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PREMIERE PARTIE LA SAINT-BARTHELEMY

4 LA SAINT-BARTHELEMY AU XIX E SIECLE

4.1.2 Le deuxième courant

1.2.2.3 Charles de Villers 92

Le principal ouvrage de Charles de Villers est un panégyrique à la gloire du pro-testantisme. Villers commence son Essai sur l'esprit et l'influence de la réformation de

Luther par évoquer des prises de position opposées entre la Réforme et le catholicisme.

La première, « fille des lumières renaissantes 93», approuve le progrès, elle est favorable à la connaissance. C’est de la science qu’elle a reçu son élan et « elle n’a pu se mainte-nir que par la science ; le savoir est une affaire d’état chez les peuples réformés 94». Le point de vue catholique « est diamétralement opposé au progrès des lumières. Le protes-tantisme affirme : " Examine et ne te soumets qu’à la conviction ". À cela, l’Église ro-maine répond : " soumets-toi à l’autorité sans examen "95 ». Le mérite du protestantisme est d’avoir brisé « toutes ces chaîne imposées à l’esprit humain et renversé toutes les barrières qui s’opposaient à la libre communication des pensées96 ». La théologie

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Delon Michel. La Saint-Barthélémy et la Terreur chez Mme de Staël et les historiens de la Révolution au XIXesiècle. In Romantisme, op.cit., p. 51

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Pour nourrir le développement qui suit sur Charles de Villers, je me suis appuyé sur le livre de Louis Wittmer, Charles de Villers, 1765-1815, Paris, Hachette, 1908.

93

Charles de Villers, Essai sur l'esprit et l'influence de la réformation de Luther, Paris, Chez Hesrichs, 1820,p. 23. 94 Ibid, p. 293. 95 Ibid, p. 237-238. 96 Ibid, p. 247.

testante est fondée sur « l’usage illimité de la raison97 ». Pour lutter contre le catholi-cisme, les protestants ont été obligés « de s’enfoncer dans toutes les profondeurs de la critique, tant par rapport aux idiomes dans lesquels étaient écrits les originaux des livres saints que par rapport aux diverses branches de l’histoire sacrée, de l’histoire ecclésias-tique 98». La Réforme a fait entrevoir des voies inexplorées à l’ « étude de l’orientalisme et des antiquités sacrées (qui sont intimement liées avec les antiquités profanes de l’Orient)99 ».

Chez les catholiques, la philosophie est considérée « comme une sorte de pertur-batrice du repos du public ou, si l’on veut, de l’apathie publique, ce qui aux yeux de bien des gens revient à peu près au même 100», alors que dans les pays protestants, au contraire, s’initie une époque vraiment philosophique « durant laquelle l’intérêt pour les vérités d’un ordre supérieur, pour la discussion des plus hautes règles de la logique, de la métaphysique et de la morale101 » s’accroît considérablement.

Le progrès qu’a entrainé la Réforme « est un résultat de l’esprit qui fait son es-sence, l’esprit de tolérance ; les maux qu’elle a occasionnés dépendent pour la plupart des incidents dont elle fut accompagnée, de la résistance qu’on lui opposa, les motifs étrangers qu’on lui adjoignit102 ». C’est parce que dans les pays protestants, les catho-liques peuvent vivre « tranquilles et tolérés103 » qu’il n’y a pas de raison pour qu’on ne leur conserve « le libre exercice de leur culte104 ».

Au XIXe siècle, le massacre du 24 Août 1572 rappelle aussi ceux de la Révolution et de la Commune. La Saint-Barthélemy est à la fois une lutte religieuse et un évé-nement politique. Elle apparaît comme un témoignage des effets néfastes des pas-sions politiques, issues des conflits religieux. La littérature de la Saint-Barthélemy est à la mode comme nous l’explique Claude Duchet :

97 Ibid, p. 263. 98 Ibid, p. 251. 99 Ibid, p. 252. 100 Ibid, p. 274. 101 Ibid, p. 272. 102 Ibid, p. 239. 103 Ibid, p. 192. 104 Ibid, p. 195.

La littérature de la Saint-Barthélemy (roman, théâtre, article ou allusion) apparaît naturellement comme spécifique des groupes libéraux, et, le plus souvent, des mi-lieux protestants. Elle fait partie de l’arsenal idéologique de l’époque et est enrôlée dans le combat de l’opposition. En ce qui concerne sa forme théâtrale, avant 1830 tout au moins, elle gravite essentiellement autour du Globe, ou se poursuit d’autre part une réflexion sur l’utilisation littéraire de l’histoire.105

Une lutte idéologique autour de cet événement historique a bien lieu au début du XIXe siècle, et pendant un temps ce sont les Libéraux qui s'en servent comme d'une arme dirigée contre leurs opposants politiques.

4.2 L

ES HISTORIENS DU

XIX

E SIECLE ET LE MASSACRE DE LA

S

AINT

-B

ARTHELEMY

Au même titre que les auteurs de romans historiques, les historiens portent leur attention sur la révolution religieuse qu’ils voient dans l’avènement de la Réforme ainsi que l’explique Pierre Glaudes :

Il ne fait aucun doute que la Réforme est l'un des sujets majeurs à travers lesquels les hommes du XIXe siècle se figurent les problèmes religieux, sociaux et poli-tiques de leur époque. Aborder le protestantisme permet à chaque penseur de se si-tuer dans son temps, dont il retrace la genèse à la lumière de ses préjugés, et d'en constituer une vision cohérente, largement influencée par les espoirs ou les craintes que lui inspire l'avenir106.

La plupart de ces penseurs considèrent la Réforme comme une révolution qui préfigure celle de 1789, perçue comme un indéniable progrès dans l'histoire humaine. Selon eux, la Réforme, plus qu’un besoin d’amélioration est une révolte de l’esprit qui secoue le joug des autorités religieuses et politiques. Conscient de la solidité du cordon ombilical qui relie l'histoire de la Saint-Barthélemy à celle de la Réforme, il me semble important, d'abord, de me pencher sur les opinions des historiens sur la question de la Réforme. Ensuite, je mettrai en valeur leur analyse du massacre tout en montrant com-ment leurs opinions politiques ont influencé leur objectivité scientifique. Pour traiter

105

Claude Duchet, « Saint-Barthélemy, Scène Historique, Drame Historique », in RHLF,op.cit., p. 847.

106

cette question, je me réfèrerai aux historiens les plus significatifs, à savoir Guizot, Mi-chelet, Quinet, Thierry.

4.2.1 Les historiens vis-à-vis de la Réforme

107

Trois principes fondent le protestantisme : l'autorité de la parole de Dieu, la jus-tification par la foi et le libre examen. Les hommes religieux et les savants s'accordent à reconnaître que chacun de ces principes a contribué à l'organisation du protestantisme et a joué un rôle dans son histoire. Nos historiens se sont intéressés plus particulièrement au dernier principe, en l'occurrence le libre examen qui, selon Guizot par exemple, a changé la vision des croyants à l'égard de la religion :

À mon avis, la Réforme n'a été ni un accident, le résultat de quelque grand hasard, de quelque intérêt personnel, ni une simple vue d'amélioration religieuse, le fruit d'une utopie d'humanité et de vérité. Elle a eu une cause plus puissante que tout ce-la, et qui domine toutes les causes particulières. Elle a été un grand élan de liberté de l'esprit humain, un besoin nouveau de penser, de juger librement, pour son compte, avec ses seules forces, des faits et des idées que jusque-là l'Europe recevait ou était tenue de recevoir des mains de l'autorité. C'est une grande tentative d'af-franchissement de la pensée humaine ; et, pour appeler les choses par leur nom, une insurrection de l'esprit humain contre le pouvoir absolu dans l'ordre spirituel. Tel est, selon moi, le véritable caractère, le caractère général et dominant de la Ré-forme108.

Pour Guizot, la Réforme est un « affranchissement » : ce sont donc leurs chaînes que les croyants ont brisées lorsqu'ils ont acquiescé aux idées de la Réforme. Guizot fait du libre examen la cause principale de l'avènement de la société moderne en Europe. En

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Pour nourrir le développement qui va suivre, je me suis appuyé sur les œuvres suivantes : La

Mémoire des Guerres de Religion II, textes réunis par Jacques Berchtold et Marie-Madeleine

Fragonard, Genève, Droz, 2009. Images de la Réforme au XIXe siècle, op.cit. Historiographie de la Réforme, op.cit. L'Europe de Guizot de Pierre Triomphe, Toulouse, Priva, 2002. Les Maîtres de l'Histoire : 1815-1850 : Augustin Thierry, Mignet, Guizot, Thiers, Michelet de Jean Walch,

Paris, Slatkine, 1986. Edgar Quinet, sa vie, sa pensée religieuse d’Eugène Corvaizier, Montauban, J. Granié, 1884. Michelet et Luther : histoire d'une rencontre de Irène Tieder, Paris, Didier, 1976.

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François Guizot, Histoire de la Civilisation en Europe: Depuis la Chute de l'Empire Romain

effet, les pays qui ont adopté le protestantisme ont connu un progrès social plus rapide que les autres. C'est là d'après l’historien, le résultat fondamental de la réforme :

Voyons ce qui est arrivé dans les pays où la révolution religieuse n'a pas pénétré, où elle a été étouffée de très bonne heure, où elle n'a pu prendre aucun développe-ment. L'histoire répond que là l'esprit humain n'a pas été affranchi : deux grands pays, l'Espagne et l'Italie, peuvent l'attester. Tandis que, dans les parties de l'Europe où la Réforme a tenu une grande place, l'esprit humain a pris, dans les trois derniers siècles, une activité, une liberté jusque-là inconnues, là où elle n'a pas pénétré, il est tombé, à la même époque, dans la mollesse et l'inertie ; en sorte que l'épreuve et la contre-épreuve ont été faites pour ainsi dire simultanément et ont donné le même résultat109.

Face aux excès de l’Église romaine, aux vices du clergé qui freinaient tout élan de progrès, les cœurs affamés de justice se sont mis en quête d’une nouvelle spiritualité. La Réforme offre à ces esprits opprimés le principe du libre examen qui les incite à user de leur intelligence et de leur conscience. La raison et la conscience seront les seuls juges légitimes en ce qui concerne la foi. On n’admettra comme vrai que ce que la rai-son reconnaîtra comme tel. En examinant librement les objets de la connaissance, en faisant fi des dogmes et de croyances, le protestantisme renverse l’autorité de l’Église.

Pour les historiens, Luther est une figure historique de premier plan qui a libéré le peuple de l’autorité de l’Église et des rois. Augustin Thierry affirme ainsi :

Luther affranchit l'individu de cette Passion, il le détache de cette croix ; il lui donne, dès cette vie, la liberté, l'autorité, la valeur intime, que l'Église ne recon-naissait que pour les morts ; ou plutôt, de chaque homme, il fait une église invio-lable : résurrection anticipée de l'homme sur la terre110.

Luther, le Réformateur, devient le symbole de l'émancipation. Pour sa part, Mi-chelet nourrit une grande admiration pour Luther auquel il lui arrive de s’identifier. Pour l’historien, le père de la Réforme n’est pas seulement un théologien ou un homme poli-tique, mais un guide spirituel :

109

Ibid. p. 343.

110

Il a, sinon fait, au moins courageusement signé de son nom la grande révolution qui légalisa en Europe le droit d'examen. Ce premier droit de l'intelligence humaine, auquel tous les autres sont rattachés, si nous l'exerçons aujourd'hui dans sa pléni-tude, c'est à lui en grande partie que nous le devons [...] Les lignes mêmes que je trace ici, à qui dois-je de pouvoir les publier, sinon au libérateur de la pensée mo-derne 111?

L’historien admire le courage, la force du réformateur, et envie sans doute les certitudes qui lui viennent de son inébranlable foi.

Si nos historiens s’en prennent en revanche au catholicisme, c'est parce qu'il a subjugué l'esprit humain. Selon Quinet, il a, par la rigidité du dogme freiné les élans de l'intelligence : « L'Église était devenue la pierre qui enfermait l'esprit dans le sé-pulcre.112 ». Aux yeux de ces historiens, l’Église catholique est responsable de l’asservissement des peuples et apporte son concours à l’oppression des forts sur les faibles. Pour Michelet le pouvoir des seigneurs, des princes et des rois, est un outil de domination à la disposition de l’Église. Il fait un portrait à charge des prêtres et les pré-sente comme éloignés des vertus chrétiennes. Sous des dehors de berger bienveillant, le prêtre est un loup pour ses fidèles :

Ne nous étonnons pas du furieux orgueil du prêtre, qui, dans sa royauté de Rome, l'a souvent emporté au-delà de toutes les folies des empereurs, lui faisant mépriser non seulement les hommes et les choses, mais son propre serment et la parole même qu'il donnait pour infaillible113.

Loin de l’amour et de l’humilité christique, le prêtre, monstre d’orgueil, trahit les valeurs du christianisme.

Comme le roi tient son autorité de Dieu, saper les fondements de l’autorité reli-gieuse revient à fragiliser considérablement le pouvoir monarchique. En bons républi-cains, Quinet et Michelet exècrent autant l’autorité ecclésiastique que la monar-chique. Pour Quinet, ces deux ordres sont inséparables :

111

Jules Michelet, Mémoires de Luther, écrits par lui-même, Volume 2, Paris, Mercure de France, 1854, p. 11.

112

Edgar Quinet, Le Christianisme et la Révolution Française, Paris, Comptoir des Imprimeurs-Unis, 845, p.120.

113

Je veux bien, si je suis croyant, me soumettre au pouvoir absolu, à la condition que l'on me montre que ce pouvoir est une suite de ma croyance, que je ne puis discuter le premier sans ébranler la seconde. Cette royauté, enveloppée des mystères du ca-tholicisme, devient elle-même un objet de foi ; je suis investi de tous côtés ; je plie le genou devant une autorité qui couvre le roi par le prêtre, et le prêtre par le roi114 .

Selon Quinet, la Réforme, en remettant en question au moyen du libre examen les principes de l’Église, menace l’équilibre de l’Ancien Régime ; équilibre fondé sur la solidarité de l’État et de l’Église, du seigneur et du prêtre. Pour Michelet, l'Ancien Ré-gime est une longue période d'obscurantisme, de brutalité et d'injustice sociale : « l'État tout entier contenu dans le roi, la suppression entière de l'autorité du peuple, tous les droits d'un côté, tous les devoirs de l'autre, renfermés dans l'obéissance aveugle115». Depuis le Moyen Âge, l’Histoire de France apparaît comme une longue suite d’exactions perpétrées par les nobles et l’Église contre le pauvre peuple.

Ces historiens, comme la plupart des penseurs de leur temps, voient dans La Ré-forme les germes de la Révolution française. Celle-ci n’apparaît plus comme un acci-dent de l’Histoire, une catastrophe imprévisible aux conséquences désastreuses, mais comme la suite naturelle de l’émancipation des esprits par la Réforme : « La Révolution française accomplit ainsi ce qui, dans la réforme, était une utopie116 ». Le mouvement initié par Luther a changé la face du monde aussi bien en Angleterre qu’aux États-Unis et en France : « Luther lui-même, avec son génie de révolte, n'est-il pour rien dans la Révolution française ? Qui peut le croire ? 117». La Réforme et la Révolution tendent l’une et l’autre à émanciper les États de l’autorité ecclésiastique ainsi qu’à libérer les individus du joug des nobles par l’abolition des privilèges.

114

Edgar Quinet, Le Christianisme et la Révolution Française, op.cit., p.310.

115

Ibid, p. 303.

116

Augustin Thierry, Essai Sur l’Histoire, in Œuvres complètes, op.cit., p. 264.

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