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Difficultés et limites de notre procédure de sollicitation de données

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CHAPITRE 4 : RECUEIL DES DONNEES ET

2. Texte « Jessica » (preguntas idénticas)

4.1.5. Difficultés et limites de notre procédure de sollicitation de données

Nous avons exposé au point 2.9. en quoi les techniques introspectives pouvaient susciter la controverse. Nous nous proposons de voir ci-après si notre propre procédure recèle quelques limitations supplémentaires.

Dans son analyse des obstacles à la lecture en langue étrangère, Souchon (1992: 14) écrit que « l'activité de lecture dans une L2 peu connue du lecteur est une activité dans laquelle le déséquilibre entre émetteur et récepteur atteint presque le point de rupture ». Cela est d'autant plus vrai lorsque la langue est complètement inconnue. Passée la première lecture, quand le sujet a tiré profit des analogies avec le français et des stratégies de lecteur expert en LM et dans des LE connues, il frôle sans cesse le découragement. C'est la raison pour laquelle la difficulté du texte doit être savamment dosée. Et ce dosage nécessaire, nous l'avons signalé, n'est pas chose facile. Pour un public donné, on peut avoir de mauvaises surprises de ce côté-là. Nous croyons avoir réussi à y échapper, mais nous imaginons à quel point le choix des textes en vue d'une élaboration pédagogique où de surcroît il faudra tenir compte des impératifs de la progression, sera difficultueux.

En ce qui concerne la technique de sollicitation de données, nous nous interrogeons aujourd'hui sur la pertinence du "warm-up". Etait-il bien nécessaire ? N'apporte-t-il pas plus de biais que d'avantages ? Dans sa revue méthodologique des techniques introspectives basée sur les travaux de Cohen (1987) et sur ceux de Færch & Kasper (1987), Matsumoto (1994) propose une nomenclature de dix critères pour les caractériser. Elle classe le "warm-up" dans le 7ème, intitulé "Informant Training". D'après elle, l'entraînement préalable de l'informateur est surtout pratiqué pour la réflexion à voix haute simultanée à la tâche – et nous avons vu que, pour partie, notre

procédure y a recours – au moyen de mini-tâches similaires. Si cela lui paraît justifié pour les études fortement structurées, « exigeant de l'informateur une focalisation sur un aspect spécifique de l'utilisation ou de l'apprentissage de L2 » (ibid.: 371, notre traduction), elle affirme qu'en revanche, « pour des études moins structurées, le "warming-up" peut exercer un effet négatif, en orientant dans une grande mesure les données en direction des attentes ou des souhaits du chercheur ». Or, notre technique semi-structurée se situe entre les deux types d'étude. L'échauffement biaise-t-il l'activité métalangagière ultérieurement suscitée ou met-il en condition de l'exercer pleinement ? C'est, nous semble-t-il, une question de point de vue et d'objectifs. Si l'on cherche, dans une perspective purement psychosociolinguistique, à étudier, en conditions réelles, l'activité métalinguistique spontanée d'un sujet francophone face à une langue romane inconnue, alors le biais semble avéré. Mais ce n'est pas notre cas puisque, s'il ne s'agit pas non plus d'une étude en situation d'enseignement (véritable ou simulée), la finalité de la recherche se veut didactique. Il est donc justifié de mettre en condition le sujet de fonctionner à plein rendement en lui communiquant un certain sentiment de confiance, parce que la finalité de la recherche est didactique. C'est bien l'effet que semblent provoquer essentiellement les questions d'échauffement, de par leur objet mais également par le fait qu'elles permettent au sujet de connaître un tant soit peu le lecteur avant de se plonger dans la lecture silencieuse. Dans le cas contraire, la concentration du lecteur pourrait être perturbée. C'est, en outre, un excellent échauffement pour l'introspection, dans la mesure où le sujet s'exerce sur un objet – les représentations – qui ne constitue pas notre cible privilégiée.

Nonobstant, ces questions sont finalement en relatif décalage thématique par rapport aux préoccupations ultérieures de l'entretien. La présentation des finalités de la recherche peut pour sa part avoir une influence bien plus importante. Nous osons croire malgré tout que, sur ce point, nous avons respecté la position intermédiaire préconisée

par Matsumoto quand elle affirme que « la chose importante à considérer pour obtenir des données valables et fiables semble être la nécessité de trouver un point d'équilibre entre la "connaissance" des objectifs spécifiques de la recherche par le sujet et son "ignorance" des techniques de recherche » (ibid., notre traduction). C'était un peu notre cas puisque, malgré nos précisions, il nous a semblé que le sujet restait convaincu qu'on s'intéressait uniquement aux stratégies fructueuses, alors qu'en fait toute stratégie était susceptible de retenir notre attention.

Toujours est-il qu'il était possible de concevoir cet échauffement autrement. Comme une véritable préparation à la lecture éventuellement, peut-être en imaginant une courte lecture problématique en LM ?

Nous avons évoqué au passage dans ce qui précède, à travers la nécessité de communiquer au sujet un sentiment de confiance, ce qui constitue un autre critère mis en évidence par Matsumoto sous le nom de « Researcher-Informant relationship ». C'est pour elle un facteur qui peut avoir une considérable influence sur le processus de verbalisation et qui détermine pour une large part la fiabilité et la véridicité des données recueillies à travers la principale limite de la technique d'introspection consécutive à la tâche, à savoir le fait qu'elle n'empêche pas la construction a posteriori d'hypothèses. En effet, les sujets peuvent en dire plus qu'ils n'en savent vraiment de leur propre cognition, en raison de "l'idée qu'ils se font de ce qu'il serait bien de dire pour être un apprenant idéal ou pour satisfaire la recherche".

A contrario, le sujet peut également dire moins que ce qu'il sait vraiment de sa propre cognition en raison de plusieurs facteurs :

- un objet d'introspection trop vaste, une tâche insuffisamment spécifique – l'introspection reste alors inefficace – ;

- l'automaticité de certains processus sur lesquels le sujet réfléchit les rend inaccessibles, il est alors incapable de revenir dessus, mais le lui demande-t-on ? En d'autres termes, veut-on qu'il spécule sur l'épilinguistique (en ce cas, rien ne permettra de savoir, ni à l'enquêteur ni au sujet, si ce qui est dit est véridique) ou bien qu'il restitue ce qui était au moment de la tâche, son activité métalinguistique ? ;

- la variabilité interindividuelle quant à la facilité verbale : même chez des individus de capacité langagière normale et égale, la capacité de produire des données rapportées par introspection est variable ;

- enfin, en raison aussi des suppositions que le sujet peut faire sur la suite de l'entretien, comme T3 qui n'en dit pas trop à la première question car il a pensé qu'on allait y revenir par la suite. C'est tout le problème de l'emploi du terme "résumer" en Q1, sachant qu'avec son substitut « dites tout ce que vous avez compris », les sujets ont tendance à se livrer à une traduction.

Pour pallier ces difficultés, notre protocole de recueil de données fait appel comme nous l'avons vu, à différents types de données (extrospectives et introspectives, observation par l'enquêteur) ainsi qu'à différents types de techniques introspectives (consécutive, concomitante, après un léger différé). C'est d'ailleurs la parade préconisée le plus fréquemment par les auteurs que nous avons consultés sous le nom de « combination of methods » (C. Færch & G. Kasper 1987, K. Matsumoto 1994). Seule la source, le texte utilisé, ne varie pas. Cette pluralité, jointe au volume important de données ainsi recueillies et à la démarche de l'entretien semi-structuré, n'en facilite pas néanmoins l'analyse. Mais si nous avons rencontré des difficultés, nous avons aussi pu nous faire une idée du bénéfice qu'un apprenant éventuel pourrait tirer de tels

échanges , dans une situation d'apprentissage semi-guidée par exemple (c'est-à-dire par tutorat).

26 Ce qui constitue le 9è critère de Matsumoto (ibid.) : « Degree of benefit to the informant learner ». Critère néanmoins non applicable ici puisque nos sujets ne sont pas des apprenants.