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Métalinguistique et métalangagier

CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THÉORIQUES FONDEMENTS THÉORIQUES

3/ Travaux du CDL de Grenoble :

2.7.4. Métalinguistique et métalangagier

Bien qu'il puisse sembler tout à fait naturel que l'adjectif correspondant à

métalangage soit métalangagier, cet usage ne s'est diffusé que très tardivement. Même si Rey-Debove, en 1978 (op.cit.: 21), a fait la démonstration du point de vue

39 Conformément à la proposition de Rey-Debove (1978: 21) « Métalangage servira à dénommer la fonction métalinguistique d'une langue donnée L1, L2…, Ln : métalangage du français, de l'anglais, etc. aussi bien que la fonction métalinguistique en général. Le terme s'appliquera aux énoncés métalinguistiques familiers ou scientifiques-didactiques (naturels ou formalisés) »; ou encore conformément à la définition de R. Titone (1985, cité par R. MacLaren 1989: 6) de « metalinguistic awareness » : « the ability to reflect upon and think about the nature and functions of language »

sémantique, des raisons pour lesquelles « l'étude du langage est métalangagière ou linguistique» alors que « ce serait l'étude du "métalangage" qui serait dite "métalinguistique" »40, elle en conclut néanmoins à l'époque qu'il ne lui semble « pas souhaitable d'aller contre l'usage déjà répandu de ce mot », par "abus de langage" en quelque sorte. Elle recommande donc de garder "métalinguistique" pour signifier "métalangagier". Or, depuis 1978, il semble qu'au vu des publications l'emploi de

"métalangagier" se soit néanmoins répandu41, en particulier auprès des chercheurs en didactique des langues étrangères et maternelles. Sans doute les deux adjectifs sont-ils considérés par nombre d'auteurs comme de sens très voisins42, voire synonymes, ce qui pourrait justifier de nombreuses occurrences du néologisme métalangagier (inconnu des dictionnaires, même spécialisés).

Une autre possibilité à considérer pourrait être que métalangagier serve à désigner l'acception large du métalinguistique que nous avons évoquée plus haut. En conséquence, ce dernier devient une sous-partie des activités métalangagières, en tant qu'activité portant sur le code proprement dit. C'est le cas à Grenoble, où dans la lignée du courant "language awareness" a été créé un groupe de recherche autour des « Activités Métalangagières Interlangues à l'Ecole » (programme « AMIE ») dont le but est défini ainsi par L. Dabène (1994: 161): « inciter l'élève à faire du langage un objet d'observation et de réflexion». Ainsi l'enfant est-il invité, par divers procédés pédagogiques à prendre le langage et les langues pour objet de sa réflexion et à en parler, tant pour en appréhender l'organisation formelle que pour en évoquer l'acquisition, l'utilisation, la substitution, etc. Sont abordés de cette façon les autres sous-domaines du "méta", portant sur le contact, le canal, l'organisation discursive, le para-verbal, les

40 « L'adjectif correspondant à métalangage est métalangagier, puisque linguistique adj., à lui seul, a déjà le sens de "qui sert à étudier le langage", alors que langagier signifie "qui est de nature du langage"» 41 Il est présent par exemple dans les titres de trois articles.du N°9-1994, déjà évoqué, de la revue Repères sur…« les activités métalinguistiques à l'école ».

42 Par exemple, R. Porquier (H. Besse § R. Porquier 1984 : 237) parle en 1984 d' « activité métalinguistique ou (ndr: c'est nous qui soulignons) métalangagière ».

enjeux communicationnels (J. Arditty et D. Coste 1986). Les produits cognitifs de cette réflexion délibérée et consciente sont fréquemment placés au rang des « représentations métalinguistiques, ou plus généralement métalangagières » (A. Trévise 1992: 88). Peu à peu on le voit le domaine métalinguistique se conçoit comme une sous-partie du domaine métalangagier.

Mais comme le signalent Bouchard et de Nuchèze dès 1986, « la conception d'un niveau métalangagier n'est pas sans problème ». L'auto-référenciation du langage est souvent difficile à établir et par conséquent « il est souvent impossible de dire si un jugement porte sur le monde ou sur l'énoncé qui en parle » (ibid.: 56) (par exemple les emplois de dire, de croire, cf. J. Rey-Debove 1978), dans la mesure même où le taux d'intrication entre langage et monde se révèle élevé puisque « une langue donnée est certes le reflet du monde tel que "la force des choses" le fait appréhender (physiologiquement, climatiquement, géographiquement…) à la communauté qui pratique cette langue, mais qu'elle est aussi la grille qui permet à ces locuteurs de "lire" ce monde et qui donc en définitive le constitue pour eux » (R. Bouchard et V. de Nuchèze 1986). C'est cette conception qui est à la base de la taxinomie de Bouchard et de Nuchèze (1986) dans leurs travaux sur les interactions exolingues. Travaux qui ont en outre largement contribué à démontrer que le "méta" était présent aussi bien dans les situations naturelles que dans les situations d'apprentissage guidé « paraphraser, définir, traduire…apparaissent comme des activités métalinguistiques importantes chez le natif comme chez l'alloglotte, apprenant ou non, en situation exolingue, naturelle ou didactique ». L'activité métalangagière est alors fortement liée à la communication, à l'interaction et à sa régulation. Ainsi, à côté des formulations métalinguistiques définies comme « ayant trait aux caractéristiques lexico-syntaxiques des codes utilisés par les participants», les auteurs distinguent-ils des formulations métalocutoires, métadiscursives, métacommunicatives et méta-interactionnelles (R. Bouchard et V. de Nuchèze 1987). Cependant, les auteurs se gardent bien d'extrapoler les activités à partir

des formulations, ce qui les ferait entrer sur un terrain psycholinguistique dans la mesure où « la relation entre formulation et activité est loin d'être bi-univoque » (ibid.: 61)43

comme cela est souvent signalé dans cette discipline.

Ainsi donc l'adjectif "métalangagier" se voit aujourd'hui consacré comme hyperonyme de toute activité "méta" car il permet, aux côtés du métalinguistique, « d'inclure ce à quoi certains ont fait référence à l'aide des qualificatifs "métapragmatique", "métacommunicationnel" ou "métadiscursif" » (A. Trévise 1994: 21). Certes, on pourrait s'attarder sur les modèles théoriques de référence qui sous-tendent les classifications des uns et des autres mais cela dépasserait largement notre propos. Nous adopterons l'acception "consacrée" du terme métalangagier citée par Trévise (voir ci-dessus) pour désigner tout discours qui prend pour objet le langage, de façon consciente et délibérée, sous quelque aspect que ce soit.

On voit bien ce faisant que l'analyse des manifestations métalangagières va poser un problème de taille puisqu'il va s'agir ni plus ni moins que de classer tout discours lié de près ou de loin au langage… ce qui revient à refaire l'épistémologie de la linguistique et des sciences du langage! Peu nous chaut cependant puisqu'au sein de ce domaine métalangagier ainsi défini, nous centrerons notre attention sur ce qui relève plus spécifiquement du métalinguistique, à savoir ce qui dans les verbalisations du sujet fait état « d'un intérêt porté aux relations que les signes entretiennent les uns avec les autres, ou à leurs propriétés sémantiques, morphosémantiques ou morphosyntaxiques » (C. Bonnet et J. Tamine-Gardes 1984: 9). Ce type de réflexion entraîne donc, en plus du fait de parler de la langue, une tentative de description ou d'analyse des faits linguistiques observés, qu'il y ait recours ou non à une terminologie grammaticale "savante".

43 Une fois de plus en vertu du fait qu'une activité peut-être exercée sans qu'il en reste des traces explicites à la surface du discours. D'autre part une formulation peut renvoyer selon ces auteurs à différents types d'activité métalangagière, s'avérant ainsi multifonctionnelle.