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MERIMEE, BALZAC, DUMAS

2 LA REPRESENTATION DU CONFLIT

2.1.2 Amants ennemis

1.2.2.1 Un amour fatalement voué à l'échec

Le fait que Bernard s'obstine à refuser ce passage de l'amour humain à l'amour divin met Diane au désespoir. Pour ce fervent protestant, ces deux amours ne sont pas sur le même plan. Son amour pour Diane est une affaire de sentiments et d'attrait

phy-sique, alors que sa foi repose sur la raison. Le passage d'un amour à l'autre est donc im-possible. Diane tente en vain de comprendre son amant, car toutes ses pensées, tous ses actes lui viennent des mouvements spontanés de son cœur. Chez elle, la raison ne tient aucune place, elle est une créature d'instinct encore proche de l'animalité :

Oh! garde-t'en bien, Bernard! Merci de moi! je ne lis pas les Écritures, comme font les hérétiques. Je ne veux pas que tu affaiblisses ma croyance. D'ailleurs, tu per-drais ton temps. Vous autres huguenots, vous êtes toujours armés d'une science qui désespère. Vous nous la jetez au nez dans la dispute, et les pauvres catholiques, qui n'ont pas lu comme vous Aristote et la Bible, ne savent comment vous répondre. (Ch, p. 235)

L'amour qui unit ces deux êtres de confessions différentes est un affrontement, une véritable guerre de religion où Diane, loin d'être victorieuse comme elle l'espérait, est mise en déroute par un amant raisonneur et offensif. Ces affrontements d'ordre religieux entre les amants empoisonnent leur vie. Ainsi, à cette époque, même les sentiments les plus tendres se trouvent altérés par les questions religieuses. En s'obstinant à n'aborder que des discussions à caractère religieux, la comtesse met son amant à la torture :

Chère Diane, quelle persécution faut-il que j'endure! Soyez juste, et que votre zèle pour votre religion ne vous aveugle pas. Répondez-moi ; pour tout ce que mon bras ou mon esprit peuvent faire, trouverez-vous ailleurs un esclave plus soumis que moi ? Mais, s'il faut vous le répéter encore, je pourrais mourir pour vous, mais non croire à de certaines choses. (Ch, p. 266)

Ainsi, Diane inflige de grandes souffrances à un amant qui est prêt, pour elle, à se sacrifier. Mais par son attitude, cet homme à son tour met sa maîtresse au désespoir. Selon lui, elle est sur le point de perdre inutilement son âme. En effet, son attrait pour la comtesse est purement charnel :

Réprouvé ! dit-elle à voix basse et comme se parlant à elle-même, pourquoi faut-il que je sois si faible avec lui ? Puis, continuant plus haut : Je le vois assez clairement, vous ne m'aimez pas, et je suis auprès de vous en même estime qu'un cheval. Pourvu que je serve à vos plaisirs, qu'importe que je souffre mille maux. (Ch, p. 265)

Ainsi, les deux amants se trouvent dans une situation intenable, ils sont déchirés entre leur amour et leur foi.

La situation explose enfin lorsque les bruits du massacre retentissent de partout. À ce moment-là Diane se voit contrainte de dire la vérité au jeune protestant : les catho-liques massacrent cette nuit les protestants. C'est avec un mélange d'inquiétude et de triomphe sur le visage qu'elle profère ces mots, victoire de la maîtresse qui croit l'avoir emporté. En effet, elle pense que, dans une telle situation, Bernard sera acculé à un seul choix : la conversion. Il est vrai que, pris par un mouvement de panique, il cède instan-tanément. Mais Bernard se ressaisit rapidement malgré ce mouvement très humain qui donne au personnage plus de vraisemblance :

Si j'abjurais, pensa Mergy, je me mépriserais moi-même toute ma vie. Cette pensée suffit pour lui rendre son courage, qui fut doublé par la honte d'avoir un instant fai-bli. Il enfonça son chapeau sur sa tête, boucla son ceinturon, et, ayant roulé son manteau autour de son bras gauche en guise de bouclier, il fit un pas vers la porte d'un air résolu. (Ch, p. 269)

Sa décision est irrévocable, il préfère périr que d'embrasser « une religion d'assassin et de bandit ». La douleur de Diane est à son apogée, mais le zèle religieux de Bernard reste intact et refuse de se plier à ses supplications. C'est alors qu'intervient cette conversation soudaine : « Bernard ! s'écria-t-elle hors d'elle-même et les larmes aux yeux, je t'aime mieux ainsi que si tu te faisais catholique ! Et, l'entraînant sur le lit de repos, elle s'y laissa tomber avec lui, en le couvrant de baisers et de larmes.» (Ch, p. 270). Ainsi, pour la première fois depuis leur histoire d'amour, Diane est mise en dé-route, elle s'avoue vaincue. Bernard a résisté à tous les assauts et réussit à lui imposer sa volonté. Diane la prêcheuse, à bout d'arguments, abandonne ses prétentions et se rallie à la religion de l'honneur professée par son amant.

Nous avons donc vu que pour représenter le conflit, Dumas et Mérimée passent par le biais des relations les plus soudées qui soient : les liens fraternels, l’amitié et l’amour. Chez Dumas, le conflit fraternel au sein du pouvoir est une fêlure qui divise aussi le peuple, l’amitié est également mise à mal par le différend religieux. Mérimée propose une lecture ironique de l’Histoire avec un conflit fraternel ou tout le monde est perdant. Ces représentations du conflit vont influer sur l’image que veulent donner les auteurs des responsables du massacre.