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L’exemple des Pays-Bas apporte un autre éclairage sur l’émergence du concept de planification urbaine à travers la « longue histoire de création du territoire », « construit par

ses habitants » (Jean, Baudelle, 2009)29

et posant les fondements d’une « culture » de la planification territoriale (ruimtelijke ordening). Abordé dans son ouvrage sur l’organisation de l’espace, Jean Labasse30 s’appuie également sur l’exemple des Pays-Bas pour expliciter le

poids de l’histoire mais aussi du contexte géographique dans la mise en œuvre d’outils et de politiques d’aménagement du territoire et d’organisation de l’espace.

Conquis et construit par l’assèchement des zones humides des deltas du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut, le pays fonde son organisation politique et technique autour d’un objectif central de protection des polders. Dès le Moyen Age, et bien avant la création des municipalités et des provinces, des syndicats des eaux voient le jour avec comme mission principale d’assurer la pérennité des équipements de lutte contre la submersion des eaux (digues, canaux, pompes). D’abord limitée à l’assèchement de quelques lacs situés dans le nord du pays, la technique des polders se développe à partir du milieu du XVIe siècle et encore plus intensément au XVIIe siècle.

Principalement issue du financement d’investisseurs privés, notamment de la bourgeoisie adossée aux compagnies maritimes, cette conquête de nouvelles terres exacerbe les rivalités entre villes si bien que l’Etat décide en 1836 de classer d’intérêt général l’assèchement de l’Haarlemmermeer. Cette décision constitue un des premiers actes fondateurs du principe de

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Jean YVES, Guy BAUDELLE, 2009, « L’Europe : aménager les territoires », Armand Colin, Collection U, 424 p.

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Jean LABASSE, 1966, « L’organisation de l’espace. Eléments de géographie volontaire », Paris, Hermann, 605 p. ; Jean LABASSE, 1991, « L’Europe des régions », Paris Flammarion, 432 p.

planification de l’aménagement du territoire porté par l’autorité nationale, avec comme objectif d’assurer un meilleur avenir et une prospérité pour l’ensemble du pays, prospérité basée sur le développement de terres agricoles conquises sur les zones submersibles. En effet, cette planification s’opère ainsi autour de trois composantes : la défense nationale, la gestion de l’eau et le développement agricole.

Cette approche stratégique explique notamment l’organisation territoriale qui se met en place à partir du XIXe siècle. Issue de la constitution de 1848, la division territoriale Etat, provinces et municipalités pose les bases d’un principe de décentralisation autour de cette même mission d’assurer la protection des terres ainsi conquises. Cette spécificité géographique et historique détermine une pratique de planification que Jean et Baudelle qualifient de « pro-

active » et cherchant « à créer le territoire ».

Les véritables racines législatives de la planification territoriale apparaissent au début du XXe siècle. En effet, les Pays Bas doivent faire face à la fin du XIXe siècle à une crise du logement ouvrier. En 1901, l’adoption de la loi sur le logement (Woningwet) définit un plan d’extension (uitbreidingsplan) et constitue le premier véritable plan territorial. Il instaure un vaste plan de production et de gestion de logements subventionnés, loi toujours en application et qui a constitué la base légale à la construction de 2,4 millions de logements sociaux.

Ce plan prend plus particulièrement effet à Amsterdam où, sous l’impulsion de son maire adjoint au logement, Florentinus Martinus Wibaut, et avec l’appui de l’urbaniste Berlage, concepteur du plan d’extension Sud de la ville, la ville devient un véritable laboratoire de l’architecture sociale.

Des évolutions législatives introduisent le principe de déclinaison de ce plan à trois niveaux : municipal, provincial et national, organisé de façon hiérarchique.

La particularité de cette loi tient dans son caractère global, traitant à la fois de la question de la planification urbaine, du logement social et de son financement, ce que la France abordera à travers trois lois successives : la loi Siegfried de 1894, la loi Bonnevay de 1912 et la loi Cornudet de 1919.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le plan d’extension, et ses déclinaisons locales, reste véritablement un plan d’accroissement du territoire s’évaluant en plusieurs centaines de milliers d’hectares conquis principalement pour créer de nouvelle terres agricoles. Confronté à un problème de développement démographique, les plans prennent une orientation de document de planification urbaine à partir de 1950 ; l’objectif est désormais d’assurer un

développement urbain et économique équilibré à l’échelle du pays, tout en préservant les espaces verts existants.

Ainsi, la loi de 1965, véritable loi sur l’aménagement du territoire (Wet op de Ruimtelijke

Ordening, WRO), régit l’élaboration des documents de planification urbaine, établissant le

contenu et la portée des différents documents selon leur niveau territorial : le plan d’aménagement national (Planologische kernbeslissing, PKB) au niveau de l’Etat, les plans régionaux (Regionaal Structuurplan) au niveau des régions (regroupements de municipalités), les « streekplannen » au niveau des provinces et les « bestemmingsplannen » au niveau des municipalités.

La géographie singulière du pays explique l’évolution suivie par les Pays-Bas en matière de planification31, passant historiquement d’une stratégie de conquête de territoire à

celle plus récente d’organisation du développement urbain mais où les impératifs environnementaux restent prégnants, en particulier celui de la gestion de l’eau. Le modèle néerlandais constitue également, dans ses principes de décentralisation de l’Etat vers les municipalités, un exemple avant l’heure de ce que la France mettra en œuvre, après les prémices des lois de 1884 et 1890, plus d’un siècle plus tard avec les lois de décentralisation de la fin du XXe siècle.

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