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Quelques références sur la question

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D- les opérations de contrôle :

3.3. OÙ SITUER L'ACTIVITE METALINGUISTIQUE EN LECTURE / COMPREHENSION ?

3.3.2. Quelques références sur la question

Curieusement, il semble que cette question soit peu traitée dans la littérature sur la lecture / compréhension en LE11. Nous voyons deux raisons à cela. Premièrement, la tendance des années 80, aussi bien sur le plan de la recherche fondamentale que sur celui de la recherche appliquée à l'enseignement des langues, notamment à travers les approches communicatives, a fait qu'on s'est davantage intéressé aux processus descendants, alors que, comme nous l'avons noté, l'activité métalinguistique relèverait plutôt des traitements ascendants. Deuxièmement, il est maintes fois répété que les processus de bas-niveau doivent être automatisés pour que la lecture soit efficace. Or, il est affirmé que le lecteur en LE a précisément tendance à se laisser "happer" par un traitement, attentionnel ou non, de bas-niveau (le "court-circuitage"), d'où un déséquilibre des interactions de son système de compréhension. Non pas que les processus de haut-niveau soient forcément inexistants, mais il peut y avoir une absence de coordination entre les deux types de processus (D. Gaonac'h 1990b). Dans ces

11 Il est à ce sujet symptomatique de constater que Bernhardt, dans son ouvrage-recension des recherches sur la lecture en LE (1991b), ne compte même pas une entrée d'index pour les termes de la famille de "métalinguistique". Seule la métacognition a droit de cité.

conditions, sachant que les recherches étaient guidées par des préoccupations d'ordre didactique – y compris chez les cognitivistes nous semble-t-il – on comprend pourquoi l'activité métalinguistique en lecture / compréhension en LE n'a pas été au centre de nombreux travaux. En outre, les variations terminologiques peuvent faire que l'on s'y réfère sous d'autres étiquettes. C'est le cas avec l'expression "processus contrôlés" par exemple, qui présente toutefois l'inconvénient de ne pas indiquer l'objet du contrôle ni sa fonction. Or, pour localiser l'activité métalinguistique, c'est précisément ce qui est pertinent.

A propos de l'apprentissage de la lecture en LM, ce thème est en revanche traité plus fréquemment, notamment dans le cadre de la psychologie cognitive développementale. Toutefois, la question de la localisation de l'activité métalinguistique sur le modèle de performance en lecture / compréhension ne semble pas être soulevée. À tout le moins, nous ne sachons pas qu'elle ait été posée en ces termes. On y voit en revanche, comme on a déjà pu le signaler, un lien étroit entre apprentissage de la lecture et émergence des compétences métalinguistiques. Pour Bialystok (1990: 53) l'explication serait due à un phénomène d'influence réciproque: « une compétence métalinguistique minimale constitue bien un prérequis pour l'apprentissage de la lecture, mais celle-ci a aussi pour effet le développement des connaissances métalinguistiques » (cf. aussi R. Titone 1985: 78 au sujet des enfants bilingues). Mais cette influence réciproque, remarquerons-nous, ne témoigne en rien de l'intervention directe de l'activité métalinguistique pendant la lecture.

En France, le psychologue Gombert dont nous avons déjà largement évoqué les travaux au chapitre précédent, s'est intéressé de très près à ce lien. Dans un article récent écrit avec deux collaboratrices (J.-E. Gombert et al. 1994), il affirme que « l'activité de lecture suppose une maîtrise métalinguistique en général inutile en

dehors d'elle ». Par exemple, (1990: 208) au sujet des deux types de procédure d'accès (direct et indirect) à la reconnaissance de mots, en vigueur dans la littérature, il attribue d'après nous implicitement la procédure d'accès indirect à l'activité métalinguistique. Il s'agit de l'application séquentielle des règles de correspondance grapho-phonologiques (du visuel au phonologique12) permettant l'accès au lexique alors que la procédure d'accès direct consiste en l'appariement "spontané" de la configuration graphémique du mot avec sa représentation visuelle en mémoire13. Si Gombert projette au départ de survoler les processus impliqués dans la lecture, il en conclut pourtant un peu rapidement, à notre avis, que l'importance de la connaissance du code phonologique et de l'identification des mots qui y est constatée démontre l'implication des compétences métalinguistiques. Or, rien ne prouve que la procédure d'accès indirecte soit nécessairement consciente et réfléchie. En définitive, alors même que cet auteur fait preuve d'une rigueur remarquable dans la définition initiale de ce concept, on est surpris de constater que le caractère métalinguistique est attribué sans discussion à des procédures qui pourraient aussi bien n'être qu'épilinguistiques. Ainsi, dans sa revue panoramique, cet auteur ne met pas clairement en évidence le statut métalinguistique de certaines opérations en lecture. S'il affirme que « la plupart des capacités associées à la lecture sont d'ordre métalinguistique », bien des opérations dont il est question pourraient tout aussi bien être épilinguistiques. Faut-il en conclure à un glissement du concept, à une dérive méthodologique ? Des travaux ultérieurs déjà évoqués (1994) pourraient nous faire pencher pour cette deuxième hypothèse. En effet, ces recherches comme celle de Bialystok et Mitterer (1987, 1992), cherchent plus à voir le rapport entre les capacités métalinguistiques disponibles chez un individu donné et ses performances en lecture plutôt que savoir en quoi ces capacités métalinguistiques interviennent dans l'activité de lecture / compréhension. Il reste que, au vu de ces

12 Processus parfois également appelé "phonogrammatique" (M. Souchon 1993, d'après Bourquin 1979).

recherches, on peut formuler l'hypothèse d'un lien étroit entre les deux. Peut-être est-ce d'ailleurs ce que Gombert entend par "implication" (cf. infra). Ce qui n'est pas suffisant néanmoins pour affirmer que ces capacités sont intervenues de façon consciente et réfléchie pendant la lecture. Une chose est d'affirmer que les bons lecteurs sont ceux qui possèdent également de bonnes compétences métalinguistiques mesurées par ailleurs, autre chose est de dire que la lecture est sous-tendue par l'activité métalinguistique. La lecture peut se contenter d'utiliser des savoir-faire sans avoir nécessairement besoin d'analyser consciemment les données qui les sous-tendent, qu'elles soient issues du texte comme de l'individu.

C'est un peu le même problème en ce qui concerne la lecture en LE. Si l'on s'y pose bien la question des compétences linguistiques (cf. C. Cornaire 1991: 49) afin de démontrer à quel point les sujets les plus performants sur le plan des savoir-faire métalinguistiques sont aussi les meilleurs lecteurs (voir par exemple l'étude remarquable de M. Cooper 1984 qui met en évidence le handicap d'une compétence linguistique14 limitée pour la compréhension), on se demande peu si l'utilisation de ces compétences et connaissances se fait de façon consciente et réfléchie ou non au moment de la lecture. On peut admettre toutefois beaucoup plus facilement que pour les questions de production orale, que le niveau de compétence métalinguistique est un bon prédicteur de la capacité à comprendre l'écrit en LE, même si en l'occurrence il convient de rester très prudent puisque une corrélation entre deux phénomènes n'implique pas une relation de causalité qui existe peut-être directement ou indirectement (par l'intermédiaire d'une autre variable à qui ils seraient également associés). Ne trouve-t-on pas en effet des sujets disposant de compétences métalinguistiques satisfaisantes

14 Mesurée au moyen de petits exercices sur le sens des affixes, le sens des mots en contexte, la signification syntaxique. On ne peut pas parler selon nous ici de mesure de la compétence métalinguistique puisque le sujet n'est pas invité à expliquer ce qui motive ses choix, il s'agirait plus exactement de performance métalinguistique.

mais peu performants en lecture en langue étrangère ? C'est bien le cas des sujets impliqués dans les expériences qui ont conduit à formuler l'hypothèse du court-circuit des processus de haut-niveau. Il y a de surcroît dans tout cela un biais qui peut fausser ce genre de considération. C'est la polysémie du terme métalinguistique que nous avons déjà pu évoquer. Il nous semble en effet que l'exercice d'un savoir-faire métalinguistique sur une tâche spécifique n'équivaut pas à la verbalisation explicite du raisonnement qui a été suivi pour l'accomplir. En clair, parle-t-on du même concept quand on traite des aspects métalinguistiques des connaissances procédurales ou de ceux des connaissances déclaratives ?

On le voit, nous avons affaire à une problématique complexe qui a beaucoup d'implications sur le terrain didactique. Si l'on réussit à prouver que l'augmentation des connaissances métalinguistiques rend plus performante la lecture / compréhension, cela plaidera en faveur des pratiques d'enseignement explicites. Dans le cas contraire, on argüera que c'est par la pratique intensive et pragmatique qu'on s'améliorera et qu'entre autres bénéfices on en obtiendra un accroissement de la compétence métalinguistique. Quant à savoir si on peut s'approprier la langue cible en exerçant sa compétence métalinguistique en lecture / compréhension, la question a surtout été traitée autour de l'acquisition incidente du vocabulaire par la lecture (cf. J.H. Hulstijn 1994 par exemple). Cette problématique renvoie également à la discussion de l'« input compréhensible » (cf. R.J. Courchêne et al. 1992). Mais, comme nous l'avons déjà indiqué au chapitre 1, pour intéressantes qu'elles soient, au stade actuel de notre recherche, ces préoccupations sont encore prématurées.

L'hypothèse du court-circuitage des traitements de haut-niveau (ou leur perte d'influence) semble être une constante de la lecture en LE, même s'il semble décroître

au fur et à mesure que le niveau de maîtrise de la LE augmente, sans jamais disparaître complètement néanmoins. Si cela peut sembler plausible, nous nous permettrons de faire un certain nombre d'observations.

Premièrement, que la vitesse soit moins élevée n'implique pas nécessairement que la prédominance du traitement ascendant soit à incriminer. Le "retard" peut aussi bien être dû à n'importe quelle autre partie du système interactif d'interprétation, comme au fait que dans l'ensemble, le traitement conscient et réfléchi quel qu'il soit, ascendant ou descendant, est plus répandu, donc plus coûteux en temps.

Deuxièmement, on peut se demander jusqu'à quel point les variations interindividuelles de styles d'apprenants ne vont pas générer des traitements différents. De la même façon, le type d'enseignement auquel le sujet a été exposé, en particulier autour de l'apprentissage de la lecture en LM et en LE, est sans doute susceptible d'expliquer des variations de comportement.

Troisièmement, il est probable qu'il y ait une différence fondamentale entre la procédure d'accès, phonogrammatique ou idéovisuelle, et le mode de traitement de l'information ainsi prélevée. La littérature semble établir un lien de cause à effet entre ces deux procédures et, respectivement, les traitements sémasiologique et onomasiologique. Or, cela ne nous semble pas avoir été démontré clairement. Pourquoi des fonctionnements "croisés" ne seraient-ils pas possibles ?

Quatrièmement, le corollaire de l'hypothèse du court-circuitage est que toute activité métalinguistique conduite pendant la lecture le renforcera très probablement. Il en est conclu que, par conséquent, il vaut mieux ne pas l'encourager et concentrer au contraire les efforts d'enseignement sur l'activité cognitive portant sur les traitements de haut-niveau.