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MERIMEE, BALZAC, DUMAS

3 LA MISE EN ACCUSATION DES RESPONSABLES

3.1.3 Le peuple et l'influence des prédicateurs

3.1.3.2 L'indifférenciation des « massacreurs »

L'indifférenciation peut se définir comme une perte de l'identité propre d’un in-dividu, par un flou, un mélange dans les rôles sociaux. Dans nos romans, ce seront donc les rôles des personnages, leur rapport avec le pouvoir, qui vont alors s’intervertir. Ainsi on peut voir dans nos romans une perte de l'identité propre aux individus et un efface-ment des distinctions, qui permettent le déferleefface-ment des actes violents. La violence ef-face toutes les différences de catégorie sociales. Tout le monde se déplace ensemble comme une masse informe et monstrueuse. Dans les romans de Dumas et de Mérimée, on constate la diversité des catégories sociales qui participent au massacre : chevaliers, bourgeois, soldats, criminels. Ainsi, le massacre abolit les distinctions sociales. Tout le monde se réunit derrière la bannière de la religion :

En un instant, Coconnas, Maurevel et La Hurière, signalés de loin par leurs croix blanches et accueillis par des cris de bienvenue, furent au plus épais de cette foule haletante et pressée comme une meute. (RM, p.152)

Comme nous pouvons le constater un chevalier, un assassin et un aubergiste œu-vrent ensemble. Le conflit semble placer des personnages différents au même niveau. À mesure que la violence progresse, les personnages perdent leur identité et deviennent uniquement massacreurs : « Toute la ville est en armes. La garde du roi, les Suisses, les bourgeois et le peuple, tous prennent part au massacre. » (Ch, p.269). La métonymie de la ville portant les armes souligne le lien qui unit finalement tous les habitants, ce sont les armes que chacun brandit et qui vont faire couler le sang de cette même ville.

On s'aperçoit que le massacre réunit toutes les générations : enfants, adolescents, adultes et vieillards. Il n’y pas d’âge pour participer au massacre. Chez Dumas et Méri-mée, des enfants s’emparent des cadavres et jouent avec eux, il leur revient de faire un procès aux corps morts, qu’ils condamnent à être traînés dans les rues. La violence des petits enfants doit faire comprendre aux Parisiens leur violence. Les vieillards partici-pent au massacre. Ils représentent la mémoire du peuple et transmettent le souvenir de toutes les souffrances endurées. Les vieillards symbolisent la haine : « Saisissons-le, lions-le, dit le vieillard aux jeunes gens qui l'accompagnaient, et qui à sa voix s'élancè-rent contre la muraille. » (RM, p.174). Les extrémités générationnelles se rejoignent dans le déchaînement de la violence, finalement il n’y a plus de différenciation généra-tionnelle.

Un enthousiasme général règne chez tous les catholiques. Le sentiment enthou-siaste des massacreurs ne s’essouffle pas et reste intact tout au long du massacre. Il est souligné grâce à des expressions récurrentes : « Allons, allons ! en avant », « aux armes », «mort aux huguenots! » (RM, p. 149). L'enthousiasme se manifeste par une forte détermination des massacreurs. Ils veulent atteindre leur but à n’importe quel prix. Par conséquent, durant le massacre, les lois et les règles disparaissent. Le massacre pro-voque un désordre général. En effet, les chefs perdent leur autorité sur la foule. Par con-séquent, le massacre devient incontrôlable. Les chefs du massacre sont dépassés par les événements et deviennent impuissants face aux débordements des événements :

Après deux jours, le roi essaya d'arrêter le carnage ; mais, quand on a lâché la bride aux passions de la multitude, il n'est plus possible de l'arrêter. Non seulement les poignards ne cessèrent point de frapper, mais le monarque lui-même, accusé d'une compassion impie, fut obligé de révoquer ses paroles de clémence et d'exagérer jusqu'à sa méchanceté. (Ch, p.280)

L'autorité de Charles IX n’est pas suffisante pour tempérer la colère de la foule. La rage s’ajoute à la colère et favorise les actes de violence. Elle soumet les massacreurs à une fureur incontrôlable et incompréhensible. La rage provoque l’oubli de soi. La violence suscitée par ce sentiment se manifeste à travers l'acharnement des combattants. Les hommes sont hors d’eux-mêmes. Ils sont obsédés par l'affrontement avec l’ennemi. Les cris de la foule symbolisent cette rage : « Ces cris étaient accompa-gnés de brandissements d'épées rougies et d'arquebuses fumantes, qui indiquaient la part que chacun avait prise au sinistre événement qui venait de s'accomplir. » (RM, p.204). Sous l’emprise de leur passion, les massacreurs sont incapables de se maîtriser. Ils sont dans un état second. Les individus se rejoignent dans une foule en colère qui va empor-ter tout sur son passage sans chef : la foule agit comme un seul homme. Le lecteur dé-couvre que l'acte de massacre procure de la joie :

Dans le dernier cas, c'était une grande joie pour le quartier où l'événement avait eu lieu : car au lieu de se calmer par l'extinction de leurs ennemis, les catholiques de-venaient de plus en plus féroces ; et moins il en restait, plus ils paraissaient achar-nés après ces malheureux restes. (RM, p.249)

Dumas montre que l'élan du massacre apporte du plaisir aux catholiques. La souffrance et les cris des protestants suscitent la joie des massacreurs. La férocité reflète les sentiments très forts des catholiques durant le massacre. La joie chez les catholiques se mêle à la rage, c’est une sorte de frénésie.

Sous l'emprise de la colère, de la rage ou de la vengeance, les hommes se méta-morphosent en bêtes féroces. On constate un processus d'animalisation. Comme des charognards, les hommes sont aveuglés par le sang. C'est la violence de la scène qui transforme les combattants en animaux : « Oh ! oh ! dit Coconnas en ouvrant les narines en véritable bête fauve qui flaire le sang, voilà qui devient intéressant, maître La Hu-rière. Allons, allons ! en avant. » (RM, p. 147). Pendant le massacre Coconnas agit avec tant de violence, de férocité, qu'il devient une bête effrayante : l’incise insiste sur le rap-prochement zoomorphique de Coconnas. Il est rejeté au rang des animaux, il est dominé par la violence, par la soif de meurtre. Ce personnage est pour Dumas le catholique type de son époque.

L’indifférenciation que René Girard décrit dans La Violence et le Sacré est ici parfaitement adaptée pour décrire ce que Dumas et Mérimée font de la représentation du peuple pendant la Saint-Barthélemy. Toutes catégories sociales, toutes générations con-fondues, elles s’unissent dans un enthousiasme indifférencié qui a soif de sang.