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PREMIERE PARTIE LA SAINT-BARTHELEMY

4 LA SAINT-BARTHELEMY AU XIX E SIECLE

4.2.3 Une vision de l'Histoire partisane

L’historiographie, au XIXe siècle est clairement engagée sur la voie d’une science. Cependant ni Michelet ni Roederer

,

quelles que soient leurs prétentions à l'ob-jectivité scientifique, n'échappent à l'influence des facteurs idéologiques.

Michelet surtout met de côté l’impartialité idéale de l’historien et se laisse in-fluencer par ses opinions politiques : « Je le déclare, cette histoire n’est point impartiale. Elle ne garde pas un sage et prudent équilibre entre le bien et le mal. Au contraire, elle est partiale, franchement et vigoureusement, pour le droit et la vérité 137». L'auteur veut

134 Ibid, p. 51. 135 Ibid, p.24. 136 Ibid, p.399. 137Ibid, p. 11.

dire par là que son histoire des guerres de religions est écrite en faveur de l’un des deux partis en présence à cette époque. Lorsqu’un personnage lui déplaît, il n’hésite pas à forcer le trait et à nous le présenter sous un jour extrêmement défavorable. Son goût du portrait le porte à peindre en moraliste les vices des personnages qu’il abhorre. Cathe-rine est plus basse et plus intrigante encore que ne la représente la tradition historique. Marie Stuart est bien toujours la dangereuse sirène que nous connaissons, mais elle a cessé d’être touchante ; sous ses dehors brillants, l’historien insiste plus que ne le fait la tradition historiographique sur la noirceur de la jeune reine :

François II et sa jeune reine Marie Stuart faisaient un grand contraste. [...]Il n'avait pas fallu moins que la violence des Guises, leur féroce impatience, pour marier cet enfant malade, que sa mère défendit en vain. On a vu qu'ils le mirent avec leur dangereuse nièce Marie Stuart (pour le gouverner ? ou le tuer ?), comme on jette une cire au brasier138.

Dans ce portrait du duc François de Guise, on est frappé par le caractère péjoratif de la description :

François, d'un teint grisâtre, plutôt maigre, d'un poil blond gris, d'une mine réflé-chie, mais basse, malgré sa nature fine et sa décision vigoureuse, n'a rien d'un prince. Figure d'aventurier, de parvenu qui voudra parvenir toujours. Plus on le re-garde longtemps, plus il a l'air sinistre 139.

Il faut remarquer que Michelet reproche aux figures politiques du XVIe siècle d’ignorer les conceptions philosophiques du XIXe siècle et les idéaux généreux de la Révolution. Il ne les juge pas pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils devraient être en fonction de l’idée qu’un historien de son temps se faisait de la justice et du bien moral. Michelet fait le parallèle entre ces massacres d’intérêts et ceux qui sont commis sous la Terreur :

Les massacreurs d’août 1572, comme ceux de septembre 1793 (je l’ai fait remar-quer ailleurs d’après les pièces originales), furent en partie des marchands ruinés,

138

Ibid, p. 183.

139

des boutiquiers furieux qui ne faisaient pas leurs affaires. Un seul, l’orfèvre Crucé, se vantait d’avoir égorgé quatre cents hommes140.

Michelet répond aux critiques des catholiques de son temps sur les massacres de la Terreur par l’évocation des exactions toutes aussi cruelles des catholiques au XVIe siècle.

Dans son ébauche historique sur la Saint-Barthélemy, Pierre-Louis Roederer in-siste sur sa dimension tragique en entrant dans le détail des passions violentes qui ont conduit les individus à de si cruelles extrémités. Si Pierre-Louis Roederer raconte l'his-toire, c'est pour attirer l'attention sur les maux de son époque :

Quand, au mois d'août 1829, Charles X a composé un ministère pour le renverse-ment de la liberté, il y a fait entrer un personnage fameux par un plan de proscrip-tion hautement manifesté, et par ce propos que le roi, à son retour de l'exil, aurait

dû faire tomber soixante mille têtes. J'ai eu la curiosité de revoir l'histoire de la

Saint-Barthélémi, d'étudier toutes les circonstances de cette grande proscription, et de vérifier si une cour perverse ne pourrait pas la recommencer de nouveau141.

Les épisodes sanglants du passé pourraient se répéter, dans la mesure où la France est à nouveau dirigée par un roi despotique qui bafoue les droits des citoyens. L’historien établit des correspondances entre la cour intrigante de Charles IX et le gou-vernement autoritaire de Charles X. Ce dernier, par des interdictions abusives et des lois répressives limite les libertés et les droits des français au risque de déclencher un nou-veau massacre. Roederer fait également le lien entre les événements les plus marquants de la période révolutionnaire et le massacre de la Saint-Barthélemy :

La Saint-Barthélemy fut une grande boucherie du pouvoir absolu dominée par les grands, ou du despotisme et de l’anarchie […] C'est un coup d'état, un crime poli-tique. C'est le crime de l'ambition effrénée de Catherine de Médicis ; disons : C'est le crime d'une cour où le despotisme et l'anarchie régnaient ensemble, ou plus sim-plement : C'est le crime du despotisme, car l'anarchie était son ouvrage […]. Est-il une leçon plus utile que ce grand crime pour prémunir tous les esprits contre le pouvoir absolu qui l'a enfanté ? Et pourquoi refuserions-nous cette instruction ? N'est-elle pas pour nous un motif de chérir la révolution qui, en 1789, a rendu

140

Ibid, p. 256.

l'existence de ce fléau désormais impossible, et de nous dévouer à la constitution qui l'a consacrée 142?

Sa compréhension de la Saint-Barthélemy est influencée par son expérience po-litique et sa pensée. C’est la tyrannie d'une cour corrompue, qui l'a déclenchée et l'a rendue nécessaire.

Au XIXe siècle, les intellectuels adoptent vis-à-vis de la Saint-Barthélemy plu-sieurs attitudes. En premier lieu, les protestants, sans surprise, méprisent le clergé catho-lique qu'ils tiennent pour le vrai responsable du massacre. De leur côté, Les libéraux s’indignent du crime du 24 août 1572. Ils s’en prennent à la royauté et ses méthodes répressives. Certains écrivains monarchistes, sans pour autant cautionner le massacre s’efforcent d’en expliquer la nécessité politique. D’autres écrivains approuvent le prin-cipe même de la Saint-Barthélemy. Ce sont les croisés du Trône et de l'Autel. Leur posi-tion rejoint celle des fanatiques du XVIe siècle :

Pour J. Morel la tuerie constituait « le plus grand acte politique de Catherine de Médicis ». P. Montajaux partageait cet avis : «il est indigne d'un homme d'Etat de reculer devant quelques gouttes de sang versé... quand il s'agit du salut d'un peuple », affirmait-il. Il comparaît le massacre à une opération chirurgicale où l'on «perce un abcès plein de pourriture.... pour empêcher le corps tout entier de se gan-grener ». Montajaux estimait que des désastres auraient été évités à la France si la Saint-Barthélemy avait eu lieu plus tôt en 1557 par exemple ou si, en 1572, elle avait été plus radicale. «Ce qui étonne, concluait-il, ce n'est pas la Saint-Barthélemy, c'est la patience et la longanimité des chefs nationalistes de l'époque143

Au XIXe siècle, la Réforme et la Saint Barthélémy suscite chez les intellectuels un vif intérêt. Ils considèrent dans ces événements une clef d’interprétation permettant de comprendre la France moderne.

142

Ibid 250, p.-251

143

Jean Bauberot, « La Vision de la Réforme chez les publicistes anti-protestants », in

Un événement est un fait qui se produit à une date et dans un lieu bien détermi-nés. Il échappe à la banalité du quotidien et se distingue par son caractère exceptionnel. Il ne peut concerner un seul individu, sa portée est toujours collective. Il revêt une signi-fication particulière. Il est le symbole de quelque chose. Il constitue une rupture dans l’Histoire et modifie durablement ce qui le suit. La Saint-Barthélemy se distingue d'un simple fait par son caractère exceptionnel et unique. Elle s'inscrit dans l'Histoire comme un événement qui a introduit une rupture dans son cours. Elle devient un événement fondateur qui a la double fonction de faire coupure et de constituer une origine.

En menaçant la légitimité du pouvoir royal, la Saint-Barthélemy a modifié les mentalités et engendré un divorce entre le roi et ses sujets dont la Révolution française constitue l’issue finale. La monarchie absolue de droit divin fait du monarque le déposi-taire de la volonté de Dieu. La souveraineté est entièrement attachée à la personne royale. Or, la Saint-Barthélemy met en cause la personne même du roi et annonce la fin de son pouvoir ; elle met à mal l’image du roi justicier même si l’idée de l’existence d’un complot ourdi par les réformés se répand. Contrairement aux précédents mas-sacres, c’est le roi lui-même qui est à l’initiative de la tuerie et qui de ce fait en assume la responsabilité. Ainsi, la Saint-Barthélemy ne peut être comparée, en aucun cas, aux autres tueries perpétrées dans le royaume auparavant. L’énormité du fait ne tardera pas à se propager dans les productions littéraires contemporaines. Les apologistes catholiques, comme Capilupi et Claude Haton, justifient le massacre par la légitime défense d’un roi juste contre le complot des sujets félons, tandis que les chroniqueurs réformés, comme Agrippa d'Aubigné répondent par la thèse de la barbarie « papiste » et le crime prémédi-té par Catherine de Médicis, la reine machiavélique.

La Saint-Barthélemy apparaît comme une impasse, un mur au-delà duquel il est impossible d’envisager l’avenir. Le massacre constitue alors une transgression puisqu’il s’accomplit en temps de paix. De surcroit, il se produit à Paris, sur le lieu même du pouvoir, jusque dans le palais du Louvre et procède de la volonté du roi. C’est pourquoi la Saint-Barthélemy marque la fin du règne des Valois. Il légitime ainsi l’avènement des Bourbons succédant aux derniers Valois dégénérés et justifie la coexistence confession-nelle. Les scènes du massacre, telles que les nourrissons jetés à la Seine et les femmes exposées nues resteront gravées dans l’imagerie française. Le souvenir populaire ne

retient du massacre que ces scènes horribles et abominables qui ont bouleversé l’Histoire de la nation. Ces scènes se transmettent de génération en génération à travers les siècles sans rien perdre de leur atrocité. En effet, le massacre constitue un acte si terrifiant qu’il suscite des narrations idéologiques, savantes et mémorielles pour lui donner sens. Le temps en fait un mythe, lui donne une valeur fondatrice, explicative, référentielle. Une fois désincarné, l’événement devient un symbole. la Saint-Barthélemy est le premier jalon de la France moderne. En dehors des prises de position proprement religieuses, les historiens ou les écrivains ont au cours des siècles imprimé à la Saint-Barthélemy le sceau de leur temps.

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