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L’émergence de la dimension environnementale dans les documents d’urbanisme

1) Les premiers principes régaliens : alignement et embellissement

Si l’édit de Sully est considéré comme la première règle d’urbanisme, quarante ans plus tôt, un premier texte signifie la volonté du pouvoir royal de maîtriser les constructions privées vis-à-vis du domaine public. En effet, l’Ordonnance de Charles IX donnée à Orléans au mois de janvier 1560 relative à l’alignement édicte une obligation d’alignement des constructions et de décoration :

« Article XCVI : Tous propriétaires tenus d’abattre les saillies de leurs maisons. Les murs de face seront construits solidement.

« Tous propriétaires de maisons et bâtiments des villes de notre Royaume, seront tenus et contraints par les juges des lieux, abattre et retrancher à leurs dépens les saillies desdites maisons aboutissants sur rue, et ce, dedans deux ans pour tout délai, sans espérance de prolongation. Et ne pourront être refaites ni bâties, ni pareillement les murs des maisons qui sont sur rue publique, d’autres matières que de pierre de taille, briques, ou maçonnerie de maison, ou pierres. Et en cas de négligence de la part desdits propriétaires, leurs maisons seront saisies pour des deniers qui proviendront des louages ou ventes d’icelles, être rédifiées

et bâties ».9

« Article XCVII : Maires et Echevins chargés de la décoration des Villes.

Enjoignons très expressément à tous Juges, et aux Maires, Echevins et Conseillers des Villes de tenir la main à cette décoration et bien public de nos villes, à peine de s’en prendre à eux

en cas de dissimulation ou négligence ».10

Cette première règle curative sera suivie d’une longue série de textes assignant les propriétaires à appliquer divers principes constructifs définis autour de l’idée d’ordonnancement de la ville.

Présenté comme le texte fondateur des principes régaliens appliqués à la construction et préfigurant une forme de droit de l’urbanisme, le premier Édit du 16 décembre 1607 pris par Henri IV relatif à l’alignement (Édit de Sully, article 5, Édit sur les attributions du grand voyer, la juridiction en matière de voirie, la police des rues et chemins, etc …) témoigne de la volonté du pouvoir royal d’intervenir sur les règles de construction des villes :

8

Ildefonso Cerdà i Sunyer (23 décembre 1815 - 21 août 1876), ingénieur des Ponts, urbaniste et architecte, homme politique, réalisa le plan de Barcelone en 1859, « l’Eixample », intitulé plan Cerdà.

9 V. le traité de la Police du Commissaire Lamarre, tome IV, page 125, et suiv. V. aussi l’article IX de

l’Ordonnance du mois de novembre 1563, et celle du 29 décembre 1562.

«- impose aux constructeurs de respecter les principes de l’alignement et donne à l’administration le pouvoir de les y contraindre.

- Cet édit défend qu’il soit fait « aucune saillies, avances, aucun édifice, pan de mur, jambes

étrières…et autres avances sur ladite voirie, sans le congé et alignement du grand-voyer ». «- qui défend expressément de faire aucunes constructions, réparations et confortations de maisons, murs ou édifices sur la voie publique sans le congés et l’alignement du grand-voyer, dont les fonctions de conseil a cassé un arrête du parlement de Paris, du premier juin précédent, comme contraire à l’attribution au bureau des finances de la connaissance des matières concernant la voirie sur les routes construites par les ordres du roi, soit pour l’alignement des édifices bâtis le long de ces routes, soit pour démolition en cas de péril

imminent ».11

Pris dans un souci de prévenir les risques d’incendie, cet édit interdit également les constructions en pans de bois traditionnellement utilisés en ville et à Paris notamment.

Soixante ans plus tard, l’ordonnance du 18 août 1667 fixe une hauteur maximale (16 mètres pour les corniches) pour les constructions du centre de Paris ayant façade sur rue. Dans la continuité de l’édit de Sully et un an après l’incendie qui ravagea le centre de Londres, cette ordonnance poursuit un même objectif de sécurité avec l’obligation de recouvrir de plâtre les pans de bois.

Un siècle plus tard, Louis XV prescrit en 1724 de créer des voiries dans les champs et jardins vendus pour réaliser des constructions et, en 1765, oblige les constructeurs à observer les prescriptions d’alignement sur certaines rues ; ce texte pose les fondements de la notion de protection des voiries publiques. La mise en application de ces premières règles fait rapidement émerger une jurisprudence témoignant de la nécessaire explicitation de la règle. En effet, la déclaration du roi Louis XVI du 8 juillet 1783 spécialement rendue pour Paris, reproduit le même système que celui énoncé dans l’édit de Sully, celui du principe de l’alignement. C’est sur cette déclaration qu’une première jurisprudence apparaît :

« l’obligation de demander l’alignement n’a jamais existé que dans le cas où les deux circonstances suivantes se rencontrent : que les édifices joignent la voie publique, qu’il

s’agisse d’ouvrages à leurs faces ou en saillies, en avance sur la voire publique ». 12

11

Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale ; ouvrage de plusieurs jurisconsultés : mis en ordre et publié par M. Guyot, écuyer, ancien magistrat. Tome Dix-septième. Paris. Chez VISSE. M. DCC. LXXXV

12

Cette déclaration royale et les lettres patentes du 28 août 1784 marquent le passage d’une réglementation architecturale à celle plus urbanistique où les règles de hauteur sont adaptées en fonction de la largeur des voies.

Mais l’année 1783 marque sans doute plus encore la véritable émergence d’une conscience urbaine à travers la publication du Plan de Paris, réalisé par Louis Brion de la Tour13

à partir des relevés d’Edme Verniquet14

. C’est à partir de ce document qu’un premier plan directeur de Paris15

voit le jour, déterminant la hauteur des immeubles par rapport à la largeur des rues, première manifestation de ce qui pourrait être qualifié d’un urbanisme à la française. Succédant au plan très détaillé de l’abbé Jean Delarue daté de 1728, ce nouveau plan servira de fond topographique à la plupart des plans de Paris du XIXe siècle. Engagé en 1775, officialisé par le roi en 1785 et achevé dans son assemblage complet en 1799, ce plan, œuvre colossale de Verniquet, fut gravé sur cuivre, nécessitant 650 kg de métal. Si les minutes originales du plan des artistes et des plans de Verniquet ont disparu, des reconstitutions et reproductions ont permis de conserver la trace de cette œuvre.

Publié en l’An II de la république, une commission16

publie en 1794 le « plan des artistes » d’Edme Verniquet (Plan de 1790, publié en 1796) et de Charles de Wailly (Plan d’embellissement de la ville de Paris de 1789), plan de rénovation de Paris qui propose un plan général d’embellissement et d’alignement (pour les rues d’au moins 30 pieds) ainsi que la réalisation de places à ordonnance. C’est sous ce principe de création de grands axes que s’engagera en particulier le chantier de la rue de Rivoli (de 1806 à 1835) sous le Premier Empire et poursuivi à la période haussmannienne sous le Second Empire dans sa jonction avec la rue Saint Antoine de 1849 à 1856. Mais au-delà des principes d’organisation et d’alignements des voies, ce plan de rénovation aborde également les questions d’approvisionnement en eau, de circulation, d’équipements publics.

13

Ingénieur géographe du Roi (1756 - 1823), collabora avec Louis Charles Desnos pour la réalisation de globes et sphères pour le roi du Danemark.

14

Architecte (1727-1804), collabora avec Buffon pour la réalisation de nombreux édifices ; travailla à l’aménagement du Jardin des Plantes.

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Un premier plan d’aménagement de Paris a été réalisé en 1675 et publié en 1676 par Bullet (Pierre Bullet, architecte du roi et de la ville) et Blondel (François Blondel, directeur de l’académie d’architecture), sous Louis XIV. Le plan donne un « état présent de la ville de Paris » mais aussi « les ouvrages qui ont été commencés par

les ordres du roi et qui peuvent être continués pour la commodité publique ». Sources : Musée Carnavalet,

Histoire de Paris.

16

La commission comprenait quatre inspecteurs généraux de la voirie, Verniquet, Carrez, Callet, Galimard, sept architectes, Petit-Radel, de Wailly, Mouchelet, Pasquier, Lenoir, Chabouillé, Gombault (LAVEDAN Pierre, HUGUENEY Jeanne, HENRAT Philippe, 1982, « L’urbanisme à l’époque moderne : XVIe-XVIIIe siècles », Bibliothèque de la Société française d’archéologie, Droz, Genève, 310 p.

Le principe de l’alignement constitue une des règles fondatrices de l’urbanisme de la fin du XVIIIe siècle. Des plans d’alignement seront établis sous la Révolution (Loi de 1791), le Premier Empire (loi de 1807) et dans la loi municipale du 5 avril 188417

. Sous le Premier Empire, la loi du 16 septembre 1807 marque l’application de ce principe à tout le territoire français : dans toute ville de plus de deux mille habitants, un plan d’alignement indiquera dans chaque rue la ligne que les façades ne peuvent dépasser. Lente à se mettre en œuvre et confrontée à la réticence des propriétaires, cette règle nécessitera, pour être appliquée, d’introduire progressivement la législation en matière d’expropriation, première loi sur l’expropriation adoptée en 1841 également rendue nécessaire par les nouveaux enjeux de lutte contre l’insalubrité. Cette première inflexion des outils législatifs en faveur de la salubrité est confortée en 1848 par l’adoption d’une loi relative à la mise en place des conseils départementaux d’hygiène et préconisant l’installation et l’entretien des égouts, l’alimentation en eau potable.

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