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Après l’influence anglaise de l’Angleterre sur la salubrité, celle des Pays-Bas sur la planification territoriale, la voie écologique nord-américaine du milieu du XIXe siècle apporte une nouvelle dimension environnementale dans le rapport au territoire. Alors qu’à la même époque, la France esquisse les principes d’une politique patrimoniale visant à préserver les monuments les plus emblématiques du patrimoine historique français, les Etats-Unis posent les bases d’une politique de protection de sites naturels. Cette voie que l’on pourrait qualifier de naturaliste, voire de patrimoniale, avant d’être écologique se traduit par la mise en œuvre d’une politique de création de parcs nationaux portée par le gouvernement. Bien avant qu’elle

31 Sources : STEIGENGA Willem., 1963, « L’urbanisation moderne des Pays-Bas », In : Annales de

Géographie, 163, t 72, n° 391, pp. 303 à 313. / ROUSSEAU Sophie, SMEETS Jos, 2007, « Habitat pluriel :

densité, urbanité, intimité. Pratiques néerlandaises », Rapport de recherche du PUCA, Laboratoire de

Recherches Interface, Université Technique d’Eindhoven, juillet 2007, 159 p. / JACQUIER Claude., 2003, « Dispositif de veille internationale sur les politiques intégrées de développement urbain durable aux Pays-

Bas », DIV, 2003, 40 p. / SCHERRER Franck, « La planification spatiale entre stratégies territoriales et politiques urbaines : quelles évolutions pour la planification urbaine en Europe ? », Rapport final, UNR 5600 –

ne soit motivée par des considérations écologiques, on peut comprendre cette démarche de création de parcs nationaux comme un acte politique de fondation et d’appropriation nationale d’une nation naissante.

En effet, cette politique a d’abord été largement insufflée par les milieux artistiques qui ont révélé aux Américains les merveilles naturelles de leurs territoires : les tableaux d’Albert Bierstadt32

vers la fin du XIXe siècle représentant la vallée du Yosemite, ceux de Thomas Moran33

qui eurent une influence majeure auprès du Congrès pour la création du parc national de Yellowstone. George Catlin34

est également cité comme un des initiateurs de l’idée de parc national. Le photographe Ansel Easton Adams35

contribua également par ses photographies en noir et blanc du parc du Yosemite à l’inscription de ces territoires dans le patrimoine culturel américain.

Le compositeur Ferde Grofe36, saisi d’une telle émotion lors de sa visite du Grand Canyon,

retranscrit son expérience dans son œuvre la plus célèbre, le « Grand Canyon Suite ». Dans le même esprit, il composera la « Mississipi Suite » et la « Niagara Suite ».

Autre figure célèbre de l’histoire de l’écologie nord-américaine, John Muir37

, écrivain d’origine écossaise, contribua par ses écrits à diffuser une culture et une philosophie liées à la préservation de la nature. Ses visites et ses travaux menés notamment dans le Sierra Nevada en Californie font de lui un des premiers naturalistes modernes. Sa connaissance et son observation de l’impact des troupeaux de moutons sur les écosystèmes du Yosemite contribuent à argumenter auprès du congrès en faveur de la préservation de ce territoire qui aboutira le 30 septembre 1890. Fondateur d’une des plus puissantes organisations environnementales appelée le « Sierra Club », toujours active aux Etats-Unis, John Muir constitue également une des figures au cœur du débat entre les partisans d’une préservation stricte des milieux naturels et les partisans d’une conservation comme un moyen de gestion intelligente des ressources du pays.

32

Albert Bierstadt (7 janvier 1830 - 18 février 1902), peintre américain d’origine allemande, faisant partie de l’école romantique de l’Hudson River School, connu pour ses toiles des paysages de l’Ouest américain.

33

Thomas Moran (12 février 1837 - 25 août 1926), peintre de l’Hudson River School, connu pour ses toiles des Montagnes rocheuses et du Yellowstone. Sa toile intitulée « The Three Tetons » (1895) est affichée dans le bureau ovale de la Maison Blanche.

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George Catlin (26 juillet 1796 - 23 décembre 1872), consacra sa carrière aux tribus indiennes dont il réalise plus de cinq cent peintures rassemblées dans une collection intitulé « Indian Gallery ».

35

Ansel Easton Adams (20 février 1902 - 22 avril 1984), connu pour ses photographies noir et blanc de l’Ouest américaindont Taos Pueblo Church (1930), Sierra Nevada (1948), Yosemite and the Range of Light (1979).

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Ferde Grofe (27 mars 1892-3 avril 1972), connu également pour ses arrangements, notamment pour l’orchestre de jazz de Paul Whiteman pour lequel il écrit l’arrangement de la « Rhapsody in Blue » de George Gershwin.

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Sous l’influence de ces différents personnages issus des milieux artistiques et culturels, le premier véritable acte fondateur d’une politique environnementale aux Etats-Unis se situe le 30 juin 1864, lorsque le président des Etats-Unis Abraham Lincoln déclare comme terrain public inaliénable la vallée du Yosemite en Californie. Découverte en 1830, la « Yosemite

Valley » devient le premier espace des Etats-Unis à bénéficier d’une protection officielle de

son environnement. Le décret, signé du président et qui fait don de la vallée à l’Etat de Californie, protège la vallée et sa forêt de séquoias de l’exploitation privée.

Toutefois, c’est le parc du Yellowstone38

dans le Wyoming qui devient le premier parc national américain, et sans doute le premier parc national au monde, créé par la loi du 1er

mars 1872. La loi votée par le congrès et signée au mois d’août par Ulysses Simpson Grant, dix-huitième président des Etats-Unis, constitue le premier acte de la mise en œuvre d’une politique patrimoniale liée à la nature à l’échelle d’une nation39

.

Les Etats-Unis inaugurent ainsi un mode inédit de protection de la nature qui trouvera échos dans d’autres pays, notamment en France avec la création, près d’un siècle plus tard, du premier parc national sur le territoire de la Vanoise en Savoie le 6 juillet 196340

. Quelques décennies plus tôt, le 1er

août 1914, la Suisse avait déjà créé un premier parc national en Europe.

Les parcs du Yosemite et de Séquoia sont créés en 1890 ; l’acte organique de 1916 crée le « National Park Service » ayant pour mission de « conserver les paysages et les objets

naturels et historiques et la vie sauvage qui s’y trouvent, ainsi que de permettre d’en profiter d’une manière qui les préserve dans le même état pour les générations futures ».

La politique américaine de protection de la nature conduit à la création de cinquante huit parcs couvrant une superficie de plus de 210 000 kilomètres carrés ; dans cet élan, c’est plus 3 881 parcs nationaux qui sont créés dans le monde au cours du XXe siècle représentant plus de quatre millions de kilomètre carrés.

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Le parc de Yellowstone est déclaré réserve mondiale de la biosphère par l’UNESCO le 26 octobre 1976 et est inscrit au patrimoine mondial de l’humanité le 8 septembre 1978. Les incendies qui le ravagèrent en 1988 entrainèrent une polémique sur les conditions d’intervention des pouvoirs publics ; ces incendies furent considérés comme nécessaires et bénéfiques pour la biodiversité.

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Cette « appropriation » nationale s’inscrit dans la période de la conquête de l’Ouest où des millions de colons vont s’approprier les terres de l’Ouest américain au prix du déplacement et du massacre des populations indiennes.

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L’influence nord-américaine du milieu du XIXe siècle apparaît ainsi comme essentielle dans l’émergence des politiques environnementales à l’échelle mondiale. Elle aura notamment une importance majeure dans l’émergence d’une conscience écologique planétaire à partir du milieu du XXe siècle. Dans son ouvrage intitulé « Chroniques de géographie

économique » et publié en 1965, le géographe Paul Claval41

témoigne de cette influence annonciatrice du début de l’écologie mais aussi des difficultés à concilier aménagement et protection des ressources :

« Il semble que la législation française ait été en avance sur celle de la plupart des pays européens dans le domaine de la protection des richesses naturelles, artistiques ou économiques jusqu’à la fin du Second Empire. Par la suite, les initiatives les plus intéressantes se situent hors de France, dans les pays alpins, dans le monde germanique ou scandinave. Moins que par des mesures législatives, la prise de conscience des problèmes de conservation de la nature s’exprime ici par un mouvement d’opinion, une sensibilité nouvelle. Les Etats-Unis donnent aux pratiques de la conservation de nouvelles dimensions au cours du dernier quart du XIXe siècle : en accordant à la protection de sanctuaires naturels une place que jamais on n’avait osé lui donner auparavant, en ajoutant à la liste des richesses qu’il convient parfois de préserver les civilisations et les cultures, ils innovent hardiment ; leur exemple est suivi par les diverses puissances coloniales, qui créent des réserves ou des parcs naturels, ou reconsidèrent leur politique indigène.

Pour autant, en France, dans les autres pays européens et aux Etats-Unis, il n’y a pas de vue globale des problèmes de conservation, d’aménagement, de protection des ressources et des

richesses. Chaque domaine est considéré de manière indépendante »42

.

4) La naissance d’une politique patrimoniale

Après plus de deux siècles au cours desquels les villes se redessinent sous les règles de l’alignement puis celles des préceptes hygiénistes, la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle marquent l’émergence d’un nouvel enjeu autour de la question patrimoniale. Les thèmes du logement et de la santé publique restent centraux dans les politiques publiques mais la problématique de la préservation des monuments les plus emblématiques du patrimoine historique français suscite une attention de l’Etat. L’influence nord-américaine précédemment évoquée n’aura d’effet sur la définition d’un politique environnementale française qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle. En effet, les sites naturels sont d’abord considérés comme des éléments patrimoniaux, au même titre que des bâtiments ou des monuments dont il faut assurer la préservation en tant qu’élément constitutif du patrimoine national.

41

Paul Claval, géographe enseignant à l’Université Paris IV-Sorbonne, a fondé la revue Géographie et cultures.

42

CLAVAL Paul, 2005, « Chroniques de géographie économique », L’Harmattan, 496 p., réédition des chroniques publiées de 1965 à 1985.

Le 23 octobre 1830, François Guizot, ministre de l’intérieur, présente au roi son rapport sur la création d’une inspection générale des monuments historiques. En 1834, Prosper Mérimée (1803-1870) devient le second titulaire du poste d’inspecteur général des Monuments historiques. C’est sous son initiative que le 28 septembre 1837 est constituée la commission supérieure des monuments historiques qui est à l’origine de la première liste des monuments protégés en 1840.

La loi du 30 mars 1887, loi sur la conservation des monuments historiques et des objets d’art ayant un intérêt historique et artistique national, normalise les règles de la conservation du patrimoine et détermine les conditions de l’intervention de l’Etat pour la protection des monuments historiques. Cette première loi s’applique aux monuments appartenant à des personnes publiques, l’exigence du consentement du propriétaire pour le classement étant requise pour les propriétés privées. La loi instaure le corps des architectes en chef des monuments historiques.

En 1898, les cascades de Gimel (Corrèze) sont le premier site naturel classé. Huit ans plus tard, le 21 avril 1906, est promulguée la loi sur la protection des sites et des monuments naturels de caractère artistique. Résultant de l’action menée par le Club Alpin Français et la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (S.P.P.E.F.)43

, elle constitue la première loi de protection des sites naturels. Il semble cependant que le premier acte de protection d’un espace naturel daterait du milieu du XIXe siècle ; selon Paul Claval, et s’appuyant sur l’ouvrage de Jean Dorst, « la première réserve naturelle semble avoir été

établie sous le Second Empire en France, dans la forêt de Fontainebleau. Dès 1853, un groupe de peintres faisant partie de la fameuse « Ecole de Barbizon » avait été à l’origine du classement de « séries artistiques », d’une superficie totale de 624 hectares : le décret du 13

août 1861 sanctionna cette mesure ».44

D’autres sources faisant également référence à la forêt de Fontainebleau confirment l’influence des milieux artistiques dans la préservation de ce site. Du premier dessin de Lantara en 1760 intitulé « Environs de Fontainebleau », la première gravure, eau-forte de Boissieu en 1764, premier tableau de Bruandet en 1791 intitulé

« Vue prise dans la forêt de Fontainebleau » à l’installation quasi permanente d’artistes à

43

Association nationale de défense du patrimoine, la S.P.P.E.F. est reconnue comme organisme d’utilité publique depuis le 2 mai 1963 et dispose d’un agrément national depuis le 10 février 1978.

44

Pages 136-137 de Jean DORST, 1965, « Avant que nature ne meurt », Neufchâtel, Delachaux et Niestlé, 1ère éd., 2ème éd., 1969, 539 p.

Barbizon à partir de 1824, la forêt constitue un lieu d’inspiration et d’enjeu de préservation ; en 1850, une première négociation s’engage pour éviter une coupes d’arbres ; en 1861, la commission d’aménagement de la forêt remet un rapport dans le quel elle propose d’épargner les futaies et les sites les plus pittoresques pour les artistes et les promeneurs. Un décret répond à ce vœu et crée le 13 avril 1861 la « Série artistique » préservant environ onze cents hectares de forêts mis hors exploitation (le recoupement de diverses sources semble confirmer la date du 13 avril 1861). La forêt deviendra domaine de l’Etat par décret du 6 septembre 1870 et site naturel classé en 196545

. Le principe de création d’un parc national est même évoqué dans un décret du 20 octobre 1892.

Poursuivant la politique patrimoniale engagée, la loi du 31 décembre 1913, loi sur les monuments historiques, complète et améliore les dispositions de la loi du 30 mars 1887 ; elle instaure l’instance de classement et définit le cadre et le statut des monuments historiques. Elle prévoit également une nouvelle mesure de protection, l’inscription à l’inventaire supplémentaire, remplace la notion d’intérêt national par celle d’intérêt public et porte atteinte pour la première fois au droit de propriété en étendant le classement à la propriété privée. Le 10 juillet 1914, la Caisse nationale des monuments historiques et préhistoriques est créée.

Enfin, le 23 juillet 1927, une loi vient compléter le dispositif de la loi de 1913 en instaurant l’inscription à l’inventaire supplémentaire des immeubles qui présentent « un

intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation ». Elle prévoit

deux niveaux de protection : le classement pour un monument présentant un intérêt public majeur et l’inscription pour un monument d’intérêt suffisant.

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Dix neuf ans avant la création du premier parc national nord-américain du Yellowstone, la réunion d’une « commission d’artistes et forestiers » en 1853 mène une âpre lutte avec l’administration des forêts pour aboutir au décret de 1861. La forêt est reconnue comme « réserve de la biosphère » par l’UNESCO en 1998 et classée par décret en 2002 en « forêt de protection » au titre du code forestier français avec la constitution d’un comité consultatif comprenant des associations d’usagers du massif. Le massif de Fontainebleau est le lieu de fondation de la première Union Internationale pour la Protection de la Nature (U.I.P.N.) en 1948 qui deviendra en 1956 l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (U.I.C.N.) puis l’Union Mondiale pour la Nature.

5) Les premiers éléments de planification urbaine

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