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PREMIERE PARTIE LA SAINT-BARTHELEMY

1 LA SAINT-BARTHELEMY AU XVI E SIECLE

1.2.1 Agrippa d’Aubigné et la Saint-Barthélemy

Agrippa d'Aubigné, dans son Histoire Universelle, affirme qu’un projet d'exter-mination a été conçu et mis sur pied par Catherine de Médicis. La haine des catholiques envers les protestants ne lui échappe à d'Aubigné mais il préfère s’en prendre à Cathe-rine de Médicis et à Charles IX plutôt qu’au peuple tout entier.

C’est dans le livre Les Fers des Tragiques que d’Aubigné revient longuement sur les événements de la Saint-Barthélemy. Le récit qu’il en fait est guidé par sa foi pro-testante, ce qui en fait un texte polémique. Charles IX y figure comme un bourreau san-guinaire, un traître de la pire espèce. Dans Les Fers, il est décrit comme un chasseur tirant d’une fenêtre du Louvre sur les protestants se noyant dans la Seine :

Ce roy, non juste roy, mais juste harquebusier, Giboyoit aux passans trop tardifs à noyer ! Vantant ses coups heureux, il déteste, il renie Pour se faire vanter à telle compagnie27.

D’Aubigné nous informe au début du passage que François 1er a été sauvé et dé-livré par les protestants « de la crainte d’Espagne 28», puis il décrit Charles IX comme « parricide des lois 29», faisant référence à Coligny, véritable père pour le jeune roi qui a

27

Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, Champion, 2006, p.624.

28

Ibid, p. 615.

29

organisé vilement l’assassinat de l'amiral. Le roi est montré comme un véritable assassin qui dirige le massacre.

D’Aubigné compare le roi à « Sardanapale30 », qui est l’emblème de la débauche et de la tyrannie, et à « Néron31 » qui met Rome à feu et à sang. C'est avec sarcasme que d’Aubigné décrit le roi sanguinaire. Charles IX est « ridé, hideux », la face marquée par «le dédain de sa fière grimace 32». Le protestant n'épargne pas Catherine de Médicis qui se repaît du spectacle du massacre :

La mère avec son train hors du Louvre s’éloigne Veut jouir de ses fruicts, estimer la besogne.33

D’Aubigné recourt également à des références mythologiques (Libitine, la déesse de la mort34) pour créer un tableau tragique. Il cherche à choquer son lecteur par des scènes d'une violence inouïe. Il s’emploie à émouvoir : « Nous sommes ennuyés de livres qui enseignent, donnez-nous en pour esmouvoir35» écrit-il dans la préface « Aux lecteurs ». Pour imprimer les images du massacre dans la mémoire de son lecteur, il fait référence au théâtre antique. Ainsi, il fait allusion au Thyeste de Sénèque. Pour se ven-ger de son frère qui a séduit sa femme, Atrée feignant la réconciliation l’invite et lui donne à manger ses enfants qu’il a tués. Le châtiment n’est pas proportionné à la faute. Le cannibalisme n’a pas de commune mesure avec l’adultère. La satisfaction du ven-geur connaît deux moments : l’accomplissement du crime et la contemplation de son frère horrifié par la vérité. Devant une telle horreur, le ciel se révulse et refuse de se lever.

D’Aubigné fait aussi référence à la pièce de Térence : L’Eunuque. Cette pièce met en scène un jeune homme, Phédria, amoureux de la courtisane Thaïs. Thrason, un soldat fanfaron, accompagné par son parasite et flatteur Gnathon, aime également la

30 Ibid, p. 624. 31 Ibid, p. 625. 32 Ibid, p. 625. 33 Ibid, p. 625. 34 Ibid, p. 618. 35 Ibid, p. 221.

courtisane. Phédria, pour preuve de son amour, achète alors à Thaïs, à grand prix, un eunuque vieux et laid et une jeune éthiopienne. Thrason, lui aussi pour preuve de son amour, offre à Thaïs une jeune esclave de seize ans. On est cette fois dans le sarcasme puisque les personnages cités sont des « types » comiques et que leur présence fustige le roi et ses actions :

Vantant ses coups heureux il déteste, il renie Pour se faire vanter à telle compagnie. On voyoit par l’orchestre, en tragique saison, Des comiques Gnatons, des Taïs, un Trazon36.

D’Aubigné par le sarcasme dénonce le pouvoir royal qui a ordonné le massacre de ses sujets. C’est toute la politique royale qui est montrée du doigt et en particulier la façon dont Charles IX se serait emparé de la question religieuse pour désigner au peuple un bouc émissaire. Les Fers expriment les pensées politiques de leur auteur, qui est ici le porte-parole de la cause. Les tableaux ne se contentent pas d’émouvoir, ils permettent aussi d’enseigner, et de graver de façon presque indélébile cette évocation de la Saint-Barthélemy.

Le livre II, Princes, retrace tous les vices de la cour, vices dont Agrippa d’Aubigné a pu lui-même être témoin ; il se met d’ailleurs lui-même en scène à la fin de ce livre sous les traits d’un jeune homme vertueux entrant dans cette cour où tout n’est qu’illusion et tromperie. Le thème dominant n’est plus la cruauté ou l’horreur, mais une autre facette du mal beaucoup plus dangereuse, le mensonge. Cette cour est dominée par le paraître, la mascarade et le déguisement. L’auteur dévoile ainsi les vices de la cour des Valois en ôtant les masques qui cachent la véritable nature de ceux qui y vivent : la satire touche tout le monde, les flatteurs, les princes, les rois tyranniques.

La Saint-Barthélemy constitue le point d’orgue de la guerre fratricide qui oppose catholiques et protestants. Elle marque une rupture dans l’Histoire du royaume. Au- delà de la lecture religieuse, les ouvrages écrits remettent en question les institutions du royaume et le pouvoir absolu et dénoncent la tyrannie et l’arbitraire qui règnent en

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France. La Saint-Barthélemy est bien une journée qui a fait la France, qui a bouleversé le royaume du point de vue religieux et politique. Elle a des conséquences politiques tout aussi importantes puisqu’elle fait violemment émerger la question de la nature du pouvoir royal, de la raison d’État et de la sacralisation de la personne royale.