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L'INTROSPECTION COMME METHODOLOGIE DE RECUEIL DES DONNEES

Zone 5 : quand ce recul porte plus précisément sur des aspects métalinguistiques

2.9. L'INTROSPECTION COMME METHODOLOGIE DE RECUEIL DES DONNEES

Pour étudier l'activité métalinguistique du sujet dans l'apprentissage/acquisition des langues, nous avons vu (cf. supra 2.4.2) que les linguistes appliqués ont eu de plus en plus souvent recours à ce que Corder avait appelé les « données intuitionnelles ». Au début des années 80, cette procédure de recueil des données, au contact influent des psychologues et cognitivistes (cf. K.A. Ericsson & H.A.Simon 1980, 1987), est rebaptisée « introspection ». On retrouve ainsi la dichotomie données textuelles/données intuitionnelles sous les termes de données extrospectives/données introspectives47 (K. Matsumoto 1994). La prise en compte de ce type de données et leur reconnaissance s'est heurté semble-t-il à certaines résistances. Les recherches sur l'acquisition de LE utilisant les techniques d'introspection ont même été taxées d'« école psychanalytique » (H.W. Seliger 1983, cité par K. Matsumoto 1994: 373) et leurs résultats attaqués, principalement en raison de la fiabilité et de la véridicité des verbalisations par rapport au véritable fonctionnement interne.

Les techniques introspectives connaissent bien certaines limites mais on constate au fil des années que leur emploi se développe dans le domaine de la recherche sur l'utilisation et l'acquisition des LE. En 1987, un ouvrage panoramique (C. Færch & G. Kasper (éds.) 1987), présenté comme le premier volume entièrement consacré aux recherches utilisant ces techniques, est publié.

L'introspection est utilisée dans de nombreux domaines de la recherche sur l'acquisition de LE : traduction, compréhension écrite, expression écrite, épreuves-test, etc. Elle peut prendre des formes sensiblement différentes. Matsumoto (1994), dans son article consacré à la méthodologie de la recherche sur l'apprentissage des LE, en

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« Introspection refers to "observation of one's own mental and emotional state, or mental processes," whereas extrospection refers to "observation of things external to the self" » (the Random House Dictionary of the English Language, 1987, cité par K.Matsumoto 1994: 378)

distingue quatre : réflexion tout haut, questionnaire, entretien et journal de bord. Ces méthodes fournissent deux types de données qu'il est important de distinguer : les données concomitantes qui surgissent en quelque sorte "en direct", et les données rétrospectives que le sujet retrouve en mémoire ou qu'il connaît suffisamment pour les utiliser fréquemment. Nous nous intéresserons plus particulièrement à la technique de l'entretien puisque nous l'avons adoptée pour notre propre recherche, sans négliger pour autant la réflexion à voix haute dans la mesure où, comme cela sera illustré plus loin, la dynamique de l'entretien nous entrainera souvent vers ce type de situation.

Avec ces techniques, la verbalisation explicite permet de mettre en évidence le caractère conscient – en termes d'awareness si nous reprenons les distinctions de Schmidt (op. cit.) – des processus et stratégies de traitement de l'information (dont l'activité métalinguistique) au moins au moment où ils sont prononcés car il n'est pas facile de distinguer le concomitant du rétrospectif. Ce qui illustre le problème de la véridicité et de la fiabilité de ces techniques. Tous les auteurs recommandent d'ailleurs une extrême prudence lors de l'utilisation de ces techniques, surtout si l'on cherche à décrire les processus de traitement de l'information linguistique par le sujet au moment de la réalisation d'une tâche.

En effet, les techniques introspectives connaissent certaines limites que Matsumoto (op. cit.) passe en revue :

Premièrement, le sujet peut dire moins que ce qu'il sait vraiment de sa propre cognition en raison de plusieurs facteurs :

– le temps écoulé depuis la réalisation de la tâche peut entraîner des oublis ;

– lorsque l'objet de l'introspection est trop vaste, la tâche insuffisamment spécifique, l'introspection reste inefficace ;

– même chez des individus de capacité langagière normale, la capacité de fournir des données verbales rapportées par introspection est variable ;

– l'automaticité de certains processus sur lesquels le sujet réfléchit les rend inaccessibles. La question se pose alors de savoir si on va se limiter aux processus et stratégies conscients au moment de la tâche où si on va pousser l'expérience jusqu'à demander à l'informateur de reconstruire un hypothétique cheminement de son raisonnement de façon à justifier ses productions. En d'autres termes veut-on qu'il prenne conscience de son activité épilinguistique, et même qu'il l'explicite ? Si oui, en ce cas, n'est-ce pas trop demander à l'informateur ? A-t-il les moyens de s'interroger à la place du linguiste appliqué ?

Deuxièmement, l'informateur peut dire plus qu'il ne sait vraiment, en raison de l'idée qu'il se fait de ce qui serait bien de dire pour être un apprenant idéal ou pour satisfaire le chercheur. Pour Seliger (op. cit., rapporté par K. Matsumoto 1994: 376) « les introspections ne sont que les verbalisations conscientes de ce que nous croyons savoir ».

Troisièmement, on peut se demander lorsque le sujet réfléchit à voix haute, si cela ne change pas la nature même des processus cognitifs. Autrement dit, la verbalisation explicite, ne serait-ce qu'à cause du ralentissement de l'activité cognitive qu'elle provoque, ne nous renseigne-t-elle pas seulement sur elle-même et non pas sur les processus habituellement mis en jeu lors de la réalisation de tâches identiques mais sans

"thinking-aloud" ? C'est bien la question de la fiabilité des données qui est alors posée.

Malgré ces limites, les techniques introspectives restent un moyen valable de se procurer des informations qu'on ne pourrait pas obtenir par la simple observation, à

condition de respecter un certain nombre de précautions : réduire le délai de rétrospection, cibler une tâche spécifique avec précision, ne pas compliquer la tâche de verbalisation, croiser les données issues de sources multiples.

Nous verrons au chapitre 4 que notre propre protocole de recueil de données fait appel à différentes techniques introspectives, ce qui se justifie compte tenu de notre objet d'observation : l'activité métalinguistique. En effet, il ne s'agira pas pour nous de mener à bien une étude statistique ni même qualitative sur les stratégies conscientes les plus efficaces lors de la lecture d'un texte en ELVIF, sans que cette dernière dimension soit néanmoins totalement écartée, mais plus précisément de recenser et d'analyser la réflexion consciente sur la langue et le métalangage employé à différents moments d'un entretien semi-directif.

Ces considérations théoriques et générales sur la notion d'activité métalinguistique soulèvent, nous pensons en avoir donné une idée, un nombre considérable d'interrogations relativement complexes. Nous les reconsidèrerons plus loin, autour d'une problématique certes plus réduite, au moment d'analyser les données recueillies et de discuter les résultats et observations mis en évidence dans notre expérimentation.

CHAPITRE 3 :