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CHAPITRE 2 : FONDEMENTS THÉORIQUES FONDEMENTS THÉORIQUES

1/ Au niveau des adultes :

Pour le français langue étrangère, Besse (1974, 1977) propose de mettre à profit la réflexion spontanée des apprenants sur la langue afin de mener à bien des « exercices de conceptualisation ». Il s'agit d'un moyen de renforcer les règles ou structures déjà intériorisées (dans le cadre d'un enseignement au moyen d'une méthodologie audio-visuelle de niveau 1) au moyen d'un « exercice qui donne à l'apprenant la liberté

6 L. Dabène parle quant à elle à l'époque de la « grammaire subreptice » de la classe de langue, aussi bien pour l'apprenant que pour l'enseignant qui, lorsqu'il explicite malgré tout, ressent un sentiment de culpabilité.

7 Choisis ici pour leur valeur d'exemplification mais on aurait pu en évoquer d'autres: on se reportera pour cela à l'ouvrage de H. Besse et R. Porquier (1984) qui citent également les travaux de M.H. Clavères et A. Coïaniz.

d'exprimer, comme il l'entend et par les moyens qu'il veut (LM, LE, dessins, schémas, etc.) la manière dont il comprend le fonctionnement des données de la LE qu'il est en train d'acquérir, à un moment de son apprentissage ». Cela en respectant deux conditions essentielles :

– la postériorité car la conceptualisation ne peut avoir pour objet que des données linguistiques au moins partiellement maîtrisées ;

– la neutralité en ce sens que le professeur ne doit enseigner aucune description ou simulation grammaticale et doit se limiter à jouer le rôle de facilitateur.

Dans le contexte de l'époque, on le voit, de telles propositions, émises avec d'infimes précautions de façon à ne pas avoir l'air de prendre à revers les objectifs de la méthodologie audio-visuelle dont ils constituent le prolongement (cf. C. Puren 1994) n'avaient pas de quoi soulever une tempête de contestations dans la mesure où leur auteur prend bien garde de se démarquer de tout enseignement explicite d'un modèle métalinguistique et parce qu'elles constituent bien une tentative d'exploitation à des fins didactiques des hypothèses de la recherche sur l'acquisition des langues. En effet, comme l'affirme Besse (1977: 20) ces exercices reposent sur les systèmes intermédiaires dont les étudiants « essaient de donner des descriptions partielles en se guidant sur l'espèce de compétence qu'impliquent ces systèmes ». C'est donc du bout des lèvres et comme à la demande des apprenants eux-mêmes que la problématique de l'enseignement de la grammaire fait son retour sur la scène didactique. Certes, Besse rejette tout apport métalinguistique nouveau de la part du professeur mais il l'encourage pourtant à pousser les étudiants à une réflexion à partir « des moyens métalinguistiques dont ils disposent déjà et selon leurs propres besoins d'apprentissage » (1977: 21). C'est bien là toute la difficulté. On ne sait rien en effet de la nature des présupposés métalinguistiques des apprenants. Sans doute leur modèle métalinguistique de référence est-il fortement marqué par leurs pratiques scolaires autour de la LM. Mais cela reste à vérifier, et à

quelle hauteur ? De plus, toutes les pratiques scolaires ne se réfèrent pas au même modèle métalinguistique si bien qu'on risque de se retrouver face à une hétérogénéité difficile à gérer. On le voit, bien que très prudente, cette proposition méthodologique soulève un certain nombre de questions auxquelles, en l'absence de recherches plus poussées, on ne peut alors apporter aucune réponse.

2/ "Charlirelle":

Une autre approche beaucoup plus marquée par un modèle théorique, celui de la linguistique de l'énonciation de Culioli, est constituée par les travaux de l'équipe Charlirelle qui, dans une logique encore applicationniste8 mais déjà cognitiviste, a cherché à proposer des activités réflexives d'apprentissage de l'anglais dès les débuts de l'apprentissage à des enfants français de 6ème (D. Bailly 1975, 1980b, Charlirelle 1975, A. Cain 1982). Contrairement aux propositions de Besse (cf. supra), il n'y est bien sûr aucunement question de condition de neutralité ou de postériorité. Il s'agit en réalité de rajouter une phase supplémentaire à la démarche de la méthodologie

audio-visuelle9. Entre la phase de répétition/mémorisation et la phase de

transposition/appropriation, les conceptrices du cours « Behind the words » préconisent une phase de conceptualisation/réflexion sur la langue : « notre but est de faire comprendre totalement la composition morpho-syntaxique d'un énoncé et la nature des opérations mentales qui ont été nécessaires pour aboutir aux formes de surface de cet énoncé (…) »10. afin que les élèves puissent « les produire eux-mêmes en toute connaissance de cause » (D. Bailly 1975: 93). S'il est bien prévu de donner la parole

8 Cette logique applicationniste est ouvertement assumée par ses "promoteurs". On prendra pour preuve ce titre d'un article de Bailly (1975): « Pour une application de la linguistique théorique à l'enseignement des langues ».

9 Puren (1988) signale que d'autres cours de langue avaient déjà cherché au préalable à "adapter" les conceptions Structuro-Globales Audio-Visuelles initiales pour l'enseignement secondaire, notamment en ayant recours aux exercices structuraux (cf. ¿Qué tal, Carmen? par exemple de L. Dabène, 1968)

aux apprenants pour qu'ils verbalisent leurs observations sur les faits linguistiques isolés dans des "sketches" soigneusement calibrés puisque chacun d'eux ne doit présenter « qu'une seule difficulté à la fois »11 en partant des « structures les plus productives » (ibid.: 26), la destination métalinguistique de la réflexion ne tolère en revanche aucune incertitude: il s'agit de mettre en évidence une à une les analyses linguistiques réalisées au moyen du modèle théorique de l'énonciation développé par Culioli. A tel point que les auteur(e)s affirment que « une formation linguistique minimale (leur) semble indispensable pour les professeurs » (ibid.: 32). Il faut notamment éviter de retomber dans les pratiques issues de la grammaire traditionnelle qui « expliquait certes l'agencement des formes mais jamais leur raison d'être, et encore moins leur spécificité en tant que traces d'opérations profondes ». On trouve à cet effet des analyses linguistiques en profondeur et en surface in extenso dans le livre du maître n°212. Il est particulièrement intéressant d'y relever que la référence à la langue source (LM), au moment de la construction du savoir linguistique en langue cible, aussi bien pour l'élève que pour l'enseignant, y est une préoccupation constante. La démarche conceptualisatrice13 se fait à partir d'une observation du fonctionnement de la langue source sur un point donné: « une première démarche de participation active pour l'élève où il peut vraiment comprendre comment sa langue maternelle a réalisé certaines opérations, ceci grâce à une analyse de surface », avant de « faire voir aux élèves la solution différente choisie par la langue seconde pour réaliser en surface une opération qui existe en profondeur non seulement dans ces deux langues, mais dans toutes les langues » (ibid. note 8.: 33). À travers ce travail sur la langue et le langage, ce sont de

11 Progression grammaticale discutée et établie, notamment d'après la thèse de 3è cycle de Danielle Bailly,

Appropriation grammaticale et opérations psycholinguistiques, Paris, 1971.

12 Behind the words, livre du maître 2: Fiches conceptuelles et comptes rendus de classe, OCDL, Hatier, 1975.

13 Où l'on peut noter que le terme « conceptualisation » reçoit une acception bien différente de celle que lui attribue Besse dans ses « exercices de conceptualisation ».

façon plus large des objectifs éducatifs qui sont visés: « La démolition de l'ethnocentrisme – proche parent du racisme – est aussi un de nos objectifs » (ibid.: 33).

Mais l'analyse linguistique dépasse largement les "zones de divergence" de la LE par rapport à la LM. Cette démarche méthodologique interventionniste relève d'un postulat que A. Cain résume ainsi en 1982: « Puisqu'à travers leur activité épilinguistique, inconsciente par définition, ou par leurs hypothèses justificatives explicites, les apprenants se fabriquent des systèmes, pourquoi ne pas les amener à s'approprier une métalangue cohérente qui permette l'enchaînement minutieux des faits linguistiques et qui évite les hypothèses fausses dues au syncrétisme, à la transduction et à la juxtaposition». Cette proposition méthodologique a fait certes l'objet d'expérimentation mais d'aucune vérification expérimentale. Elle s'appuie sur la conviction selon laquelle « les élèves sont conscients de ce que ce genre d'explication peut les aider à comprendre et à retenir ce qui autrement ne serait qu'une accumulation mécanique et dénuée de sens en soi » tout en « apaisant leur soif (potentielle ou inconsciente souvent, mais réelle) de connaissance » (D. Bailly 1975: 94). Or, ce postulat avancé comme une conviction forte (op. cit. note 8: 30) et malgré la référence à la psychologie cognitive, s'appuie sur une modélisation encore floue du processus d'acquisition de langue étrangère conçu comme ne retraçant « pas nécessairement la chronologie de l'acquisition de la langue première » bien que celle-ci « joue le rôle d'un modèle très fort auquel l'enfant aura tendance à assimiler la nouvelle langue qui lui est enseignée » (ibid.: 17). C'est bien cette imprécision que révèlent des allégations "flottantes" comme celle-ci : « Grâce à une prise de conscience précoce des opérations mentales sous-jacentes aux énoncés, pourquoi ne pas leur éviter des fautes dues justement à une mauvaise analyse, ou plutôt à une absence d'analyse de la relation entre profondeur et surface ?» (ibid.: 29). Si l'exemple du "de" français traduit systématiquement par "of" en anglais par manque de conscience de la polyvalence du

terme français semble illustrer à bon escient cette affirmation, il reste qu'on ne saurait assimiler mauvaise analyse et absence d'analyse: la première relevant d'une connaissance linguistique explicite approximative et la seconde d'une connaissance implicite calquée sur le fonctionnement de la langue maternelle, « un système grammatical erroné exactement parallèle à celui de la seule langue qu'il connaisse » (ibid.: 30.).

Cependant, cette assimilation peut s'expliquer par le fait qu'à l'époque, en 1975, la recherche sur l'acquisition des langues est largement dominée par l'analyse des erreurs à partir des données textuelles et que le recours aux données intuitionnelles ne s'est pas encore développé dans la recherche. On ignore tout ou presque de ce qui deviendra la notion centrale de la théorie de l'acquisition des LE, à savoir l'interlangue. Preuve en est le statut accordé à l'erreur qu'il faut éviter à tout prix. On vise en somme à court-circuiter le tâtonnement métalinguistique individuel, vu négativement car marqué par « des parasitages divers tels que la référence à une grammaire française à la fois traditionnelle et pseudo-universelle » (D. Bailly 1975: 94), en l'orientant rapidement vers un modèle métalinguistique en mesure d'expliciter les spécificités de la langue cible à différents niveaux de profondeur.