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Prolongements des propositions de H. Besse

CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THÉORIQUES FONDEMENTS THÉORIQUES

3/ Travaux du CDL de Grenoble :

2.5.1. Prolongements des propositions de H. Besse

Confronté d'une part à la diversité et à l'hétérogénéité des discours des apprenants au cours de ses exercices de conceptualisation et constatant d'autre part que la composante métalinguistique au sens large est inhérente à tout cours de langue (1980b: 116), Besse est conduit à dresser une typologie des mots et des phrases métalinguistiques de la classe de français langue étrangère (1980a) en s'inspirant notamment des travaux de sémioticiens comme Rey-Debove (1978: 4). Cette entreprise lui semble justifiée par le fait que cette dimension n'est pas prise en compte dans les manuels de français langue étrangère alors même que, d'une part, les descriptions du fonctionnement métalinguistique de différentes langues en démontrent les différences morpho-syntaxiques19, et surtout d'autre part, l'étude des discours d'apprentissage, en classe et au dehors, démontre la nécessité pour l'apprenant de se familiariser avec la manipulation des présentateurs métalinguistiques. Besse en préconise donc l'intégration lors de l'élaboration des progressions structurales et lexicales, en particulier pour les publics de LM hétérogène dans la mesure où avec eux, tout le discours métalinguistique se fera en LE, ce qui, dans une perspective communicative, ne saurait être négligé. Ainsi, « la métalangue étrangère pourra alors jouer, dans l'acquisition de la langue cible, le

langue française », et même si « la concrétisation de ce préambule n'est pas égale dans les diverses langues » comme le rappelle et le démontre M. Candelier (1986b: 62, 1986a)

19 Besse cite l'exemple repris à Rey-Debove (1978: 64) de l'opposition L'homme est un animal/Homme est un nom à laquelle correspond en anglais le seul: Man is…

rôle régulateur et structurant qu'elle joue dans l'acquisition de la langue maternelle » (H. Besse 1980a: 107).

Par ailleurs il plaide pour une prise en compte des « potentialités métalinguistiques d'apprentissage des étudiants » (1980b: 126). Pour lui les stratégies d'enseignement ne sauraient être les mêmes si l'on a affaire à des individus disposant d'un métalangage (ndr: au sens étroit de terminologie grammaticale) ou non. Dans ce dernier cas il préconise le recours à des pratiques métalangagières paraphrastiques et dans le cas inverse il affirme que « les apprenants ont inévitablement recours au métalangage qu'ils ont appris pour tenter d'élucider ce qu'ils peuvent appréhender de leurs activités épilinguistiques » (ibid.: 127). En d'autres termes, on doit éviter de vouloir faire table rase de leurs acquis métalinguistiques antérieurs comme lorsqu'on a recours à des procédures heuristiques qui visent à faire découvrir une règle définie préalablement par l'enseignant en vertu d'une théorie linguistique donnée. La démarche, dite de « conceptualisation », que propose Besse, est plutôt une maïeutique (au sens de "faire accoucher" l'élève des pensées qu'il possède sans le savoir) (H. Besse et R. Porquier 1984: 107) puisqu'il s'agit d'inciter les étudiants, à partir du métalangage dont ils disposent, à formuler des hypothèses sur leur interlangue qui seront ensuite validées ou infirmées en sachant que « toute hypothèse retenue est considérée comme provisoire et modifiable en fonction des acquisitions nouvelles et des interlangues ultérieures ».

On le voit, cette démarche pédagogique vise à être en phase avec les descriptions du processus d'acquisition de langue étrangère en vogue à l'époque, en cherchant à intégrer la compétence interlinguale aux processus cognitifs propres à l'apprenant. Néanmoins l'auteur ne cache pas qu'elle présente des difficultés d'application, en particulier si l'enseignant est formé à un seul métalangage ou encore si l'apprenant est peu "grammaticalisé". De plus, elle implique que l'on se limite aux zones grammaticales pouvant être construites par le métalangage des apprenants car lorsque les hypothèses

n'aboutissent pas « on convient qu'il n'existe pas de solution explicite satisfaisante au problème posé» (H. Besse et R. Porquier 1984: 114). Cette limitation fera ultérieurement l'objet de vigoureuses – quoique cordiales – critiques de la part de didacticiens tels que Candelier (1985, 1986) qui n'admet pas que l'on puisse s'interdire de fournir des explications proposées par les linguistes.

Reprenant la typologie métalinguistique dressée par Besse, Cicurel (1982), dans le cadre de l'analyse des interactions qui tend par ailleurs à devenir alors la tendance dominante dans la recherche sur l'acquisition des langues, explore les différentes formes verbales et non-verbales que peut prendre l'activité métalinguistique effective des acteurs de la classe de français langue étrangère et montre que la « densité métalinguistique » varie, quantitativement et qualitativement, en fonction des activités réalisées et au sein d'une même activité en fonction de l'objectif poursuivi par professeurs et élèves.

Ces différents travaux déboucheront au milieu des années 80 sur la publication d'ouvrages à vocation synthétique dont la diffusion plus large assurera la circulation de ces idées ainsi que leur discussion. L'adjectif "métalinguistique" ainsi que le thème du "métalangage/métalangue" y sont omniprésents. Ainsi Besse et Porquier, en publiant

Grammaires et didactique des langues en 1984, font le point sur les pratiques d'enseignement de la grammaire en classe de langue et sur l'intériorisation/acquisition de la grammaire d'une LE par les apprenants. On y retrouve, argumentée et exemplifiée, la distinction entre les pratiques heuristiques et maïeutiques d'enseignement explicité de la grammaire que nous avons présentées ci-dessus. Ces dernières sont fondées, nous l'avons vu, sur le constat selon lequel les apprenants disposent de pré-acquis métalinguistiques ou plus précisément de « cribles métalinguistiques » (ibid.: 109) définis ainsi (c'est nous qui soulignons les segments en gras) :

« Ces cribles métalinguistiques sont, le plus souvent, des ensembles hétérogènes de préjugés langagiers, de stéréotypes linguistiques, de connaissances grammaticales, de jugements idéologiques acquis et appris avec la langue de départ, particulièrement lors de son apprentissage en milieu scolaire. Ces sortes de représentations métalinguistiques de ce que c'est qu'une langue et son fonctionnement, de ce qu'est la langue-cible qu'on apprend, jouent le rôle d'un modèle métalinguistique naïf dans l'appréhension des données langagières étrangères: elles sont perçues à travers son prisme, elles sont reconstruites de son point de vue. Les fragments de description grammaticale qui sont ainsi spontanément produits, souvent à l'insu du professeur, constituent presque toujours des obstacles à l'apprentissage, parce qu'ils ne sont pas réellement appropriés à leur objet encore trop mal connu: ainsi, l'apprenant élaborera silencieusement des règles incertaines sur les éléments de la langue-cible qu'il apprend, parce qu'il cherchera à y retrouver les catégories grammaticales et les règles qu'il a apprises dans et sur la langue de départ. Bref, son «passé» métalinguistique et grammatical est constamment sollicité par son apprentissage et produit des interférences dans l'intériorisation de la grammaire étrangère ».

Le but de la démarche pédagogique est donc de lever ces obstacles à l'apprentissage en faisant en sorte « que les représentations métalinguistiques propres à l'apprenant n'entravent pas mais favorisent, autant que possible, son apprentissage » (ibid.: 110). Les propositions pédagogiques qui s'inspirent de ces principes (comme les « exercices de conceptualisation ») s'appuient sur une double hypothèse quant à leur efficacité pour l'acquisition (ibid.: 114).

La première hypothèse pose que « la prise de conscience par l'apprenant (guidé par l'enseignant) de ses propres intuitions sur le système de la LE facilite l'acquisition » (repris à D. Bailly 1980a: 120). Présentée comme admise par de nombreux didacticiens, cette hypothèse pose quand même une question essentielle qui renvoie au principe de la postériorité que nous avons présenté plus haut (cf. 2.4.1.) : cette prise de conscience doit-elle se faire sur des faits de langue déjà intériorisés, en voie d'intériorisation, ou totalement nouveaux pour l'apprenant ? Les auteurs plaident pour la première possibilité,

ce qui conduit Candelier (1985: 82) à se demander quel est l'intérêt pour l'acquisition de réfléchir sur des régularités de la langue-cible déjà intériorisées, donc acquises. À quoi, Besse (1986b: 77) répond que ce « n'est pas inutile, si ce n'est que pour la normer, l'écrire ou mieux la maîtriser intellectuellement ». Et nous ajouterions pour notre part que cela peut contribuer à rendre l'acquisition durable tant il est vrai que les intériorisations intuitives peuvent s'avérer fragiles avec le temps, une pratique peu intense ou tout simplement à cause de l'apprentissage d'une autre LE voire d'un simple "contact" en tant qu'« alloglotte » (B. Py 1993). La réflexion sur la langue sert alors, comme le concède Candelier (1986: 69) à « renforcer » l'intériorisation. Mais la véritable question pédagogique reste bien de « savoir à partir de quel degré de familiarisation de l'apprenant avec une régularité le travail métalinguistique peut s'effectuer dans des conditions telles que la réflexion porte ses fruits, y compris pour l'intériorisation » (ibid.: 70). La réponse semble relever d'une analyse précise des situations d'enseignement et de la prise en compte de nombreux facteurs allant du public au type de régularité linguistique concernés. Pour Candelier (ibid.: 71) comme pour nous, l'attente d'un véritable début d'intériorisation semble dans bien des cas « inutilement exigeante », rien n'interdisant a priori que l'on puisse être invité à réfléchir sur certains faits de langue au moment même où on en prend connaissance20.

Deuxième hypothèse, « le savoir métalinguistique élaboré par les grammairiens et les linguistes ne peut, en lui-même, apporter de solutions toutes faites à ceux qui apprennent une LE ». Accusé sur ce point de « pessimisme épistémologique » par Candelier (1985), Besse précisera ultérieurement (1986: 76) que « si scepticisme ou pessimisme il y a, il ne porte pas sur le savoir des grammairiens ou des linguistes considéré en lui-même et pour lui-même, mais sur certaines utilisations didactiques qui

20 Sans perdre de vue que toute introduction d'une terminologie métalinguistique peut ralentir l'apprentissage (en termes de coût cognitif notamment) et constituer une source de difficulté supplémentaire.

en sont faites dans l'enseignement/apprentissage des langues vivantes, secondes ou étrangères » Ce sont donc les descriptions pédagogiques qui posent problème et en particulier le rapport qu'elles entretiennent avec « ce qui se passe effectivement dans la classe et chez les apprenants ».

Sur cette question des échanges métalinguistiques de la classe de langue, les travaux de Cicurel mentionnés plus haut seront approfondis et déboucheront également sur la publication d'un ouvrage (F. Cicurel, 1985) où, après avoir analysé quelques procédés métalinguistiques utilisés par le professeur de français langue étrangère en France (pour l'élucidation du sens –dénomination, paraphrasage, définition…–, pour décrire la langue et rendre son emploi plus conforme à une norme, pour apprécier/corriger les énoncés produits, etc.), elle en considèrera les implications didactiques. Elle souligne la fonction formatrice que peut avoir pour un enseignant de langue (chez autrui comme chez soi-même), l'analyse du discours de la classe de langue et en particulier de ces aspects métalinguistiques. Elle met en évidence, par l'analyse d'un corpus d'interactions, « le lien étroit entre les explications portant sur le lexique et celles portant sur les aspects syntaxiques » (ibid.: 110) ainsi que l'apparition de l'activité métalinguistique sous des formes tant explicites qu'implicites (ibid: 104) au sein d'un cadre communicatif caractérisé par la co-occurrence de deux niveaux énonciatifs (cf. la « double énonciation » de A. Trevise 1979): « l'une simulée et l'autre vraie ». Ce qui la conduit à formuler une hypothèse séduisante qui aurait cependant mérité d'être exemplifiée et explicitée davantage: « L'activité métalinguistique se situe souvent au point de rencontre de ces deux niveaux énonciatifs » (op. cit.: 106). Il reste que la communication véritablement "authentique" en classe de langue se fait bien autour de la fonction métalinguistique d'où la nécessité de la prendre en compte dans les manuels, comme le préconise Besse (1980a), et dans la formation des enseignants :

– pour ceux-ci en les préparant à « faire un réel travail sur les actes de formulation métalinguistique des apprenants» et à utiliser « un langage para-grammatical » (F. Cicurel 1985: 117);

– pour ceux-là, en évitant d'y présenter « un univers linguistiquement lisse » (R. Galisson 1979: 23), comme dans les méthodologies audio-orale et audio-visuelle où la fonction métalinguistique était totalement absente des dialogues des leçons. Dès le début des années 80, au moins pour le français langue étrangère, on voit apparaître des matériels qui prennent en compte cette dimension21.

S'il est clair qu'une page est tournée quant au statut de la réflexion métalinguistique en classe de langue, au vu des principes didactiques et des quelques propositions méthodologiques énoncés ci-dessus qui constituent des invariants pour toute situation d'apprentissage guidé, il reste que ces travaux ont été réalisés majoritairement pour le cours de français pour adultes en milieu français. Tout ou presque est à faire quant à l'analyse d'autres situations d'enseignement/apprentissage et à la définition de pratiques qui leur soient adaptées sur ce point. C'est ce qui sera mis en chantier dans la deuxième moitié des années 80 par bon nombre de didacticiens (cf. L. Dabène & al. 1990) et qui les conduira à s'interroger sur la nature singulière ou plurielle de la discipline (cf. D. Lehmann éd. 1988 et N°1/1988 des Langues Modernes), la transversalité des questions métalinguistiques étant bien évidemment un argument en faveur de la singularité.