• Aucun résultat trouvé

MERIMEE, BALZAC, DUMAS

1 LA REPRESENTATION DU POUVOIR

1.2.1 Le château de Blois

Dans Le Martyr Calviniste, le narrateur nous offre la description du château de Blois tel qu'il était au XVIe siècle. Comme l'explique Nicole Cazauran, il s’agit de dé-peindre minutieusement un château médiéval afin de fournir à l’action un véritable décor :

Ainsi l'image du Château de Blois qui se dessine dans Le Martyr Calviniste est-elle plus composite qu'il ne semblerait d'abord ; elle est faite aussi bien du souvenir de ce que Balzac a vu que d'une lecture capricieuse, tantôt désinvolte, tantôt attentive, de l'Histoire de La Saussaye, et elle répond, autant qu'au souci d'amplifier son récit, à une admiration réelle et à la volonté de la faire partager147.

Dans le Martyr Calviniste, Balzac s’étend longuement sur la description du châ-teau de Blois avant d'y faire évoluer ses personnages, selon la topographie. Cette longue description offre un pendant au tableau parisien qu'il a dessiné au début du roman. Il expose d'abord la géographie du château :

Au-dessus de la ville [...] se trouve un plateau triangulaire, coupé de l’ouest par un ruisseau sans importance aujourd’hui, car il coule sous la ville ; mais qui, au quin-zième siècle, disent les historiens, formait un ravin assez considérable, et duquel il reste un profond chemin creux, presque un abîme entre le faubourg et le château. Ce fut sur ce plateau, à la double exposition du nord et du midi, que les comtes de Blois bâtirent, dans le goût de l’architecture du douzième siècle, un castel où les fameux Thibault le Tricheur, Thibault le Vieux et autres, tinrent une cour célèbre. (CM, p. 101).

Balzac s’emploie à redessiner l'extérieur et l'intérieur afin donner un nouveau re-lief aux déplacements des personnages. C’est d’abord de l’extérieur que l’on découvre le château, avec ses jardins, ses galeries, ses fenêtres, et son pont. Chaque occupant re-cherche un lieu d’observation stratégique pour espionner ses adversaires. Sur la terrasse du château, s'opposent le groupe de Catherine de Médicis et celui de Guise :

Elle se promenait à l’extrémité des parterres, du côté de la Loire où elle faisait éle-ver, pour son astrologue Ruggieri, un observatoire, qui s’y voit encore et d’où l’on plane sur le paysage de cette admirable vallée. Les deux princes lorrains étaient du côté opposé qui regarde le Vendômois et d’où l’on découvre la partie haute de la ville, le perchoir aux Bretons et la poterne du château. (CM, p. 118)

La situation des personnages dans l’espace de la terrasse symbolise leur place dans la hiérarchie sociale et politique. Le narrateur nous informe que l’accès à la cour intérieure est défendu aux seigneurs qui n’ont de permission spéciale : « car personne,

147

excepté le roi et la reine, n’avait le droit d’entrer à cheval dans la cour intérieure.»(CM, p. 135). Les mœurs à l’intérieur du château sont ainsi conditionnées par l'architecture : « Cette immense construction offre dans la même enceinte, dans la même cour, un ta-bleau complet, exact de cette grande représentation des mœurs et de la vie des nations qui s’appelle l’Architecture » (CM, p. 103). Le château de Blois accède ainsi au rang de symbole de l’Histoire de France, l’architecture symbolisant les mouvements de la nation mais surtout son unité.

Les scènes d'intérieur prennent place dans « la salle des gardes », dans « la chambre royale », dans un « grand salon », et enfin dans la chambre de la reine mère. Le narrateur rapporte que « la reine-mère occupait au premier étage les appartements de la reine Claude de France, femme de François Ier, où se voient encore les délicates sculp-tures des doubles C accompagnés des images de blancheur parfaite, de cygnes et de lis.» (CM, p. 109). La scène de la remise des documents secrets par Christophe à la reine a lieu dans la chambre de Catherine de Médicis. À la suite de François Ier, François II et la reine Marie Stuart occupent au second étage les appartements royaux. Les lieux revêtent une dimension temporelle, une portée historique, celle-ci est révélatrice de l’importance de la notion d’héritage.

D’après Nicole Cazauran, le château apparaît comme une synthèse des différents modes de gouvernements qui se sont succédé en France : « trois époques, trois sys-tèmes, trois dominations. » (CM, p. 103). Le château des comtes de Blois, qui date du XVIe siècle, symbolise la « féodalité pure ». L'aile de Louis XII évoque la période in-termédiaire entre la féodalité et l’absolutisme, caractérisée par le fait que « la cour n'existait pas encore et n'avait pas pris le développement que François 1er et Catherine de Médicis devaient y donner, au détriment des mœurs féodales » (CM, p. 104). C'est une époque où « l'élégance » n’interdit pas une certaine « naïveté » et une « grande sim-plicité de mœurs » (CM, p. 104). L'aile de François 1er évoque la Monarchie de la grande époque, avec toute la « magnificence » de la vie de cour. La description de l’architecture montre justement les strates, les variations possibles dans l’exercice du pouvoir et donc sa friabilité, sa fragilité.

1.2.2 Le Louvre

Dumas restitue avec talent le vieux Louvre et les labyrinthes de ses passages se-crets dans lesquels les protagonistes se perdent, se croisent et s'épient. Le Louvre est l'incarnation du pouvoir royal et celui qui veut s'emparer du pouvoir doit connaître tous les secrets de cette demeure royale : « Paris, murmurait le roi de Navarre, voilà Paris ; c'est-à-dire la joie, le triomphe, la gloire, le pouvoir et le bonheur; Paris, où est le Louvre, et le Louvre, où est le trône.» (RM, p. 745).

Le narrateur nous décrit le Louvre comme une forteresse médiévale qui bénéfi-cie d’une situation géographique privilégiée :

En avant du château royal s'étendait un fossé profond, sur lequel donnaient la plu-part des chambres des princes logés au palais. L'applu-partement de Marguerite était si-tué au premier étage. Mais ce premier étage, accessible s'il n'y eût point eu de fos-sé, se trouvait, grâce au retranchement, élevé de près de trente pieds, et, par conséquent, hors de l'atteinte des amants et des voleurs. (RM, p. 68).

Avec ses longues murailles, le Louvre est une forteresse imprenable : son sys-tème défensif est sans faille.

Le narrateur nous peint l'intérieur du château royal comme un labyrinthe où foi-sonnent corridors, cabinets, cachettes diverses, passages secrets. Tout est multiple, répé-titif, enchevêtré. Pour parcourir le Louvre sans errer, on a besoin d'être guidé : « Atten-dez, mon gentilhomme ; j'ai ordre de vous reconduire jusqu'au guichet, de peur que vous ne vous perdiez dans le Louvre. » (RM, p. 118).

Pour ceux qui ne connaissent pas le lieu, tout mouvement devient errance. Le Louvre se présente en effet comme un lieu dans lequel règne l'obscurité. Celle-ci pro-duit une atmosphère macabre, conférant ainsi à l'intrigue une dimension tragique : « c'était le Louvre, sombre, immobile, mais plein de bruits sourds et sinistres. » (RM, p. 156). Le Louvre est le lieu d’une tension entre l’immobilité et le mouvement. Il semble immuable mais fourmille, il se modifie de manière insidieuse et cachée. Le Louvre est un labyrinthe, un lieu absurde et chaotique. À mesure que l'intrigue progresse, le Louvre apparaît comme un monde déréglé : dans ses couloirs et ses chambres règne une

atmos-phère de mort. Les labyrinthes du Louvre servent aussi les desseins politiques de Cathe-rine de Médicis.

Le Louvre est aussi noir que les idées de ses habitants, il est une métaphore de la tromperie : les passages secrets jouent plusieurs rôles, ils aident les amoureux à tromper leurs partenaires légitimes, à se rencontrer secrètement comme c’est le cas de la reine Margot et de La Mole, de Coconnas et de la duchesse de Nevers ainsi que de Henri de Bourbon et de Madame de Sauve. Le Louvre perd sa valeur de lieu décisionnel et poli-tique, il est désacralisé, il se charge des banalités de la vie amoureuse de ses occupants. D’ailleurs le cabinet secret qui se trouve chez la reine Margot est l’incarnation de la confusion entre les sphères privée et publique. De simples sujets ont connaissance de tous les trafics internes au Louvre et cela peut mettre en péril les fondements de l’État. Le cabinet devient une cachette pour les amoureux et les alliés de Margot. En effet, par leur présence dans ce cabinet, ils découvrent des secrets qui auraient dû rester dans la sphère de la famille royale. Par conséquent, Henri de Guise est le témoin de l’alliance politique entre Henri de Bourbon et la reine Margot.

La connaissance intime et la mainmise sur les lieux de pouvoir doivent permettre de prendre effectivement le pouvoir. C'est le personnage le plus rusé qui pourra finale-ment manipuler les autres et exercer le pouvoir à sa guise.

1.3 LESREPRESENTANTSDUPOUVOIROCCULTE

Sous le règne de l’inflexible Henri II, le pouvoir se fait sans partage. La mort tragique de ce roi provoque un affaiblissement de la posture royale avec l’arrivée suc-cessive au trône de ses fils. Cet affaiblissement du pouvoir royal laisse le champ libre aux passions exacerbées et parfois aux pires d'entre elles. En l'absence d'autorité supé-rieure, ce sont les familles les plus fortes et les plus influentes qui font régner leur loi. Pour deux de nos auteurs, les pouvoirs occultes vont être particulièrement mis en avant. Nous essayerons de voir comment Balzac et Dumas vont mettre en scène le pouvoir royal mis à mal par des pouvoirs occultes. Balzac nous décrit un roi sous l’influence de plusieurs personnages, Dumas nous montre les intrigues latentes dans les jeux de

re-gards et de paroles. Enfin, nous verrons que ces deux auteurs donnent une place impor-tante aux représentants des sciences occultes.