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MERIMEE, BALZAC, DUMAS

1 LA REPRESENTATION DU POUVOIR

1.3.1 Les Guise et leur influence sur le roi

Dans Sur Catherine de Médicis, le narrateur nous brosse le portrait d’un Fran-çois II sans vigueur de corps ni force d’esprit. Le roi est un homme sans volonté, il n’est pas à la hauteur de sa position :

Quoiqu’il eût dix-sept ans, ne connaissait-il de la royauté que les plaisirs, et du ma-riage que les voluptés d’une première passion. Chacun faisait en réalité la cour à la reine Marie, à son oncle le cardinal Lorraine et au Grand-Maître. (CM, p. 136)

Le roi manque d’autorité et fait montre d’irrésolution. François II entre dans sa seizième année quand il monte sur le trône. Il est donc majeur, d’après les lois du royaume ; il peut composer le conseil à son gré et gouverner par lui-même. Mais il est évident que ce jeune prince, aussi faible d’esprit que de corps, ne sera roi que de nom, et que la direc-tion des affaires va passer entre les mains de quelques-uns de ces ambitieux qui entou-rent le trône. Écoutant les conseils de son épouse, il remet le pouvoir, à contrecœur, entre les mains des Guise. En effet, le roi vénère sa femme au point que l’empire de celle-ci sur lui n’a aucune limite :

Entièrement maîtres du roi François II, que sa femme dominait par un amour mu-tuel excessif duquel ils savaient tirer parti, ces deux grands princes lorrains ré-gnaient alors en France et n’avaient d’autre ennemi à la cour que Catherine de Mé-dicis. » (CM, p. 117).

Les Guise ordonnent à leur nièce de semer la discorde entre le roi et sa mère, de défendre la politique des Lorraine auprès du roi et d’attaquer l’hérésie. François II ne pourra qu’être partagé entre son épouse et sa mère. Le dialogue entre François II et Ma-rie Stuart, lors du lever du roi, le confirme. Le roi parle d’abord de la fête de la veille où Marie Stuart a brillé par sa beauté et sa grâce : « Je n’ai pas grand mérite à aimer une si parfaite reine, dit le petit roi.» (CM, p. 146). Le dialogue se poursuit en échange

amou-reux : « Oh ! le joli bras ! Pourquoi faut-il nous habiller ? J’aime tant à passer mes doigts dans tes cheveux si doux, à mêler leurs anneaux blonds. » (CM, p. 147). Puis gagne la politique : « Ne viendrez-vous pas voir mon cher pays ? Les Écossais vous aimeront, et il n’y aura pas de révolte comme ici.». (CM, p. 147). Ensuite le roi attaque les oncles de sa femme : « Je ne vois rien que par leurs yeux et décide à l’aveugle [...].Oh ! s’ils n’étaient pas vos oncles ! s’écria François II. Ce cardinal me déplaît énormément, et quand il prend son air patelin et ses façons soumises.» (CM, p. 147). Marie répond en défendant ses oncles et en attaquant Catherine de Médicis :

Suis-je reine, moi, par exemple ? Croyez-vous que votre mère ne me rende pas en mal ce que mes oncles font de bien pour la splendeur de votre trône ? Hé ! Quelle différence ! Mes oncles sont de grands princes, neveux de Charlemagne, pleins d’égards et qui sauraient mourir pour vous ; tandis que cette fille de médecin ou de marchand, reine de France par hasard. (CM, p. 147)

Balzac décide donc d’accorder un rôle de premier plan aux Guise et d’insister sur leurs intrigues pour conquérir le pouvoir.

Le narrateur balzacien fait un portrait du cardinal, surnommé le grand maître, comme un homme rusé, rompu aux manœuvres machiavéliques et qui parvient à s'em-parer d'un trône qui ne lui est pas destiné. Le cardinal est habile, persuasif, plein de res-sources et de séductions. Balzac le présente comme le principal ennemi de Catherine de Médicis. Avec cet évident avantage sur tous ses rivaux, sur son frère même, le grand-duc de Guise, il n’est pas surprenant qu’il conquière la direction suprême du gouverne-ment sous le règne du faible François II. Balzac montre comgouverne-ment son omniprésence dans la sphère royale lui permet de tout contrôler : « Il est nécessaire de faire observer que, pour mieux surveiller la cour, quoique les Guise eussent en ville un hôtel à eux et qui existe encore, ils avaient obtenu de demeurer au-dessus des appartements du roi Louis XII. » (CM, p. 111). Leurs appartements, placés au-dessus de ceux du roi, symbo-lisent cette volonté de prise de contrôle. En espionnant la cour, le cardinal prive la tête de l'État de ses sens les plus vitaux et entrave l'exercice de la monarchie qui consiste à tout voir et tout entendre. Aidé de son frère et de sa nièce, le cardinal devient le véri-table roi du royaume. C’est lui qui décide de tout sans que personne n’y trouve quelque chose à redire. Le cardinal contrôle le conseil royal et gouverne à sa guise. Balzac fait

en sorte que ce soit lui qui questionne Christophe et incrimine les chefs réformés. Fran-çois II devient alors un personnage secondaire. Le cardinal se permet même d'envahir l'espace du roi sans peur des conséquences :

Partons, dit le roi.- Partir ! s’écria le Grand-Maître en entrant. Oui, sire, il s’agit de quitter Blois. Pardonnez-moi ma hardiesse ; mais les circonstances sont plus fortes que l’étiquette, et je viens vous supplier de tenir conseil. Marie et François s’étaient vivement séparés en se voyant surpris, et leurs visages offraient une même expres-sion de majesté royale offensée. - Vous êtes un trop grand maître, monsieur de Guise, dit le jeune roi tout en contenant sa colère. (CM, p. 150).

Le cardinal de Lorraine ne respecte plus les signes de la hiérarchie sociale. Au lever du roi, il garde son chapeau devant un prince du sang. Ainsi, cette étiquette, qui dessine symboliquement les rapports de pouvoir entre les différents individus, n'a plus de valeur.

Le cardinal n'hésite pas à discréditer le roi auprès de son peuple. Lors du spec-tacle affreux de l'exécution d’Amboise, le cardinal interdit au roi le droit de gracier. Ainsi, le cardinal prouve à tout le monde qu'il est le seul détenteur du pouvoir :

Tout le peuple cria de nouveau : ― Grâce ! ― Allons, dit le roi, grâce à ce pauvre Castelnau qui a sauvé le duc d’Orléans. Le cardinal se méprit avec intention sur le mot : allons. Il fit un signe à l’exécuteur, en sorte que la tête de Castelnau tomba quand le roi lui faisait grâce. (CM, p. 197)

Le cardinal a en quelque sorte disgracié un roi qui n'a pas su ou pu asseoir sa lé-gitimité. Mais la faiblesse du roi et la mainmise des Lorraine suscitent les réactions des autres grands dont celle de la famille Montmorency-Châtillon devenue protestante. Bal-zac décide alors de faire assister le lecteur à une querelle de familles pour le pouvoir, il évince le roi qui n'a plus de place dans ce combat.

Balzac fait donc le choix de nous montrer un roi sous influence qui ne parvient pas à exercer sereinement son pouvoir. En insistant sur la faiblesse physique et morale de François II, il place les Guise au cœur de l’intrigue : ceux-ci tirent alors les ficelles et représentent alors le vrai pouvoir.