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LECTURE / COMPREHENSION

EN LANGUE ETRANGERE

3.1.INTRODUCTION

Dans le but de sonder la réflexion métalinguistique – spontanée ou non – mise en jeu lors d'une tâche de compréhension d'un texte en Espagnol Langue Voisine Inconnue par des Francophones (ELVIF) et avant d'aborder l'expérimentation proprement dite, nous souhaiterions considérer quelques aspects théoriques autour de la relation entre activité métalinguistique et lecture / compréhension de l'écrit1 en LE. Cela étant, nous tenons à préciser que la lecture ne constitue pas pour nous une fin en soi mais un moyen de susciter l'activité métalinguistique sur la langue voisine grâce à la permanence de l'objet écrit et, du point de vue de la démarche didactique, une première étape de l'apprentissage par habiletés dissociées.

Mais qu'entend-on par lecture et compréhension de l'écrit ? Lecture et compréhension de l'écrit désignent-ils des comportements équivalents, consécutifs, psychologiquement différents, des points de vue différents en fonction des écoles théoriques de référence (psychologie, didactique…) ? Bien des chercheurs et des

1 On évitera de parler de "compréhension écrite", dans la mesure où cette expression, sans doute construite par analogie avec "expression écrite", nous semble impropre. En aucun cas en effet la compréhension est écrite au même titre que l'expression peut l'être.

praticiens les considèrent synonymes comme l'indiquent Souchon (1992a: 19) ou Springer-Charolles (1988: 3) qui attribue à Smith (1971, trad. française 1986: 15) la paternité de l'idée que lire c'est comprendre. Il faut néanmoins préciser que pour ce dernier il s'agissait d'une injonction à objectif didactique dans la mesure où, à l'époque, les pratiques de lecture à voix haute ou de lecture de matériau dépourvu de signification, pour l'apprentissage de la lecture, étaient dominantes. Ce qui avait pour conséquence de faire lire sans comprendre. Or, si la synonymie en question peut se justifier pour l'enseignement, cela ne démontre en rien que, du point de vue des processus, elle soit fondée. Ainsi le terme lecture renvoie-t-il plutôt au comportement lectif – prise d'indices visuelle, mode de parcours du texte, subvocalisation ou oralisation éventuelle, doigt suivant la ligne par exemple – alors que la compréhension renvoie aux aspects cognitifs de la construction du sens, toute considération sur la prise d'indices que constitue la lecture mise à part2. D'ailleurs, comme le signale Sprenger-Charolles (1988: 4) en évoquant « entre autres » les travaux de Kintsch et Van Dijk (1975, 1984 dans G. Denhière 1984), les recherches portant sur ce dernier point se sont faites à partir d'écrits « sans que les auteurs ne se soient jamais posés la question (…) de la spécificité de la compréhension en lecture », mais simplement parce qu'il était « plus simple de pratiquer l'analyse propositionnelle sur des textes écrits » (L. Sprenger-Charolles, op.cit.). Et cela, comme le signale le même auteur, alors même que « les difficultés d'apprentissage de la lecture ne sont pas essentiellement des difficultés de compréhension » (voir aussi C. Alderson et A.H. Urquhart 1984: XIX).

En ce qui nous concerne, nous considèrerons l'ensemble de la problématique de la lecture et de la construction du sens à travers la paire lecture / compréhension de façon à nous ménager la possibilité de traiter distinctement de l'un ou de l'autre phénomène selon les acceptions posées plus haut.

2 Distinction qui n'est pas sans rapport avec celle opérée par Porquier et Vivès (1993: 76) entre « mode d'accès et mode de fonctionnement ».

La compréhension de l'écrit est un secteur de la recherche très actif et très productif ayant fait l'objet de nombreux travaux depuis une trentaine d'années3. Cavalcanti (1987) distingue deux grandes périodes

La première, d'orientation quantitative, a porté sur les produits de la lecture. On a cherché d'abord à mesurer les taux de compréhension au moyen des questionnaires à choix multiples qui avaient pour inconvénient de mesurer un comportement qui ne reflétait qu'en partie le processus de lecture lui-même. Vinrent ensuite les études menées à partir des tests de closure pour lesquels on a formulé les mêmes objections dans la mesure où, d'une part, ils mettent en action des comportements tout aussi indirectement liés aux processus de compréhension et, d'autre part, parce que ces processus sont difficilement inférables à partir des résultats. Une même réponse (voire une non-réponse) pouvant être due à des raisons très contrastées, le taux de plausibilité de l'interprétation de l'analyste reste très élevé.

La deuxième période, de facture qualitative, s'est développée au cours des années 70 autour de l'intérêt pour le processus de lecture, perçu comme distinct du produit de la lecture (cf. C. Alderson et A.H. Urquhart 1984: XVIII) et sous l'impulsion des théories de l'information et de l'informatique. On cherche à dresser des modèles de lecture à l'aide de nouvelles procédures comme l'analyse des erreurs commises au cours d'une oralisation, les protocoles de rappel (W. Kintsch et T. Van Dijk, op. cit.) et, un peu plus récemment, les techniques introspectives (A. Cohen et C. Hosenfeld 1981).

Aujourd'hui cependant, les auteurs qui considèrent ce domaine de recherche s'en tiennent à une grande prudence compte tenu de l'importance des questions qui, comme le rappellent Leblanc et al. (1992: 78), restent encore irrésolues. C'est notamment le cas

3 Signalons au passage que cela justifie, en même temps que la plus grande accessibilité qu'elle présente pour des apprenants débutants, que l'on commence à travailler par cette compétence dans le cadre d'un apprentissage dissocié.

pour ce qui relève de la relation entre activité métalinguistique et lecture. Elle a peu été questionnée en dehors des travaux des psychologues cognitivistes, essentiellement conduits cependant auprès d'enfants au moment ou en vue de l'apprentissage de la lecture en langue maternelle (cf. M. Fayol 1992, J.-E. Gombert 1990).

La recherche sur l'utilisation des LE4 s'est développée à la suite des travaux sur la lecture / compréhension en LM en utilisant ses méthodes d'investigation aux cours des années 80. Si la question du lien entre activité métalinguistique et lecture a peu été posée, des problématiques susceptibles de s'inscrire de plein droit dans la "sphère méta" ont cependant largement été abordées à travers, par exemple, la question des stratégies de lecture au sens de mode d'approche du texte et de gestion de l'information (pour une présentation panoramique de la question, cf. D. Gaonac'h 1987: 163, C. Cornaire 1991, M. Souchon 1992), ou encore autour de tout ce qui renvoie au traitement du lexique (cf. K. Haastrup 1987, D. Singleton 1993 & 1994, J.H. Hulstijn 1992, 1993, 1994, P. Bogaards 1994). Pour recevoir le préfixe "méta-", ces recherches doivent porter sur ce qui est conscient et réfléchi chez le sujet. Ainsi s'est-on beaucoup intéressé, dans une perspective didactique, au premier point ci-dessus évoqué : il s'agissait de faire prendre conscience au lecteur de ses stratégies de lecture afin qu'il puisse les optimiser dans la mesure où l'on a constaté que « les bons apprenants en langue seconde sont ceux qui non seulement connaissent certaines stratégies mais qui savent les utiliser pour faciliter leur propre apprentissage » (C. Cornaire 1991: 42). Ont été conduites ainsi un certain nombre de recherches didactiques portant sur la composantes métacognitive de la lecture / compréhension (R. Garner 1987, P. Carrell 1989a et b) selon la terminologie posée par O'Malley et al. dans leur typologie des stratégies (1987, 1990, cf. également

4 Surtout sur la lecture en anglais langue seconde compte tenu de l'importance capitale que revêt la maîtrise de cette compétence dans cette langue pour la formation initiale, la recherche, etc., dans bien des pays du monde et dans bien des domaines…

A. Wenden et J. Rubin 1987). Recourant le plus souvent à l'introspection au moyen de questionnaires à choix multiples, on ne sait cependant pas si les stratégies en question étaient "conscientes" (selon les distinctions de R. Schmidt 1994, cf. infra 2.8.) ou non au moment de la lecture. Pour ces travaux, la question se pose peu néanmoins, dans la mesure où l'objectif est interventionniste : faire réfléchir le lecteur sur son projet de lecture et sur ses propres processus, conscients ou inconscients c'est-à-dire intentionnels ou non. La description synchronique, quant à elle, de la compétence métacognitive en lecture en LE pour un individu donné importe moins. Dans une perspective didactique, il serait pourtant fort utile de disposer d'un outil pour établir un diagnostic à ce niveau, par exemple au début d'un apprentissage.

Nous avons posé plus haut (cf. infra 2.7.2) que cette dimension métacognitive était en relation d'intersection avec la dimension métalinguistique. Cette localisation reste assez floue. Nous considèrerons cette question au moment de l'analyse des données à partir desquelles nous vérifierons s'il y a lieu de parler d'intersection entre ces dimensions dans une tâche de lecture / compréhension. Auparavant il nous faut poser les questions suivantes :

– peut-on parler d'activité métalinguistique, au sens posé plus haut, lors d'une tâche de compréhension de l'écrit en LE ?

– si oui, quel est le rôle de cette activité métalinguistique ?

– comment situer cette activité métalinguistique par rapport, d'une part, aux modèles de compréhension de l'écrit en LE élaborés à ce jour, d'autre part, à l'activité métacognitive ?

Afin d'apporter des éléments de réponse à ces questions, il est nécessaire de nous placer dans le champ théorique des recherches sur la lecture, lesquelles ont élaboré un certain nombre de modèles pour rendre compte de la lecture en LE.

3.2.LES MODELES DE LECTURE EN LANGUE ETRANGERE

Nous évoquerons ici, de manière très synthétique, les différents modèles de lecture (en LM et en LE) qui ont occupé le devant de la scène depuis une vingtaine d'années. On dispose aujourd'hui d'un grand nombre de publications à visée panoramique en mesure de nous les présenter (par exemple: L. Sprenger-Charolles 1986, P. Carrell & al. 1988, J. Giasson 1990, D. Gaonac'h 1987, 1990, 1993, C. Cornaire 1991, M.J. Hernández Blasco 1991, S. Fernández López 1991, M. Souchon 1992, M. Fayol et al. 1992, C. López Alonso 1994). Comme l'indique Gaonac'h (1993: 87), « la modélisation de l'articulation entre les niveaux de traitement en lecture a permis un certain nombre d'avancées intéressantes, y compris au plan pédagogique dans la conception des entraînements à la lecture ». En effet, ces conceptions sont maintenant largement diffusées auprès des didacticiens, concepteurs de méthode et enseignants de langue. C'est pourquoi nous nous limiterons à rappeler simplement les trois grands types de modèles.

3.2.1. Le modèle ascendant

C'est le modèle ascendant (bas-haut ou "bottom up") ou encore sémasiologique (cf. D. Coste 1977, 1978) qui a généré les méthodes d'apprentissage de la lecture qualifiées d'analytiques. Il fait référence au décodage « des niveaux linguistiques les plus simples (la lettre), pour arriver, progressivement, via la syllabe, le mot et la phrase, au texte ». (L. Sprenger-Charolles 1986: 9). Bien des auteurs (M.A. Clarke 1979, 1980, G.A. Cziko 1980, D. Gaonac'h 1990a, 1990b, B. Bossers 1991) ont signalé à ce sujet que la lecture en LE se caractérise par une prédominance du traitement ascendant, y compris chez les lecteurs experts et très "interactifs" en LM. L'observation de ce « court-circuitage du traitement haut-bas » (M.A. Clarke 1979), a grandement

contribué au développement des pratiques pédagogiques de lecture globale au cours des années 80 (cf. par exemple G. Cortese et F. Angeli 1980).

3.2.2. Le modèle descendant

Le modèle descendant (haut-bas ou "top-down") ou encore onomasiologique (cf. D. Coste 1978) a lui, comme maître-mot, l'anticipation. Non pas que le lecteur devine le sens du texte avant de l'avoir sous les yeux - quoique parfois on remarque que des indices, issus du contexte de lecture, sont pertinents – mais comme l'explique Gaonac'h (1993: 87) parce que « la reconnaissance d'un mot écrit, par exemple (décodage graphémique + accès à l'image phonologique correspondante), est plus rapide si elle est réalisée alors que le sujet a auparavant activé un certain nombre de représentations constituant un «contexte» favorable à cette reconnaissance ». La compréhension est alors « un processus de constructions d'hypothèses, d'anticipations, d'inférences, de construction d'une macrostructure dès la première phase du texte, dès la lecture du titre lui-même » (C. López Alonso 1994).

Ainsi a-t-on lancé sur le plan pédagogique, suite au succès de ce modèle dans les années 70, des pratiques de lecture qui valorisaient la prise en compte des caractéristiques textuelles, le recours au(x) contexte(s) (linguistique, textuel, de lecture), le recours aux "documents et activités préalables" susceptibles d'activer les domaines de référence et champs sémantiques adéquats pour la lecture à venir. Cela en vertu de l'axiome qu'énonce Gaonac'h (op. cit.: 88) en ces termes : « lire n'est pas construire, de toutes pièces, une représentation strictement issue des "informations" écrites, mais suppose au contraire une mise en interaction de ces informations avec des représentations que le lecteur construit avant ou pendant la lecture ».

Si le modèle descendant a donné lieu à d'intéressantes innovations pédagogiques, on s'est rapidement rendu compte cependant que ce n'est pas en

fondant toutes les activités sur lui seul que les capacités de déchiffrage de l'individu se développent d'elles-mêmes. Or, il a été depuis maintes fois démontré, en LM comme en LE, que ces dernières s'avèrent souvent nécessaires à un haut niveau d'élaboration (cf. L Sprenger-Charolles 1986, 1989, P. Carrell et al. 1988). Il est donc indispensable d'y consacrer également une attention pédagogique.

Ce rééquilibrage au bénéfice des traitements ascendants a donné lieu à l'élaboration d'un troisième type de modèle, le modèle interactif.

3.2.3. Le modèle interactif

Le modèle interactif (Cf. F. Smith 1971, D. Gaonac'h 1993) réalise la fusion des deux modèles précédents de façon à pallier leurs insuffisances (C. Cornaire 1991: 24). En effet, des recherches auprès de bons lecteurs ont montré que pour que le processus de lecture atteigne son rendement maximum, on ne peut se contenter de l'un ou de l'autre type de traitement. Il est nécessaire en fait qu'il y ait des interactions continues entre les traitements ascendants et descendants, ou bien si l'on se place sous un autre angle, entre le texte et le lecteur (ou plus précisément ses connaissances antérieures organisées en schèmes – cf. D. Rumelhart 1977, A.-J. Deschênes 1988, P. Carrell 1984a, 1990, R. Leblanc et al. 1992). En guise d'exemple le traitement lexical est tout à fait significatif et nous aurons l'occasion plus loin d'en donner plusieurs exemples. Face à des items lexicaux inconnus, le lecteur qui procède à des interactions va utiliser des indices de tous niveaux, aussi bien graphémiques, lexicaux, morphologiques, syntaxiques, que des connaissances sur l'organisation des textes, leur agencement, ou encore le support dont ils proviennent et/ou les domaines de référence auxquels ils se rapportent.

De nombreux chercheurs se sont alors employés à mieux définir les pôles des interactions, notamment au moyen de la théorie des schèmes ou schémas (cf.

D. Rumelhart 1980) dont nous reprenons la définition à C. Cornaire (1991: 25): « groupement structuré de connaissances qui représentent un concept particulier, par exemple un objet, une perception, une situation, un événement, une série d'actions, etc. ». Les schèmes sont organisés hiérarchiquement, s'influencent mutuellement, et peuvent porter aussi bien sur le monde (schèmes de contenu) que sur des aspects textuels (schèmes formels) ou linguistiques (schèmes linguistiques) (d'après P. Carrell 1990). Mais il semble important de souligner que cette théorie a surtout servi à rendre compte des deux premiers types de schèmes et il semble bien que, par commodité, on ait rangé les sources du traitement bas-haut dans la dernière catégorie. Enfin, comme le précise López-Alonso (op. cit.: 158), il est fait l'hypothèse que le modèle interactif bénéficie d'« un mécanisme de contrôle des différentes activités cognitives ».

3.2.4. Schématisation du modèle interactif

Le but du présent travail, bien entendu, n'est pas la discussion des modèles théoriques sur la compréhension, d'autant moins que nous adhérons pleinement aux principes du modèle interactif. Afin de donner une vision d'ensemble des différents éléments en jeu et de leurs interactions dans un tel modèle, il nous a semblé nécessaire de les représenter dans une schématisation d'ensemble que l'on trouvera ci-après et dont nous commenterons dans les pages suivantes les différentes parties. Cette schématisation s'inscrit dans une démarche heuristique visant à nous permettre de formuler quelques hypothèses sur la localisation de l'activité métalinguistique déployée par le lecteur.

Schémas formels Schémas de contenu

PÔLE TEXTE