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Dans le même esprit de la politique de planification initiée par Jean Monnet à travers le premier Plan, la reconstruction des logements détruits et la rénovation des centaines de milliers d’habitations insalubres passent par la mise en œuvre d’un vaste plan d’action à l’échelle nationale et porté par une véritable politique d’aménagement du territoire supposant une vision nationale coordonnée et une remise en question des outils d’urbanisme mis en œuvre jusqu’alors.

Sous l’impulsion d’Eugène Claudius-Petit66

, ministre de le Reconstruction et de l’Urbanisme de 1948 à 1953, se dessinent ainsi les lignes d’une politique d’aménagement du territoire à travers son rapport présenté au conseil des ministres et intitulé « Pour un plan

national d’aménagement du territoire ». L’exigence d’une stratégie nationale fut confortée

par le constat du géographe Jean-François Gravier dans son ouvrage publié en 1947 « Paris et

le désert français », faisant le constat du déséquilibre provoqué par le développement

exorbitant de l’agglomération parisienne au détriment du reste du pays et notamment des agglomérations provinciales.

Le rapport d’Eugène Claudius-Petit, considéré comme le texte fondateur de la politique d’aménagement du territoire en France, pose les grandes orientations en matière de logements mais surtout de planification territoriale en dénonçant l’insuffisance des outils locaux face aux enjeux nationaux :

« L’aménagement du Territoire se distingue du plan de production et d’équipement par le fait

qu’il ne concerne pas tant des problèmes de production que (…) des problèmes de répartition et de meilleure utilisation du terrain. Il déborde des plans d’urbanisme parce qu’il pose les problèmes non pas dans le cadre des villes et des agglomérations, mais dans le cadre des régions, et du territoire national tout entier. En gros, l’Aménagement du Territoire, c’est la recherche dans le cadre géographique de la France, d’une meilleure répartition des hommes,

en fonction des ressources naturelles et des activités économiques »67

.

66

Eugène Claudius-Petit (22 mai 1907 - 24 octobre 1989), ministre au M.R.U. du 11 septembre 1948 au 7 janvier 1953 ; résistant membre fondateur du Conseil National de la Résistance. Figure politique centriste, élu député de la Loire, il occupe également le poste de ministre du travail et de la sécurité sociale. Il dirige la Sonacotra de 1956 à 1977. Ami de Le Corbusier, fait réaliser par l’architecte dans la ville de Firminy, dont il est maire, une cité radieuse ainsi que divers équipements publics Il joue un rôle important dans l’adoption de la loi sur l’avortement en 1974. Originaire d’Angers, sa ville natale.

67

ALVERGNE Christel, MUSSO Pierre, 2003, « Les grands textes de l’aménagement du territoire et de la décentralisation », DATAR, La Documentation Française, Paris, 400 p.

Dans ce sens, le rapport apporte une lecture critique du cadre de l’urbanisme mis en place depuis 1919 :

« Les principes d’un aménagement fonctionnel ont été définis, pour les villes et les villages,

par la législation de 1919, puis étendus aux régions en 1935. La loi d’urbanisme de 1943 codifie les textes antérieurs sans élargir leur objet et sans apporter d’innovation marquante : bien qu’elle constitue un Comité National d’Urbanisme ayant compétence pour se prononcer sur les questions d’Aménagement National, elle ne contient aucune indication positive sur ce sujet, et traite uniquement des projets communaux et régionaux ainsi que des lotissements. Cependant, il est bien évident que les phénomènes économiques et démographiques, avec leurs conséquences sur l’équipement immobilier et la structure foncière, ne peuvent plus être contenus dans le cadre trop étroit de la commune et même de la région, telle que l’entend la loi d’urbanisme, c’est-à-dire un simple groupement de communes liées par une similitude

d’intérêts »68

.

Le rapport alerte également sur le risque d’un développement déséquilibré du fait de l’absence de vision nationale et coordonnée :

« Il est bien évident que la répartition, à travers le territoire national, des équipements

essentiels du pays et des groupes d’habitations qui en sont souvent le complément, ne peut être laissée au gré d’initiatives dispersées, sans autre précaution que d’observer les règles d’urbanisme communal ou régional, sous peine d’engendrer un désordre profond, d’autant plus désastreux qu’il s’inscrirait sur le sol en signes durables, sous les espèces de la pierre, du fer et du béton. Il est certain qu’une partie de ces équipements fait déjà l’objet d’une planification à l’échelon national (…). Mais cette coordination se fait par secteurs verticaux, par branches d’activités, et qu’il y a lieu de craindre que les différents services responsables, entraînés par les nécessités techniques qui leur sont propres, ne négligent celles des secteurs

voisins »69

.

Cette nécessité d’une politique nationale d’aménagement du territoire, conduisant l’ensemble des politiques sectorielles et orientant le contenu des documents de planification autour d’enjeux nationaux est clairement énoncée dans la conclusion du rapport. Elle constitue sans doute une forme de préfiguration de l’esprit des grandes lois d’urbanisme qui se succéderont au cours des décennies suivantes autour d’enjeux nationaux : loi de 1967, loi Solidarité et Renouvellement Urbain de 2000 sur les enjeux de lutte contre l’étalement urbain, loi Grenelle 2 de 2010 pour un urbanisme durable :

« Il est permis de conclure que notre législation d’urbanisme n’est pas à la mesure des

profondes mutations qui, dans l’ordre économique, démographique et social, sont en voie de s’accomplir dans notre pays, et de bouleverser sa structure ; (…) nos méthodes d’aménagement sont au niveau de la commune, sinon de la parcelle ; il faut les élargir, les mettre à l’échelle des faits économiques et sociaux de notre temps. Une politique d’aménagement du territoire ne portera ses fruits que si elle est conçue et poursuivie dans le

68Ibid., Note 67

69

cadre de la nation tout entière ; les plans d’urbanisme, communaux et régionaux, devront

s’insérer dans les grandes perspectives d’un Plan d’Aménagement National »70

.

5-7) La création du code de l’urbanisme

C’est au cours de cette décennie de la reconstruction que se constitue le cadre législatif contemporain de l’urbanisme ; en effet, la loi du 23 mai 1953 engage la procédure de codification des textes législatifs concernant l’urbanisme et l’habitation et aboutit au décret du 26 juillet 1954 instaurant le Code de l’urbanisme et de l’habitation.

Un an plus tard, le décret du 25 août 1955 crée le Règlement National d’Urbanisme (R.N.U.) qui détermine les règles de localisation, de desserte, d’implantation, de volume et d’aspect des constructions en dehors des plans d’urbanisme.

Dans le domaine du logement, la loi-cadre du 7 août 1957 met en place la politique des Zones à Urbaniser en Priorité (Z.U.P.). Premier outil de ce qui amorcera par la suite une politique de la ville, la loi prévoit un programme quinquennal de construction de logements HLM (trois cent mille par an)71 ; incitant à la construction de logements collectifs sous la

forme de grands ensembles, la politique des Z.U.P. marque une rupture avec l’urbanisation pavillonnaire qui avait dominé pendant la période de l’Entre-deux-guerres. Dans sa vocation d’outil d’aménagement, la Z.U.P. introduit une innovation en prévoyant dans son programme la création d’équipements collectifs nécessaires à la vie du nouveau quartier. Implantées à la périphérie immédiate des villes de plus de dix mille habitants, les Z.U.P. apportent une réponse surtout quantitative à la demande de logements. Dans le même temps, les premiers mécanismes de rénovation urbaine se mettent en place, notamment dans le but de faciliter l’accès de l’automobile.

Dans le domaine de l’urbanisme de planification, c’est le décret du 31 décembre 1958 qui constitue la principale évolution des projets d’aménagement issus de la loi de 1943. Introduite par le ministre Pierre Sudreau72

, la loi fait évoluer les documents d’urbanisme selon deux niveaux hiérarchiques et territoriaux :

70

Ibid., Note 67

71

En dix ans, 195 Z.U.P. seront aménagées produisant 803 000 logements sur toute la France.

72Pierre Sudreau (13 mai 1919 - 22 janvier 2012), commissaire à la Construction et à l’Urbanisme de la région

parisienne de 1955 à 1958, devient ministre de la Construction en 1958 et 1959, ministre de l’Education nationale en 1962.

- « les plans d’urbanisme directeur » succèdent aux projets d’aménagement ; ils sont arrêtés au niveau central et dessinent le cadre général de l’aménagement;

- « les plans d’urbanisme de détail » qui apportent des compléments concernant certains secteurs ou quartiers et qui peuvent être facilement révisés ou adaptés.

La décennie des années soixante est marquée par la poursuite de l’adoption de différents textes complétant les dispositifs déjà mis en œuvre :

- Décret du 13 avril 1962 permettant aux petites communes de se doter d’un « plan d’urbanisme sommaire »,

- Loi du 21 juillet 1962 instituant les Zones d’Aménagement Différé (Z.A.D.), - Loi du 4 août 1962 et décret du 13 juillet 1963 relatif aux secteurs sauvegardés,

- Décret du 14 février 1963 portant création de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (D.A.T.A.R.)73

.

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