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MERIMEE, BALZAC, DUMAS

1 LA REPRESENTATION DU POUVOIR

1.4.1 Catherine de Médicis

4.1.2.4 Catherine de Médicis dans les autres œuvres de Dumas

La légende noire associée à Catherine de Médicis se retrouve dans quatre ou-vrages de Dumas, car elle propose aux écrivains une figure connue à laquelle les lec-teurs s’intéressent. La reine est un sujet idéal pour un feuilleton parce qu'elle représente parfaitement la méchante absolue que nous retrouvons habituellement dans les romans populaires de l’époque, volontiers imbus de manichéisme. Afin de suivre l'ordre de pa-rution des textes, nous commencerons par évoquer Henri III et sa cour. Dans ce drame historique qui paraît presque vingt ans avant la trilogie des Valois, Catherine de Médicis est présentée à titre de personnage principal. Ce texte est le premier à mettre en scène le cadre historique de la Renaissance.

Le premier acte s'ouvre sur un dialogue entre Catherine de Médicis et Come Ruggieri, son astrologue. Ces derniers discutent du projet d'opposer Henri de Guise à Saint-Megrin, deux courtisans qui exercent de l'avis de la reine une autorité excessive sur son fils, Henri III, roi de France. Catherine de Médicis cherche à préserver le règne de son fils et ces deux hommes lui apparaissent comme une menace. C'est dans cette pièce fondatrice sur Catherine de Médicis que Dumas pose les jalons du caractère de la reine noire, pour ne point varier dans La Trilogie des guerres de religion.

L'entrée en scène de Catherine de Médicis n’est pas indifférente, car elle entend bien montrer au spectateur que si Catherine n’est pas très présente dans la suite de la pièce, c’est elle cependant qui tire les ficelles ; elle définit d’ailleurs elle-même les rap-ports de force qu’elle entretient avec le roi :

Il me faut un peu plus qu’un enfant, un peu moins qu’un homme… Aurais-je donc abâtardi son cœur à force de voluptés… pour qu’un autre que moi s’emparât de son esprit et le dirigeât à son gré ?… Non ; je lui ai donné un caractère factice, pour que ce caractère m’appartînt… Tous les calculs de ma politique, toutes les res-sources de mon imagination ont tendu là. Il fallait rester régente de la France,

quoique la France eût un roi ; il fallait qu’on pût dire un jour : « Henri III a régné sous Catherine de Médicis…» J’y ai réussi jusqu’à présent152.

Les autres scènes où Catherine de Médicis apparaît (une par acte environ) mon-trent une volonté, chez Dumas, de fustiger la femme politique : dans la scène 4 de l’acte II, Henri III se montre ridiculement soumis en annonçant lorsque sa mère parle de se retirer : « nous n’avons rien de caché pour notre auguste mère ; dans plus d’une affaire importante, ses conseils ont même été d’un utile secours153. » La scène 5 du même acte, dialogue entre la mère et le fils, est tout entière centrée sur la question de l’exercice du pouvoir : « La vue de mon trône me donne de temps en temps154» dit Henri, « des en-vies d’être roi, ma mère, et je suis dans un de ces moments-là ». À quoi Catherine ré-pond, avec l’inévitable hypocrisie et le mensonge typiques, selon Dumas, des femmes de pouvoir : « Eh! mon fils, qui plus que moi désire vous voir une volonté ferme et puissante ?… Et plus que jamais, je désire n’avoir aucune part du fardeau de l’État155. » Catherine, souvent évoquée par Dumas, ne change pas de caractère en passant du théâtre au roman, de 1829 à 1844. Dans la pièce, elle dépeint avec d’autant plus de clairvoyance les rapports de force entre le roi et le duc de Guise qu’ils sont en réalité de même nature que les siens avec son fils :

Soyez roi, M. de Guise deviendra sujet soumis, sinon respectueux. Je le connais mieux que vous, Henri ; il n’est fort que parce que vous êtes faible ; sous son éner-gie apparente, il cache un caractère irrésolu… C’est un roseau peint en fer… Ap-puyez, il pliera156.

La scène se termine avec Catherine entraînant son fils pour qu’il promette de-vant Dieu de la consulter ade-vant tout le monde sur tout ce qu’il voudra faire.

152

Alexandre Dumas, Henri III et sa cour, Paris, Ackermann, 1829, p. 19.

153 Ibid, p. 85. 154 Ibid, p. 90. 155 Ibid, p. 90. 156 Ibid, p. 98.

Près de vingt ans plus tard, Dumas reprend son travail sur le XVIe siècle et fait paraître successivement La Reine Margot, La Dame de Monsoreau et Les

Quarante-cinq, qui formeront ce qu'il est convenu d'appeler La Trilogie des guerres de religion.

Ces trois romans ont paru d'abord sous la forme de feuilletons et ils relatent la fin de la dynastie des Valois. Catherine de Médicis est le personnage principal du premier ro-man, La Reine Margot. Elle apparaît dans les deux suivants à titre de personnage secon-daire.

La Dame de Monsoreau commence là où s'arrête La Reine Margot. L’intrigue

commence en 1578 et décrit le règne de Henri III. Un règne où foisonnent, à nouveau, des complots, des trahisons et des vengeances. La stabilité du royaume est toujours me-nacée par les guerres de religion. Sur cet arrière-plan historique, Dumas nous propose en outre l'histoire d'amour de Bussy d'Amboise et de Diane de Meridor. Catherine de Médicis a un rôle secondaire, mais cela ne l’empêche pas de poursuivre ses manigances à 1'ombre du pouvoir. Dans La Reine Margot, Dumas donne beaucoup d'importance à l’impassibilité, à la froideur de Catherine, utilisées comme un masque lui permettant de camoufler ses pensées, ses émotions ou ses machinations. Dans La Dame de

Monso-reau, cette caractéristique de Catherine de Médicis devient encore plus évidente dans les

métaphores qui rapprochent la reine mère d’objets, l'associant notamment à une statue de cire : « Lorsque Henri entra, elle était à demi couchée, pensive dans un grand fau-teuil, et elle ressemblait plus, avec ses joues grasses mais un peu jaunâtres, avec ses yeux brillants mais fixes, avec ses mains potelées mais pâles, à une statue de cire ex-primant la méditation qu'à un être animé qui pense 157. » Ces rapprochements servent à évoquer le manque d’humanité de la reine mère et à la comparer à quelque chose d'inerte.

Dans la dernière partie de la trilogie, Les Quarante-cinq, Henri III est toujours au pouvoir, mais Henri de Navarre gagne en influence. La famille de Guise s’efforce par tous les moyens de conquérir le pouvoir. Le mignon du roi, d'Épernon, loue les services

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Alexandre Dumas,La Trilogie des guerres de religion, La Reine Margot, La Dame de

de quarante-cinq gentilshommes gascons pour défendre le roi et lui fournir une escorte. En outre, Diane de Meridor, l'amante de Bussy d'Amboise, réapparaît en secret et tente de venger la mort de son amant, à l'aide de son fidèle serviteur et médecin, Remy. Elle parvient enfin à empoisonner le duc d'Anjou. Suite à la mort de ce dernier, Henri III, roi de France, se retrouve sans héritier et il reste le seul à pouvoir protéger le trône contre les Guise et Henri de Navarre. Quant à Catherine de Médicis, elle n’apparaît qu’à titre de personnage secondaire. Dans Les Quarante-cinq, nous retrouvons un parallèle entre Catherine de Médicis et une statue de cire :

Derrière lui venait Catherine de Médicis, déjà voûtée par l'âge, car la reine pouvait avoir à cette époque soixante-sept à soixante-dix ans, mais portant encore la tête ferme et droite, lançant sous son sourcil froncé par l'habitude, un regard acéré et, malgré ce regard, toujours mate et froide comme une statue de cire sous ses habits de deuil éternel158.

II est intéressant de remarquer que ce type de comparaison est fréquemment uti-lisé par Dumas lorsqu'il veut amener le lecteur à penser que tel ou tel personnage est porteur de qualités négatives. La cire, l'ivoire, la blancheur, l'absence de couleur suggè-rent la présence de la mort.