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Pourquoi avoir choisi des faits divers ?

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CHAPITRE 4 : RECUEIL DES DONNEES ET

4.1. METHODOLOGIE DE RECUEIL DES DONNEES

4.1.2. Les textes

4.1.2.1. Pourquoi avoir choisi des faits divers ?

a) Un genre textuel familier

Tout d'abord, il était préférable de placer le lecteur face à un genre textuel dont la forme et les domaines de référence étaient relativement familiers, le fait d'être face à une langue inconnue constituant déjà une difficulté considérable. Ceci était également valable pour nous du point de vue de la recherche. En effet, ce terrain d'exploration représentant à lui seul un saut dans l'inconnu, il nous a semble préférable de travailler sur des terrains déjà balisés (cf., à ce propos, J.M. Adam 1992). Ainsi, le fait que le

3 Ces deux sujets trinômes, TA et TB, présentent en outre d'autres caractéristiques spécifiques comme nous le dirons plus loin, ce qui justifiera un traitement quelque peu particulier.

4 Précisons qu'il ne s'agit pas, dans les lignes qui vont suivre, de mener à bien une analyse textuelle ou une analyse de discours, mais simplement de passer en revue les caractéristiques des textes dans la perspective qui est la nôtre, celle d'une lecture / compréhension en ELVIF.

genre textuel du fait divers ait fait l'objet de nombreux travaux (cf. A. Petitjean 1986 et 1987, S. Moirand 1979 et 1990, F. Cicurel 1991, N° 84 de la revue Le Français Aujourd'hui 19885), fournissait quelques repères à notre entreprise.

Par ailleurs, les deux articles de presse que nous avons choisis ne présentent pas selon nous, dans leur organisation textuelle, de traits culturels spécifiques. On manque d'ailleurs à ce sujet cruellement d'études contrastives bien que l'on puisse raisonnablement faire l'hypothèse que, d'une part, les différences sont plus sur le fond ou dans le style que dans la mise en forme proprement dite6, et que d'autre part on peut trouver autant de variation d'un journal à l'autre dans un même pays qu'entre deux journaux de pays différents. Au demeurant, chacun sait qu'on assiste aujourd'hui à une mondialisation de l'information qui tend à homogénéiser les discours médiatiques, au moins pour ce qui est de la narration brute des événements internationaux (type dépêche d'agence de presse). Mais il reste très difficile de généraliser ce genre de considérations en l'absence de références sérieuses à ce sujet, par exemple en comparant les directives journalistiques qui sont données dans les grandes écoles de presse européenne ou encore en analysant en profondeur (discursivement, stylistiquement, culturellement, etc.) les publications de presse des différents pays pour tenter de distinguer les traits caractéristiques du journal de leurs traits "nationaux". Entreprise qui sortirait de notre propos mais qui pourrait lui être bien utile. Ainsi pourrait-on voir dans El País, pour ce qui nous concerne, ce qui d'une part relève de l'idiosyncrasie espagnole, et d'autre part ce qui est propre au style du journal (voir toutefois à ce sujet G. Imbert 1988). Quoi qu'il en soit, il n'est pas nécessaire pour nous de mener dès à présent une analyse textuelle de ce type. Nous verrons au contraire, au moment de l'analyse des discours métalangagiers des sujets, si ces aspects peuvent

5Le fait divers. Un drôle de type dans la classe, Le Français aujourd'hui n°84, 1988.

6 Au sujet de laquelle, Gaillard, dans son ouvrage de référence Technique du journalisme, n'hésite pas à parler de « composantes universelles de l'écriture journalistique » (1992: 86)

expliquer certains comportements, notamment en les comparant aux discours des natifs (cf. infra 5.6.). À tout le moins, ce que l'on peut considérer comme certain, c'est que le fait divers constitue un genre d'article de presse que le lecteur a tôt fait de reconnaître, même en langue inconnue, pour peu qu'il puisse faire quelques repérages lexicaux (grâce à la proximité linguistique notamment).

b) Une information immanente

Le fait divers présente l'avantage d'être une « information totale, ou plus exactement immanente » (R. Barthes 1964, cité par M. Mougenot 1988a), qui se suffit à elle-même. « Point besoin de connaître rien du monde pour consommer un fait divers » (ibid.), ce qui réduit l'influence des connaissances extra-linguistiques sur la compréhension, même si, comme on le verra, cela n'est pas tout à fait vrai puisque, qu'on le veuille ou non, un ou plusieurs domaines de référence sont toujours convoqués. Cette propriété a largement été exploitée à travers l'approche communicative en méthodologie d'enseignement des langues étrangères où les faits divers ont fait leur entrée, pour leur authenticité, au cours des années 80.

Un style simple et concret

Le style journalistique, et en particulier le fait divers, se caractérise selon Gaillard (1992) au moyen de trois adjectifs : simple, concret et vivant. Simplicité du vocabulaire, définition dans le texte des mots les moins courants, répétition de ces mêmes mots pour qu'ils soient insérés dans des contextes différents, simplicité grammaticale, brièveté des phrases, « le journaliste préfère trois propositions indépendantes à une principale complétée par deux subordonnées », « élimination systématique de tous les adjectifs et adverbes vagues et inutiles » (ibid.: 93) sont autant de consignes données aux journalistes pour la rédaction que d'atouts pour faciliter la compréhension et la découverte d'une langue inconnue mais apparentée. Ce type de

texte et de discours présente donc des traits linguistiques récurrents, caractéristiques facilitatrices qui en plus offriront pour nous l'avantage, au moment de l'analyse des données, d'être facilement isolables, comme par exemple la présence d'organisateurs temporels, un micro-système verbal, la suite chronologique d'événements…

Un type de discours bien connu: le récit

Du point de vue discursif, le fait divers a systématiquement recours au discours narratif, même si cela n'exclut pas d'autres types de séquences discursives. Le fait divers est essentiellement un récit, type de discours bien connu des chercheurs, puisqu'il est, comme le rappelle López Alonso (1994: 164), le modèle le plus exploré et le mieux décrit. De plus, s'il a permis la mise au point des premières théories discursives, sa superstructure est par ailleurs à coup sûr intériorisée par tout lecteur. Comme l'écrit Adam (1984: 13), « tout lecteur aborde un récit avec, à l'esprit, un schéma global préconstruit ». Ainsi est-il "prédisposé" à activer des "scripts" (R.C. Schank & R.P. Abelson 1977) ou scénarios – ou encore des "cadres de connaissance" (cf. T. Van Dijk in G. Denhière 1984) – à partir de peu d'éléments tirés du texte, en mode de traitement descendant. Cela peut aider considérablement le lecteur à inférer le sens des unités lexicales par exemple. C'est bien ce à quoi on peut s'attendre avec les deux faits divers choisis ici, dont la dominante discursive est essentiellement narrative, agrémentée de quelques courts segments descriptifs.

Il reste qu'en regard de la superstructure narrative quinaire (orientation, complication, action, résolution, situation finale plus une morale facultative) (J.-M. Adam 1984: 85, 1992: 57), le schéma du fait divers présente un certain nombre de particularités imposées notamment par le genre de texte et son support. Cela se traduit par le fait que la chronologie présentée par le texte ne correspond pas forcément à la suite chronologique réelle des événements. Au contraire, on remarque que pour des raisons aussi bien de mise en forme que pour des raisons illocutoires (pour agir sur le

lecteur), ces deux chronologies peuvent différer sensiblement. Constatant en parcourant la presse que cela était fréquent mais de façon plus ou moins flagrante, nous avions souhaité que dans le texte choisi, elles ne le soient que modérément. En réalité, nous n'avons pas pu y échapper totalement tant cela paraît être la règle. Cela mérite que l'on s'y attarde un peu.

Comme nous l'explique López Alonso (op. cit.: 165), « les conditions de l'écriture journalistique configurent un autre prototype où le rôle de l'information est prépondérant par rapport à celui du schéma canonique narratif qui tend à prolonger le développement de l'action et à éviter la répétition ». Ce prototype – ou superstructure – présente deux caractéristiques principales :

la macrostructure donnée en en-tête (titres et chapeaux) ;

et surtout, pour des raisons d'espace disponible, une structure de longueur modulable ménageant la possibilité au secrétaire de rédaction du journal, comme nous l'indique Gaillard (1992: 90) de « couper les derniers alinéas sans avoir besoin de chercher à travers tout l'article les passages les moins importants ». C'est ce que le même auteur schématise avec deux images : "le tuyau de poêle" – « un article doit être formé d'une suite d'éléments emboîtés les uns dans les autres » – et "la pyramide inversée" « qui commande de placer les éléments dans un ordre décroissant d'importance »7. Cette dernière caractéristique nous semble de la plus haute importance et appelle deux remarques :

– (1) Si on peut être réticent à la mettre à profit pour l'enseignement en raccourcissant les textes comme le ferait un secrétaire de rédaction, dans la mesure où cela nuirait

7 Notons que d'après Gaillard, ces règles ne sont vraiment valables que pour les articles brefs, inférieurs à 300 mots, ce qui est précisément le volume que nous nous sommes donné comme limite supérieure.

forcément au principe pédagogique d'authenticité, c'est sans aucun scrupule en revanche que l'on en fera usage pour la recherche :

– (2) Cette propriété essentielle des faits divers nous paraît sous-estimée dans les ouvrages de didactique des langues étrangères. Moirand (1979: 117-118) fait bien remarquer que « la mise en forme dépend étroitement d'impératifs techniques qui donnent au texte son architecture spécifique » et que « si le metteur en pages manque de place, il peut "couper" au dernier moment dans le corps (ou la chute) de l'article », mais elle n'envisage ni l'impact de cette propriété des faits divers sur leur architecture ni ses répercussions sur la lecture / compréhension en langue étrangère. Attardons-nous quelque peu sur ces deux points.

• Quant à l'impact sur l'architecture du fait divers, la question que l'on peut se poser est de savoir si, comme l'affirme López Alonso (op.cit.) le fait divers constitue, du fait des conditions de l'écriture journalistique, un prototype distinct du schéma narratif canonique ou bien si l'on doit simplement imputer ces caractéristiques, comme nous l'avons fait plus haut, à de simples questions d'agencement textuel. En ce cas, la superstructure ou prototype devient indépendante de sa réalisation textuelle et renvoie à l'enchaînement chronologique des différents moments ou épisodes de l'histoire événementielle réelle, mais on ne voit plus très bien ce qui la différencie alors d'un script ou cadre de connaissance. Il semble en définitive qu'il y ait un terme de trop et ce que nous avons appelé agencement textuel gagnerait à fusionner avec la superstructure narrative canonique. Peut-on parler d'un « type de texte hétérogène » comme le propose Boré (1988) en s'inspirant de la typologie de Bronckart (1985) ? Nous ne le croyons pas car ce dernier qualifie de « type de texte intermédiaire » les textes qui mêlent les trois types de discours qui sont pour lui "primaires" (comme les trois couleurs de base), à savoir le discours théorique, la narration et le discours en situation. Or, en ce qui concerne nos deux faits divers, le discours reste totalement narratif, même si l'on peut

toujours voir une argumentation implicite dans chacun d'eux . Dans ces conditions, nous proposons de le considérer comme un sous-prototype narratif dont l'agencement peut être plus ou moins marqué, par rapport au schéma narratif canonique, par un brouillage du rapport chronologie réelle / chronologie textuelle.

• Quant aux répercussions de cette architecture sur la lecture / compréhension en langue étrangère, si le projet didactique repose sur l'idée que l'amélioration des capacités de lecture des apprenants passe par la connaissance des conditions de production des discours, on est en droit de se demander si les lecteurs sont conscients, y compris dans leur langue maternelle, des conditions de l'écriture journalistique et de leur impact sur l'architecture textuelle. S'ils ne le sont pas, cela constituera-t-il une difficulté supplémentaire dans l'activité de construction du sens ? Si l'on peut s'attendre, comme le constate López Alonso (op. cit.: 166), à ce que les sujets identifient immédiatement et facilement le type de texte, le convoqueront-ils pour autant en langue étrangère avec ses propriétés structurelles ? Il est permis d'en douter au vu des résultats des enquêtes menées auprès de natifs pour inventorier les critères utilisés par des élèves de CM pour discriminer les faits divers parmi une série de courts articles présentant les mêmes caractéristiques typographiques (C. Boré, op. cit.), ou encore pour définir les caractéristiques du fait divers par des élèves de seconde (M. Mougenot 1988b) : jamais les propriétés qui nous intéressent ici n'y sont citées par les élèves.

Un certain "attrait" :

Le fait divers, malgré son aspect souvent morbide, présente néanmoins l'intérêt de susciter une certaine curiosité chez le lecteur. Pour faire un fait divers, « il faut quelque chose de suffisamment inhabituel dans l'univers partagé par les journalistes et les auditeurs / lecteurs » (S. Moirand 1990: 32), quelque chose « en marge du naturel

8 La "morale de l'histoire" en quelque sorte qui pourrait être par exemple : "les médecins aussi sont mortels" pour « Muerte en directo », et quelque chose comme "l'anarchie lors des émeutes fut telle qu'elle a failli faire une victime bien innocente" pour « Jessica ».

et suscitant l'étonnement » (M. Mougenot 1988a). C'est pour cela qu'ils sont publiés en général, le scripteur utilisant en plus quelques artifices – certes, variables d'une publication à une autre – pour ménager le suspense. Comme le disent Barillaud et al. (1985: 80) « tout fait divers se construit […] autour de l'hypothèse d'un dérèglement: celui de l'ordre prévisible du parcours d'un rôle figuratif, quel qu'il soit. Il commence donc par associer au rôle sélectionné un motif qui contredit les stéréotypes que condense ce rôle de départ » Dans les deux textes dont il est question ici, cette caractéristique est parfaitement illustrée puisque les deux événements dont il y est question présentent ce que Mougenot (1988a, d'après R. Barthes 1964) qualifie de « prédilection du fait divers » : un comble. Dans Muerte en directo, le médecin est la victime, qui plus est lors d'un débat télévisé sur les médecines "douces" ; dans Jessica, la victime (blessée) la plus jeune des émeutes n'était même pas née.

Cette qualité de scénario peu prévisible du fait divers nous a semblé d'autant plus intéressante pour notre expérimentation que, paradoxalement, tout en aiguisant la curiosité du lecteur, elle est susceptible de freiner l'influence de ses processus d'anticipation à partir de ses propres scripts en sollicitant de sa part un effort d'imagination et/ou des stratégies d'élucidation ascendantes plus développées.

Cela étant, il est nécessaire de préciser que le choix du fait divers n'implique en rien que nous considérions ce type de texte comme prioritaire dans notre enseignement futur, même si nous ne l'écartons pas. Cette réflexion didactique, sur la question des types de texte et de discours à soumettre à l'apprenant dans sa progression, dans le cadre d'un apprentissage par compétences dissociées, reste de toute façon à mener, mais elle n'est pas à l'ordre du jour dans l'immédiat.

Nous faisons l'hypothèse que les propriétés du fait divers avancées jusqu'ici relativiseront la difficulté pour nos lecteurs et/ou solliciterons leur curiosité. En revanche, pour ne pas trop pénaliser le traitement ascendant et donc pour une bonne partie l'activité métalinguistique, il nous a semblé important de veiller à ce que le texte réserve un certain nombre de difficultés.