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PREMIERE PARTIE LA SAINT-BARTHELEMY

4 LA SAINT-BARTHELEMY AU XIX E SIECLE

4.2.2 Les historiens devant la Saint-Barthélemy

Dans ce chapitre, je limiterai mon travail à trois historiens qui se sont penchés avec attention sur la portée historique de la Saint-Barthélemy : François Guizot, Jules Michelet et Pierre-Louis Roederer.

Selon Pierre-Louis Roederer, ce n’est pas le fanatisme qui est la cause du mas-sacre mais bien des considérations d’ordre politique. Ce faisant, Roederer prend le con-trepied de la thèse communément admise selon laquelle, il faut voir dans la Saint-Barthélemy un sommet d’intolérance et d’obscurantisme religieux. De ce fait, il politise le cours des événements :

D'abord ce n'a point été un acte de fanatisme religieux. Ce ne sont point les protes-tants qu'il a frappés, ce sont les amis et les partisans de l'amiral Coligny. Ce ne sont pas des huguenots qu'on a voulu détruire pour extirper l’hérésie ; ce sont des re-belles et des traîtres qu'on a prétendu prévenir ou punir. L'hérésie n'a pas même été rappelée une fois comme prétexte dans les conseils secrets du Louvre ; on n'y a pas prononcé le mot de religion ; on n'y a admis ni appelé aucun ecclésiastique, pas même le cardinal de Guise118.

Pierre-Louis Roederer insiste sur le rôle négatif singulier joué par les Guise et les Montmorency dans l’anarchie qui régnait sous Charles IX et qui a débouché sur le massacre. Il considère que la Saint-Barthélemy est la conséquence du despotisme et de l'anarchie qui régnaient à la cour :

La Saint-Barthélemi fut une grande boucherie du pouvoir absolu dominé par les grands, ou du despotisme et de l'anarchie. Supposez le pouvoir absolu en France sans l'anarchie des grands, ou l'anarchie des grands sans le pouvoir absolu ; suppo-sez-les du moins l'un et l'autre, vous ne concevrez pas la possibilité de la Saint-Barthélemi119.

Roederer ne souscrit pas à la thèse selon laquelle, le massacre est seulement un fait religieux. Il présente l’événement comme un fait politique, un calcul de cour et une froide machination.

118

Pierre-Louis Roedere, La Proscription de la Saint-Barthélemi, Paris, Hector Bossange., p 231.

119

Michelet a pour habitude d’organiser ses récits historiques autour d’une figure majeure, d’un personnage central. Dans le cas du massacre de la Saint-Barthélemy, il s’agit de Catherine de Médicis. Plus que tout autre historien, Michelet insiste sur la noirceur de la reine mère présentée comme un être froid et calculateur, dévoré par l’ambition. Ce faisant, il entretient la légende noire du personnage, encore vive après plusieurs siècles. Elle symbolise la violence, la superstition et l’irrationalité à l’œuvre dans les guerres de religion. Catherine de Médicis est d’une « nature menteuse 120» son caractère est « double et faux 121». L’aversion de Michelet pour le personnage est si grande qu’il lui conteste son statut de femme en en faisant, dans son portrait physique, un être asexué. La reine s'apparente presque à une sorcière ou à quelque créature irréelle et monstrueuse. Michelet met même en doute également sa capacité à aimer :

Elle n’avait pas plus de cœur que de sens, de tempérament. Comme mère, elle ap-partenait pourtant à la nature, elle était femelle, aimait ses petits. Un seul du moins ; elle appelle sincèrement et hardiment Henri d’Anjou. Elle était dure pour sa fille Marguerite et pour le duc d’Alençon, fort hypocrite pour l’aîné, le roi Charles122.

Michelet considère apparemment comme une grande nécessité le fait de noircir la description de Catherine dans le drame de la Saint-Barthélemy.

Michelet met aussi en exergue l’origine de la reine, il l’appelle tout au long de son récit par un surnom qui se veut méprisant, celui de « l’Italienne » : « Si elle aimait Henri d’Anjou, nous l’avons dit, c’est qu’il était Italien. Elle restait toute Italienne 123». Il insiste sur le fait qu’elle n'est pas née d'une grande famille royale, de noble lignée ; elle descend d'une lignée de banquiers, prestigieuse certes, mais ayant fait commerce d'argent ; héritière d'une telle ascendance, elle ne peut avoir que des pensées et des sen-timents médiocres.

Le roi échappe partiellement au mépris de l’historien. Il fait de lui un être parfai-tement névrosé et malsain, mais influençable et capable d'élans généreux :

120

Jules Michelet, Les Guerres de Religion, op.cit., p. 43

121 Ibid, p. 43 122 Ibid, p. 216. 123 Ibid, P. 217.

Ce malheureux Charles IX (disons aussi : ce misérable) fut une énigme pour tous et pour lui-même. Son âme trouble était l’image de sa naissance absurde, du moment où son père l’engendra malgré lui d’une femme haïe et méprisée. Il fut un divorce vivant 124.

Michelet brosse un portrait très nouveau de Charles IX en faisant ressortir la re-lative bonté de ce malheureux roi : « Ce qui est sûr, du reste, c’est qu’il n’eut rien de la bassesse de sa mère, rien des sales amours des Valois125. ». Michelet va plus loin en affirmant que le roi ne pouvait même pas empêcher le massacre : « Le massacre pou-vait-il se faire, sans le roi, malgré lui, par l’audace des Guise, appuyé d’un si fort parti ? Je dis ardemment oui, on pouvait soulever Paris et tenir le roi dans son Louvre. Coligny avait peu de monde, six cents épées, le reste, des valets 126». En faisant de la Reine- Mère la principale responsable du massacre, Michelet diminue d’autant la culpabilité de Charles IX.

Catherine de Médicis n’est pas le seule personnage à être victime de la réproba-tion de l’historien, le duc d'Anjou, « italien » lui aussi, est décrit comme une de ces fi-gures malfaisantes qui a préparé le massacre : « Le duc d'Anjou fut le plus lâche, le plus ardent et le plus atroce ; il était, dans le principe, le moins intéressé, au fond, à la mort de Coligny ; il n'avait à craindre que de perdre le commandement des troupes127. » D’après Michelet c’est le seul appétit de pouvoir qui motivait ses actes.

Guizot quant à lui, insiste sur la participation du peuple catholique, à Paris ou dans quelques villes de province, au massacre des protestants. Il n’épargne ni les nobles ni les hommes du peuple dans sa condamnation et dénonce indifféremment leurs crimes:

Dès qu’on parle de la Saint-Barthélemy, Charles IX, Catherine de Médicis et les Guise semblent sortir de leur tombeaux pour subir cet arrêt ; à Dieu ne plaise que je veuille les en affranchir ; mais il frappe les générations anonymes de leur temps

124 Ibid, p. 218. 125 Ibid, p. 218. 126Ibid, p.238. 127

aussi bien qu’eux-mêmes, et les massacres pour cause de religions ont commencé par des mains populaires bien plutôt que par des volontés royales128.

Guizot ne cherche pas à atténuer la responsabilité des populations dans le mas-sacre. C’est une méprise et une injustice d’imputer le massacre aux grands acteurs. Pour lui, le massacre a été commis par des mains populaires qui se sont rendues coupables d’affreuses tueries et qui ont souillé l’Histoire de France. Pour étayer son argument, Guizot n’hésite pas à énumérer tous les massacres précédemment commis par les catho-liques comme celui de Vassy.

Mais Michelet, lui, fait quelques distinctions : « Les Audin, Capefigue, etc., ont tant dit, répété, que c'est le peuple qui a fait la Saint-Barthélemy, qu'on finit par le croire. Une chose montre pourtant que ce peuple était divisé. Il y avait le peuple libre, et le peuple des confréries 129». Cette division permet à Michelet de ne pas rendre cou-pable d’un crime odieux l’ensemble de la population. Ce sont les confréries et leurs vils intérêts qui sont mis en cause. Il revient longuement sur le climat de violence qui ré-gnait à cette époque. Le XVIe siècle reste pour Michelet synonyme d’épouvante et d’abomination : avec la guerre de Religion, c’est « l’horreur qui envahit l’histoire 130», « une guerre atroce131 » où « tous les fous de France132 » se combattent « dans le mépris des lois133 ».

Michelet décrit les guerres de religion comme un vaste suicide collectif où les intérêts politiques priment sur les idéaux religieux et où les hommes luttent avec la fu-reur de bêtes féroces. Michelet nous transporte dans un monde d’inquiétude et d’angoisse. Avant même d’exposer les raisons des guerres civiles, il plante un décor sombre en proie au chaos et à la violence. Les repères stables disparaissent, la réalité rassurante est brouillée. Partisan déclaré des protestants, il n’éprouve pour les catho-liques que du mépris. C’est pourquoi il décrit avec un luxe de détails horribles le

128

Francois, Guizot, L'Histoire de France racontée à mes petits enfants, Paris, Hachette, 1880, p. 291.

129

Jules Michelet, Les Guerres de Religion, op.cit., p. 256.

130 Ibid, p. 292. 131 Ibid, p. 227. 132 Ibid, p. 187. 133 Ibid, p. 185.

sacre des femmes enceintes et des nouveaux nés. Michelet n’a de cesse de sacraliser les victimes. Il les considère comme des martyres de la cause protestante. Il célèbre partout leur courage surhumain : « Mon cœur avait été saisi par la grandeur de la révolution religieuse, attendri des martyrs, que j’ai dû prendre à leur touchant berceau, suivre dans leurs actes héroïques, conduire, assister au bûcher134 .» Il s’attarde sur le courage de Coligny confronté à ses assassins.

Michelet parle de Coligny en des termes touchants et avec une émotion grave et morale : « Coligny, il est vrai, était très-digne. C'était un homme de trente ans, d'une gravité extraordinaire, d'une éducation forte et savante, d'une bravoure éprouvée et déjà couvert de blessures 135». Sous sa plume, Coligny devient presque un précurseur de la révolution : « Cette fois, Coligny ne demandait plus les conditions d'Amboise, mais l'universelle liberté de culte sans distinction de lieux ni de personnes, l'admission égale aux emplois, la réduction des impôts, enfin ce qui contenait tout, les États raux136. Il ne fait aucun doute que Michelet, en bon républicain, prend le parti des protestants contre les exactions de l’absolutisme qui trouve en Catherine de Médicis sa représentante la plus détestable.