves de 3è, dans leur deuxième année d'espagnol, soit après une centaine d'heures).

En revanche, en ce qui nous concerne, nous avons choisi de faire porter notre enquête sur un public d'adultes qui non seulement n'a jamais suivi une heure de cours de la langue cible, mais qui de surcroît n'envisage pas, au moins dans l'immédiat, d'en débuter l'apprentissage, même si certains en nourrissent l'ambition à plus long terme (ce qui nous renvoie à la question de la motivation et des attitudes à l'égard de la LE). Bien entendu, ces conditions n'excluent pas que ce public ait pu avoir des contacts informels

avec l'espagnol. On voit d'ailleurs mal comment il pourrait en être autrement aujourd'hui. Compte tenu de ces caractéristiques, on peut s'attendre à ce que les phénomènes à l'œuvre dans l'activité lecturale présentent certains aspects spécifiques.

En premier lieu, on voit mal comment le lecteur échapperait totalement à une lecture phonogrammatique étant donné qu'il découvre cette langue à l'écrit, a priori, pour la première fois. Que quelques procédures idéovisuelles soient utilisées reste possible toutefois. On peut donc supposer que la prise d'information graphémique ne devrait pas être trop "perturbée" par les suites de lettres rencontrées en espagnol. Outre le fait que l'espagnol a évidemment recours à un alphabet latin, cette langue ne présente par ailleurs aucun graphème ou séquence de graphèmes susceptible de gêner un lecteur francophone (D. Gaonac'h 1993 compare à ce sujet la perception de taridon et de

rdatwok), à l'exception de la "ñ"15, néanmoins très connue16. Bien entendu, il y a peu de chances que l'oralisation interne (ou la subvocalisation) soit en tout point conforme aux normes phonologiques hispanophones, mais en revanche on peut s'attendre à ce qu'elle ne soit pas "bloquée". Notons que cela est totalement indépendant de la parenté linguistique et que la même propriété pourrait être attribuée à des langues typologiquement très éloignées. D'autre part, la prédominance de cette lecture phonogrammatique ne nous prouve d'aucune façon que nous ayons affaire à un traitement conscient. Au contraire, puisque le lecteur aborde la LE au moyen du système phonologique intériorisé de sa LM, cela semble indiquer qu'il s'agit d'un traitement épilinguistique.

15 Le tilde est une particularité graphique de l'espagnol auquel il est souvent attribué une valeur emblématique, voire métonymique (cf. les nombreux logos dans lequel il apparaît pour symboliser la langue espagnole).

16 Dans les deux enquêtes dont il sera question ici, ainsi que dans nos pré-enquêtes, nous avons souvent demandé ce qui permettait à nos interlocuteurs de reconnaître l'espagnol parmi plusieurs langues romanes (nous en avons même fait l'expérience dans nos expérimentations pédagogiques): "la ñ" était presque toujours citée (« le "n" avec la vague dessus »).

En second lieu par contre, la parenté linguistique est susceptible de jouer à plein pour l'accès lexical. Pour Gaonac'h (1993) ce dernier « correspond à la reconnaissance d'une suite de lettres en tant qu'élément du lexique mental, et à l'activation des représentations sémantiques liées à cet élément ». Il est fort probable, si tant est qu'il y ait des éléments reconnus, qu'ils le soient le plus souvent par analogie avec des éléments du lexique mental de la langue maternelle. On sait que ces analogies graphémiques sont rarement totales (inexistantes au demeurant grapho-phonologiquement, cf. L. Dabène 1975) et le plus souvent seulement partielles, mais à des degrés divers. Il sera par conséquent très intéressant de voir selon quelles modalités conscientes ces analogies lexicales totales ou partielles seront traitées, d'autant plus que l'on peut s'attendre à ce qu'elles constituent les ancrages privilégiés de la construction sémantique. Ce qui nous conduira à observer, selon la même perspective, l'établissement de relations sémantiques entre les éléments lexicaux repérés. Or, on sait que d'une langue à l'autre, le lexique s'organise sémantiquement de façon différente. Le lecteur prendra-t-il en compte cela ou "glissera"-t-il dessus sans y prêter attention quitte à en subir ensuite les conséquences pour sa construction sémantique ?

Troisièmement, la question du traitement grammatical de l'information est sans doute la plus délicate. On peut s'attendre à ce que le lecteur mène à bien un traitement grammatical épilinguistique guidé par les analogies et les règles implicites de la langue maternelle. Mais fera-t-il entrer en jeu des considérations métalinguistiques morpho-syntaxiques ? Avec quel(s) objectif(s) ? De plus, on ne sait pas vraiment si la compréhension d'un écrit en espagnol présente réellement pour un francophone des obstacles grammaticaux "intégraux", à savoir ne pouvant être compris par d'autres moyens que par un raisonnement grammatical. Nous nous proposons également de recenser ceux que nous rencontrerons.

On le voit, toutes ces attentes soulèvent un grand nombre de questions, au niveau "local" ou microstructurel comme on vient de le voir, mais également au niveau de la construction sémantique. On se demande en effet si des raisonnements métalinguistiques au sein des processus et stratégies de contrôle seront activés pour rétablir des méprises.

Que cela soit le cas ou non, le traitement ascendant qui en langue maternelle est activé spontanément sera-t-il le laissé pour compte de l'activité, comme l'indiquent la plupart des recherches sur la lecture en LE, alors même qu'il serait en mesure de compenser les déficits des connaissances linguistiques ?

CHAPITRE 4 :