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MERIMEE, BALZAC, DUMAS

3 LA MISE EN ACCUSATION DES RESPONSABLES

3.1.1 Le roi, Charles IX

3.1.1.3 Dumas : un roi en pénitence

Pour Dumas le roi est responsable du massacre. La psychologie ou la personnali-té de Charles IX est un facteur déterminant dans la survenue du massacre : « Une énigme pour tous et pour lui-même179 » écrit Michelet. Dumas montre Charles IX, em-porté par sa colère, s'amusant à tirer sur des protestants de sa fenêtre au Louvre et me-naçant même de tirer sur son beau-frère ou de l'emprisonner, s'il ne choisit pas le catho-licisme : « Charles IX avait pris grand plaisir à la chasse aux huguenots ; puis, quand il n’avait pas pu continuer de chasser lui-même, il s’était délecté au bruit des chasses des autres » (RM, p. 449). Mais Dumas accorde à Charles IX une dimension tragique qu'il refuse aux autres responsables de la Saint-Barthélemy. En cela, il se rapproche des his-toriens de son époque. Il est vrai que la responsabilité du roi n'est pas directement enga-gée, en effet, c'est l'influence de sa mère qui le pousse à agir ainsi.

La mort du roi constitue un temps fort du roman. C'est également un moment-clé dans la peinture du personnage royal, comme si cette étape cruciale détenait à elle seule toute la vérité du portrait. Le sang que Charles IX crache est à la fois une souillure et un repentir. Ce sang, c'est celui du roi de France qui a ordonné le massacre. Charles IX fait lui-même le rapprochement entre les huguenots que l'on a tués et sa sueur de sang. Dans son délire, il dit à sa sœur : « ils m'attendent, je les vois! Ils saignent encore! tous. Comme moi!.... » (RM, p. 742) Sa mort est à l'image de son crime. Il revit la Saint Bar-thélemy dans son corps et verse son sang comme les huguenots l'ont fait. Margot est à nouveau marquée et revit la nuit du 24 août avec Charles. Quand elle dit à son frère « Meurs en paix. Je te pardonne le sang versé » (RM, p. 761), elle fait autant allu-sion au sang versé la nuit de la Saint Barthélemy qu'à la mort de son amant qu'elle vient d'apprendre. Après un règne sans éclat, marqué par les atrocités de la Saint-Barthélemy, le roi meurt en se livrant à une analyse lucide de son règne. Sa volonté de laisser la ré-gence à Henri de Navarre traduit son désir d'en finir avec le cercle infernal des rivalités fraternelles et des guerres de religion.

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3.1.2 Catherine de Médicis

Pour Balzac et Dumas la reine mère est la responsable du massacre de la Saint-Barthélemy. Mais chacun des deux la juge différemment : Balzac lui donne la possibili-té de se justifier tandis que Dumas perpétue le mythe de la reine noire. Nous essayerons de voir pour quelles raisons les deux auteurs ont des visions si contrastées de cette même reine.

Balzac offre à Catherine de Médicis, dans Les Deux Rêves, la possibilité de se défendre. L’action prend place en 1786. Deux jeunes inconnus se trouvent parmi les convives d'une réception donnée par Madame Saint-James. Leur identité ne sera dévoi-lée qu'à la dernière ligne : ce sont Robespierre et Marat. Robespierre a vu en rêve Cathe-rine de Médicis. La reine lui a expliqué les causes de la Saint-Barthélemy. Celle-ci est longuement justifiée par des considérations sur l’état de la France, la nature de la mo-narchie et les nécessités du pouvoir monarchique. La France ainsi que la momo-narchie ont une longue tradition catholique. Les actions de Catherine de Médicis n'ont pas été dic-tées par des motifs religieux ou par la haine, car, comme elle le précise, son allégeance religieuse était pour le moins aléatoire : « Après tout, j'eusse été calviniste de bon cœur, ajouta-t-elle en laissant échapper un geste d’insouciance. » (CM, p. 386). Le personnage de Balzac avait donc pour but de réunifier et de pacifier la France en proie à des guerres civiles alimentées par des divergences religieuses. Catherine soutient qu'il faut considé-rer aussi le rôle joué par le peuple face à ce genre de crise. Le peuple doit prendre sa part de responsabilité pour pouvoir reconnaître les vraies origines des problèmes. On retrouve là, encore une fois, une idée de Balzac : « le peuple ne doit pas toujours blâmer la monarchie ou le gouvernement du pays. » (CM, p. 449).

L'objectif du massacre était de sauvegarder l'État et le pouvoir du roi, le crime aurait été d'abandonner le pouvoir : « Vous nommez cela un crime ? répondit-elle, ce ne fut qu’un malheur. L’entreprise, mal conduite, ayant échoué, il n’en est pas résulté pour la France, pour l’Europe, pour l’Église catholique, le bien que nous en attendions.» (CM, p. 449). Le but était une obligation d'État. Le terme « malheur » montre bien que c'était un mal nécessaire. Elle poursuit en affirmant qu'elle aurait fait la même chose aux catholiques si elle avait été reine d'Angleterre. La reine Catherine a cherché à éliminer

ceux qui menaçaient la stabilité du royaume, et, dans ce cas, ce sont les protestants. Cela dit, cette destruction du parti protestant n'est pas dictée par des raisons personnelles. Selon elle, dans un pays il n'y a de place que pour une religion, peu importe laquelle. Les protestants ont été responsables de 1'agitation sociale dans le royaume et Catherine de Médicis a fait ce qu'elle a pu pour rétablir la paix.

Catherine de Médicis ne cherche nullement à diminuer l'horreur du massacre en le présentant comme une violence soudaine, un tumulte qu'elle n'aurait pas voulu aussi sanglant. Elle l'a voulu tel, au contraire, et l'aurait étendu, si elle l'avait pu, à toute la France ; elle en juge comme d'une manœuvre, d'un moyen commandé par la fin qu'elle poursuivait, et n'en discute que l'exécution. Elle le réduit à une « entreprise » mal con-duite qui aurait dû anéantir tous les huguenots, à un « coup d'état » dont la conception répondait à une nécessité (CM, p. 383). Sa préméditation n'a plus rien à voir avec la cruauté ou la perfidie, elle résulte de la lucidité de son jugement face aux dangers de la Réforme et de la volonté de préserver le pouvoir royal. La faute de Catherine de Médi-cis ne tient qu'à son échec et, si elle avait réussi, elle serait « demeurée [...] comme une belle image de la providence. » (CM, p. 383).

L'omission du massacre dénote un choix très clair de Balzac. II s'agit pour lui de dissocier 1'image de la reine de toute suggestion de vengeance et de violence. Son atten-tion semble davantage tournée vers les déterminismes, la personnalité et les motivaatten-tions de son personnage plutôt que vers une description du massacre. II s'agit donc d'un choix délibéré de la part de l’écrivain dicté par une volonté de faire correspondre la peinture romanesque et ses a priori politiques. Ainsi notre écrivain soi-disant réaliste finit-il par omettre la description de l’événement le plus déterminant de la vie de Catherine de Mé-dicis. Balzac tache d’être fidèle à l'Histoire et en même temps de réhabiliter 1'image de la reine noire, mais sa représentation ne peut pas être entièrement juste à cause du choix idéologique qui sous-tend son projet. En somme, le portrait de Dumas nous apparaît plus schématique, mais également doué d'une forte cohérence interne, tandis que celui de Balzac arbore plusieurs facettes mais à cause de cela ne peut échapper aux contradic-tions.

Le portrait que propose Dumas de Catherine de Médicis n'est guère favorable. Dans les textes de Dumas, La Reine Margot en particulier, Catherine de Médicis est

responsable de nombreux crimes. Elle empoisonne son fils et par conséquent est respon-sable de sa mort, elle fait tuer Coconnas et La Mole qui sont innocents, elle donne l'ordre d'assassiner Coligny et nous savons qu'elle a essayé de faire tuer Henri de Na-varre. La Saint-Barthélemy est l'épisode central dans l’œuvre de Dumas. L’événement survient tôt dans le roman de manière à orienter immédiatement le lecteur vers une per-ception de la monstruosité de la reine.

Dans son roman, Dumas perpétue la légende noire de Catherine de Médicis en la rendant responsable de tous les malheurs du royaume. Elle profite de la faiblesse de Charles IX pour lui arracher la décision du massacre : « La situation commençait à se dessiner claire et précise à ses yeux; le roi avait laissé faire la Saint-Barthélemy, la reine Catherine et le duc de Guise l'avaient faite. » (RM, p.203).

Mais pourquoi Dumas s'en prend-il avec véhémence à Catherine de Médicis ? Plusieurs raisons peuvent justifier cette haine : la représentation de Dumas est influen-cée par une conviction républicaine et antimonarchiste. Catherine de Médicis, pour Dumas, reste un exemple des raisons pour lesquelles concentrer le pouvoir absolu en une seule personne comporte de gros risques. En la diabolisant, Dumas cherche à plaire à son public comme l'explique Odile Krakovitch:

Dumas se sait en accord avec les mentalités d’un public qui ne pouvait concevoir une quelconque puissance des femmes, que ce soit dans la société ou dans la fa-mille. La peinture des femmes de pouvoir dans le théâtre des années trente, dans le drame romantique comme dans le mélodrame, dans cette fusion des deux genres qui est bien la caractéristique du répertoire du jeune Dumas, correspond parfaite-ment aux attentes et croyances des spectateurs, telles qu’elles furent façonnées par la loi salique, les constitutions révolutionnaires, et les codes napoléoniens180.

C'est son sexe, et surtout son rôle de femme de pouvoir, œuvrant en politique, qui heurte et qui choque.

Enfin, la censure étant toujours un obstacle, c'est à travers une critique des femmes qu'il partage ses convictions antimonarchistes avec son public: « La peinture de

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Odile Krakovitch, « Les femmes de pouvoir dans le théâtre de Dumas : de Christine à Messaline », in Revue d'histoire littéraire de la France, 2004/4 Vol.104, p. 813.

ces reines insatiables relevait de la même tactique que celle qui, pour détourner les ci-seaux de la censure, consistait à faire la critique en toute sécurité des maux politiques contemporains en les transposant dans les périodes les plus reculées et en les parant des couleurs les plus fantaisistes181.», écrit Odile Krakovitch.

Si Dumas, Balzac et d'autres encore choisissent Catherine de Médicis comme personnage central de leurs romans, c'est parce qu'elle leur permet d’exprimer leur vi-sion du monde, leur point de vue sur la politique et la société. Le personnage devient le véhicule des conceptions sociales et critiques des écrivains. Or, si la façon de le repré-senter diffère d'un auteur à l'autre comme on l'a déjà suggéré, le personnage historique arbore toujours une très grande valeur symbolique pour l'écrivain et il sert de métaphore vivante pour illustrer ses théories.