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DE LA SAINT-BARTHELEMY : ENJEUX POLITIQUES

1 ROMAN HISTORIQUE ET REFLEXION SUR LA TECHNIQUE ROMANESQUE

Le roman historique, genre assez tardif dans l’histoire littéraire, n’a pas connu une codification aussi contraignante que celle des genres plus anciens tels que la tragé-die ou l’épopée. Néanmoins, dans la première moitié du XIXe siècle, Walter Scott s’emploie à préciser les contours de ce genre, lui donnant ainsi une dignité, une légiti-mité littéraire. L’œuvre théorique de Walter Scott constitue donc une charnière dans l’histoire du genre romanesque. Dans un premier temps, il importe, pour apprécier la mesure de son influence, de prendre en considération les apports décisifs de ses ré-flexions. En quoi a-t-il profondément modifié le regard que les romanciers portent sur ce genre ? Dans quelle mesure peut-on parler d’un renversement de perspective ? Dans un second temps, nous montrerons que chacun de nos auteurs est contraint de se situer par rapport au père du roman historique. Chacun donne sa propre interprétation des pro-pos du maître en la matière. Quelle est la spécificité de Mérimée, Balzac et Dumas con-cernant la fiction historique ?

1.1 U

NE DEFINITION

La question qui se pose d’emblée est la suivante : qu'est-ce qu'un roman histo-rique ? Jean Molino nous donne une réponse à la fois claire et opaque : « Un roman sans doute et de l'histoire184. » Tandis que le terme « Histoire » implique une certaine scienti-ficité, un savoir qui se veut rigoureux et une étude à la fois minutieuse et « vraie » du réel, le mot « roman » relève du domaine de l'imaginaire, de l'irréel, de la fiction et de l'illusion. Si « la tâche de l'historien est de sans cesse relire l'Histoire, celle du romancier

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Jean Molino, « Qu'est-ce que Le Roman Historique? » in Revue d'Histoire littéraire de

est, véritablement, de la réécrire185 », dit Yves Le Pellec. Le concept de « fidélité au réel186 » dans l'écriture historique peut être remplacé par celui de « création d'une véri-té187 » dans le roman ; l'Histoire et la fiction « tendant ainsi chacune à sa manière vers le vrai188 ». On peut ainsi avancer que roman et Histoire sont des récits, qui s’opposent non comme vérité et fiction mais comme des modalités du vraisemblable. L'Histoire et la fiction ne sont donc pas aussi différentes qu'on pourrait le croire, mais plutôt com-plémentaires. En effet, le roman historique « particularise l'histoire en même temps qu'il l'universalise. D'une part, il la détourne de sa globalité pour montrer son incidence sur des existences individuelles, d'autre part il la dégage de sa temporalité pour la situer dans une réflexion sur la condition humaine189 ». Non seulement ce genre permet l'introduction de l'Histoire dans le roman, base solide sur laquelle se construit le monde imaginaire, mais aussi la mise en œuvre d'une fiction qui va combler les lacunes de l'Histoire.

S’intéresser de près au roman historique nous permet d’étudier la problématique des relations entre le réel et la fiction dans une œuvre littéraire. En effet, dans un roman « sans prétentions historiques190 », le réel est en dehors du récit, le monde romanesque étant alors essentiellement un monde fictif. Par opposition, le roman historique propose « un monde imaginaire qui contient à la fois des éléments fictifs et des éléments els191 ». Il ne s'agit donc plus d'envisager seulement les relations entre le monde fictif du roman et la réalité mais aussi les relations qu'entretiennent la réalité et la fiction dans le monde imaginaire du récit. Le romancier-historien use de l'imagination pour expliquer une réalité. Ainsi il est possible de proposer une représentation et une analyse du réel à

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Yves Le Pellec, Avant-Propos, Caliban, n° 28, Presse Universitaire du Mirail Toulouse, 1991, p.6. 186 Ibid, p. 6. 187 Ibid, p. 6. 188 Ibid, p. 6. 189 Ibid, p. 6. 190

André Daspré, « le roman historique et l’histoire » in RHLF, Mars-Juin 1975, p.235.

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partir d'une reconstruction imaginaire, à condition, bien sûr, que le monde romanesque soit construit à partir de données objectives.

1.2 L

E ROMAN HISTORIQUE AVANT

W

ALTER

S

COTT

Le roman historique existe-t-il avant Walter Scott ? L’Histoire a toujours nourri l’imaginaire des romanciers. Jacques Le Goff se demande si le roman historique n’est pas né au XIIe siècle : « Si la Chanson de Geste est une histoire et non de l'Histoire, il reste que cette histoire est marquée du sceau de l'authenticité historique192. » Il est vrai que la littérature médiévale française qui met en scène les légendes celtiques dites de la Matière de Bretagne a pour caractéristique de mêler la fable à l'Histoire. Les amours de Tristan et Iseut se déroulent à la fois dans un monde qui renvoie à la réalité historique du Moyen Âge et à univers emprunt de magie et de merveilleux. Le roman historique du XVIIe siècle ne se montre pas soucieux de restituer la vérité historique. Il s’agit bien davantage de transposer les mœurs de l’aristocratie du XVIIe dans un décor historique où pourra se développer l’analyse fine des sentiments. Derrière les noms illustres de grands personnages historiques se cachent des personnalités contemporaines ; il s’agit d’un « roman à clef ». Ainsi, dans La Princesse de Clèves, Madame de Lafayette choisit d’inscrire son intrigue amoureuse à la fin du règne d'Henri II et au début du règne de François Ier. Le cadre historique du roman transparaît, non seulement par la présence de figures historiques mais aussi par la peinture des traits de mœurs. Cependant, c'est l'at-mosphère des salons précieux que l'auteur évoque souvent plutôt que celle du temps des Valois. Pour exemple, le compromis, récurrent tout au long du récit, entre les bien-séances et les sentiments intimes fait écho à l'atmosphère de la cour de Louis XIV. L'Histoire apparaît ainsi, au XVIIe siècle, comme une poésie qui permet de dépayser agréablement le lecteur.

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Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que l’Histoire commence à être traitée comme une science. Par conséquent le roman se désintéresse progressivement des époques lointaines et reculées pour se concentrer sur des périodes plus récentes qui n’autorisent pas les extravagances de l’imagination. Le roman historique tel qu’il se développera au XIXe siècle, est donc une invention du XVIIIe siècle. Cependant, ce n'est qu'avec Walter Scott qu'il deviendra réalité. En effet, la réflexion que l'auteur écossais mène sur le roman historique, au travers de ses œuvres en prose, met en place une véri-table définition du genre qui prendra toute son envergure au début du XIXe siècle.

1.3 L

E ROMAN HISTORIQUE AU

XIX

E

SIECLE SOUS L

'

INFLUENCE DE

W

ALTER

S

COTT

Mais qu’apportent de nouveau les romans historiques de Walter Scott ? L’apport majeur du XIXe siècle au genre du roman historique est le souci de donner une représen-tation plus objective et plus sociale de la société. Les événements historiques de la fin du XVIIIe siècle entraînent un changement de regard introduit par Walter Scott sur la compréhension de l'Histoire. Cette évolution est soulignée par Georges Lukàcs dans son ouvrage Le Roman historique, pour qui il s’agirait d'un « changement de perspective dans l'interprétation du progrès humain par comparaison au siècle des Lumières. On ne voit plus le progrès comme une lutte essentiellement non-historique entre la raison hu-maniste et le manque de raison féodalo-absolutiste193. » À partir de ce moment, et grâce à Walter Scott, la réalisation du progrès humain se fait au travers de l'Histoire qui n'en-visage plus le passé comme le modèle mais comme la matrice de l'avenir. Avec Walter Scott, l'individu ne sera plus peint comme un être prisonnier du passé mais comme une personne aux prises avec l'avenir.

Georges Lukàcs admet que Walter Scott est le père du roman historique mo-derne. Il admet également que le roman à thème historique existait auparavant mais

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