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Prolongements des travaux du groupe Charlirelle

CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THÉORIQUES FONDEMENTS THÉORIQUES

3/ Travaux du CDL de Grenoble :

2.5.2. Prolongements des travaux du groupe Charlirelle

Dès 1975, année de la parution du cours Behind the words, Bailly trace les perspectives de travail ultérieures: poursuivre l'élaboration selon « une programmation

grammaticale rigoureuse » (ibid.: 102) et « observer […] ce qui se passe qualitativement (et longitudinalement), du point de vue cognitif, chez des élèves, et dans les échanges entre maître et élèves ».

Ce travail sera entrepris dans les années ultérieures par les chercheurs de l'équipe et fera l'objet de nombreux articles, de plusieurs thèses et d'un ouvrage de Bailly (1984). Si l'on ajoute à cela les travaux de didacticiens qui se sont inspirés des théories énonciatives (Par exemple : A. Gauthier 1981, A.-C. Berthoud 1982, M.-H. Clavères 1982, F. Demaizière 1980, A. Trévise 1979) et qui ont été en contact plus ou moins directement avec l'équipe Charlirelle, on voit à quel point ce courant a pu avoir une influence conséquente sur la didactique des langues étrangères en France, même si sur le plan méthodologique proprement dit et sur celui des pratiques, son influence directe a été marginale dans un premier temps si on l'évalue à l'aune de la diffusion du matériel pédagogique. Néanmoins, nombre de leurs idées se sont répandues progressivement, notamment à travers les colonnes de la revue Les Langues Modernes22, et il y a fort à parier qu'ils ne sont pas totalement étrangers à "l'objectif intellectuel" fixé par les I.O. de 1985 (cf. supra), soit 10 ans après la publication de Behind the words.

C'est précisément dans un article paru dans Les Langues Modernes que Danielle Bailly évoque les écueils d'une telle démarche "hyper-réflexive" (1985: 210) . Elle y remet notamment en question la rigidité de la progression grammaticale afin de « relier davantage le traitement des points linguistiques entre eux » et reconnaît que « la vulgarisation linguistique » qui y est présentée a vieilli prématurément. Mais sur le fond rien ne change : « l'esprit dans lequel ces matériaux ont été conçus nous semble toujours valable ». L'activité métalinguistique spontanée des apprenants y est toujours vue avec

22 À tel point que M. Antier, Président d'honneur de l'A.P.L.V., en s'opposant à certaines de ces options, parle dans les colonnes des Langues Modernes (N°2, 1985) du « gang des conceptualisateurs » à propos du Colloque de Cerisy.

autant de méfiance, comme « fortement marquée par des démarches analogiques, surgénéralisant ou amalgamant leurs expériences d'apprentissage, leurs connaissances acquises ou en cours d'acquisition […] » même si l'on concède qu'il faut porter attention aux « démarches personnelles des apprenants » car c'est « grâce à la connaissance de ces phénomènes que l'on peut souvent retracer une relative cohérence interne dans (leurs) systèmes d'erreurs grammaticales ». Ce qui constitue une évolution certaine par rapport aux conceptions initiales où ces démarches spontanées étaient vues comme parasitaires. Encore que l'on puisse se demander si une activité métalinguistique propre peut se développer si on introduit d'emblée un métalangage nouveau (« définitions verbales, métaphores, schémas, gestuelle», ibid.: 210) à travers un modèle métalinguistique inconnu de l'apprenant dans la mesure où il s'agit pour l'enseignant de « justifier telle structure par l'évocation de telle classe de situations extra-linguistiques ». Ce qui peut d'ailleurs le conduire à un autre écueil comme le souligne Petit (J. Petit 1991: 94) à propos d'une expérience ultérieure de Bailly auprès d'un adulte (1990). Il s'agit de « la tentation de vouloir justifier ce qui n'est pas justifiable » qui peut générer des effets pervers chez l'apprenant en le conduisant à négliger ce que Petit appelle « les stratégies extenso-réductives » (op. cit.), à savoir la mise en place de certains automatismes, en privilégiant une attitude que nous qualifierions volontiers d'"hyper-réflexive".

C'est bien pourtant ce projet "hyper-réflexif" qui apparaît explicitement en 1985 quand D. Bailly affirme qu'il s'agit d'un « combat, auprès des sujets, contre l'abandon à l'arbitraire absolu », d'une « lutte au profit de l'intelligibilité des systèmes de signes » afin d'en finir pour chaque enfant avec l'attitude ethnocentriste23. C'est cet objectif que

23 En 1990, Bailly semble avoir relativisé sa position puisque, comme l'explique Petit (1991: 90) « l'ambition de l'auteur consiste à tenter de faciliter et de catalyser l'installation de ces automatismes par la mise en œuvre de considérations métalinguistiques inspirées de la linguistique moderne ».

Candelier résume en suggérant qu'il soit possible de concevoir que « l'acquisition de la pratique de la langue soit ou ne soit pas un objectif prioritaire » (1984: 376) en fonction du moment de l'apprentissage. Proposition que reformule ainsi Antier (1985: 85) pour mieux la dénoncer, dans un article très sévère à l'égard des "conceptualisateurs": « il n'est pas évident qu'on apprenne une langue pour la savoir ». Cet auteur, entre autres griefs, s'attaque vivement au coût en temps que peuvent représenter ces moments de conceptualisation. Sans doute exagère-t-il quelque peu en affirmant que « selon eux , il faudrait (y) consacrer l'essentiel de la classe » car les auteurs, à maintes reprises et dès la parution de la méthode, mettent en garde les utilisateurs contre les durées abusives de cette phase. Mais le risque est là! Preuve en est lorsque Bailly laisse échapper une modalité dangereuse (1985: 211) « cette phase s'effectue en L1 sur L2 et peut être brève » (c'est nous qui soulignons). Compte tenu des critiques potentielles, il aurait été sans doute préférable d'utiliser une modalité d'obligation. L'extension temporelle de l'apprentissage d'une LE dans le système scolaire étant si limité qu'il faut en effet être très attentif à ce facteur lorsqu'on propose de réfléchir sur LE en LM et quelle que soit le type d'activité proposé (de la leçon de grammaire traditionnelle aux activités de conceptualisation). La remarque pouvant s'étendre selon nous à toute situation d'apprentissage guidé tant il est vrai que le rapport "temps investi/efficacité tirée" s'avère prépondérant pour de très nombreux apprenants indépendamment de leur âge et de leurs besoins, même si c'est pour des raisons différentes. Il en va peut être autrement pour les situations d'apprentissage guidées, en autodidaxie (avec matériel) ou en semi-autonomie (alternance semi-autonomie/séance avec tuteur).

Quoi qu'il en soit, et malgré ces réserves, il reste que Bailly a raison de préciser (1985: 212) que « Charlirelle est la seule équipe à avoir tenté l'aventure téméraire de produire une méthode "intégrée", pour l'enseignement, inspirée par la linguistique de

l'énonciation ». Bien qu'aucune évaluation formelle de son efficacité n'ait été réalisée, bien que l'on ne dispose d'aucune donnée quantitative sur sa diffusion ni sur son utilisation au-delà du cercle de ses conceptrices, Bailly (ibid.) n'hésite pas à affirmer en s'appuyant sur les observations de Cain (1985) au sujet de l'autonomisation des apprenants grâce à la conceptualisation, que « dans l'apprentissage effectif de l'anglais, [cette méthode] a fait ses preuves ». Et ceci en offrant l'avantage non-négligeable, en créant « un champ observationnel longitudinal significatif », de « donner l'occasion au chercheur en psycholinguistique de cerner d'aussi près que possible le discours méta- et épi- linguistique des apprenants ». Inutile de préciser que c'est une des raisons principales pour lesquelles le concept de "l'épi-méta" a fait l'objet d'autant d'attention en France depuis une vingtaine d'années, les membres de cette équipe et ceux qui s'y sont liés de près ou de loin ayant largement diffusé les fruits de leur réflexion au niveau des recherches en didactique des langues et en linguistique acquisitionnelle. Or, cela semble bien s'être accompagné de leur part d'un certain désintérêt à l'égard d'autres expériences, non constitués certes en "méthode intégrée", mais ne se limitant pas pour autant à des « travaux savants » (D. Bailly 1985: 210). On peut noter cela par exemple dans le fait que les autres approches conceptualisantes ne sont jamais évoquées, y compris quand il s'agit de dresser un rapide historique des courants méthodologiques (ibid.), où sous le titre « les approches métalinguistiques, réflexives, cognitivistes », cet auteur ne fait figurer que les travaux de son équipe. Réciproquement, Roulet (1980), n'évoque pas les travaux de l'équipe Charlirelle lors de son panorama des approches réflexives. À ce propos, il serait sans doute abusif de parler d'ignorance mutuelle puisque nous savons que les différents chercheurs se sont rencontrés à l'occasion de certains colloques. À vrai dire, cela reste pour nous une énigme. Sans doute manquait-on alors de recul pour rendre compte des différentes expériences. Seuls Besse et Porquier (1984) évoquent les deux approches.