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MERIMEE, BALZAC, DUMAS

2 LA REPRESENTATION DU CONFLIT

2.1.2 Amants ennemis

2.1.2.2 Le conflit du sentiment amoureux et du sentiment religieux

Mérimée représente une histoire d’amour qui symbolise le conflit entre protes-tants et catholiques. Entre Bernard de Mergy et Diane de Turgis naît un amour mis en difficulté par le conflit religieux. Nous allons voir comment Mérimée en développant cette intrigue montre la division religieuse au sein de l’amour et l’impossibilité d’union.

La relation amoureuse permet à Mérimée de montrer que la question religieuse va se substituer aux attentions sentimentales. Dans leur relation les deux amants vont être conduits à ne parler plus que de conversion. Diane va vouloir absolument que Ber-nard épouse la même religion qu’elle. Mérimée en opposant l’amour et la religion dé-signe l’un des deux vainqueurs.

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Stendhal, Le Rouge et le Noir, Paris, Ellipses1987, p. 323.

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Ibid, p. 540.

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Mérimée nous donne quelques aperçus sur les entretiens tendrement théolo-giques des amants où la passion sensuelle et mystique de Diane se heurte à la logique rigide de l’hérétique endurci. Dès son apparition dans le roman, le narrateur met en avant la ferveur religieuse de Diane de Turgis. Ce qui frappe le plus chez elle, c'est le singulier mélange qu'elle fait entre la foi et la passion amoureuse :

La Turgis est comme Vaudreuil, dit Béville ; elle fait un salmigondis de la religion et des mœurs du temps : elle veut se battre en duel, ce qui est, je crois, un péché mortel, et elle entend deux messes par jour. Laisse-moi donc tranquille avec ma messe, s'écria Vaudreuil. Oui, elle va à la messe, reprit Rheincy, mais c'est pour s'y faire voir sans masque. (Ch, p. 90)

Ainsi, la première discussion de tête-à-tête entre Diane et Bernard, au moment de la chasse, porte sur des questions religieuses. Le lecteur sait déjà que Diane est éprise de Bernard. Mais, avant d'aborder les choses du cœur, les deux personnages parlent des problèmes concernant la foi. En effet, à l'occasion du duel qui doit opposer Bernard à Comminges, la comtesse craint avant tout pour l'âme de son nouvel amant, car Bernard est protestant. À ses yeux il est hérétique et, s'il venait à périr, serait damné :

L'aide de Dieu !.... interrompit-elle d'un air méprisant; n'êtes-vous pas huguenot, monsieur de Mergy ? Oui, madame, répondit-il gravement, selon son ordinaire, à pareille question. Donc, vous courez plus de risques qu'un autre. Et pourquoi ? Ex-poser sa vie n'est rien ; mais vous exposez plus que votre vie, — votre âme. (Ch, p. 157)

Dès ce premier entretien, les sentiments de la comtesse pour le jeune protestant sont marqués à la fois par le prosélytisme religieux et la passion amoureuse, traits qui n'ont guère pu se rencontrer que dans une femme du XVIe siècle. Diane donne à son amant protestant un talisman destiné à lui sauver la vie, mais, là encore, le véritable des-sein de la comtesse est de rapprocher Bernard de la religion catholique. Cet épisode s'achève sur un problème, primordial pour Diane, à savoir si l'amour peut conduire à Dieu :

Oui; est-ce que... l'amour, par exemple?... Mais soyez franc ! parlez-moi sérieuse-ment. Sérieusement? Et il cherchait à reprendre sa main. Oui. Est-ce que l'amour que vous auriez pour une femme d'une autre religion que la vôtre,.... est-ce que cet

amour ne vous ferait pas changer?.... Dieu se sert de toutes sortes de moyens. Et vous voulez que je vous réponde franchement et sérieusement ? Je l’exige. (CM, p. 160)

Nous constatons que, dans cette première discussion, dès les premières tendres paroles, Diane s'est assigné la tâche de convertir le jeune protestant. Mais après avoir tout essayé, Diane n'attend pas même la réponse de Bernard, une réponse que peut-être elle craint. Finalement, elle préfère ne rien entendre. À mesure que l'intrigue progresse, leur amour ne cesse de grandir, mais ce caractère conflictuel de l'amour ne faiblit pas. Mérimée a d'ailleurs consacré à ce sujet un chapitre qui s'intitule « Le catéchumène » ; nous y voyons Diane employer tous les arguments, ceux de la raison et ceux des sens, pour convaincre son amant :

Je ne veux pas les entendre. N'empoisonne pas mes oreilles de tes hérésies. Ber-nard, mon cher BerBer-nard, je t'en conjure, n'écoute pas tous ces suppôts de Satan, qui te trompent et te mènent en enfer ! Je t'en supplie, sauve ton âme, et reviens à notre Eglise ! Et comme, malgré ses instances, elle lisait sur les lèvres de son amant le sourire de l'incrédulité : Si tu m'aimes, s'écria-t-elle, renonce pour moi, par amour pour moi, à tes damnables opinions ! (Ch, p. 236)

Ainsi, bien qu'elle soit à court d'arguments, Diane ne s'avoue pas vaincue, elle tente d'arracher à Bernard sa conversion en assimilant celle-ci à une preuve d'amour. Jusqu’au dernier moment, jusqu'à la Saint-Barthélemy, ce zèle ne fléchira pas. Alors que dehors les catholiques s'apprêtent à bondir sur les protestants, Diane s'emploie à ramener Bernard au catholicisme : « Vois, dit-elle, tu as encore un quart d'heure pour te repentir. Quand cette aiguille sera parvenue à ce point, ton sort sera décidé.» (Ch, p. 267). Il apparaît donc que cet amour entre Diane et Bernard soit une œuvre de mission-naire accomplie par une catholique fervente, au cœur des guerres de religion, pour sau-ver 1'âme de son amant de l'hérésie.

Bien que l'amour entre cette catholique et ce protestant soit un amour évangéli-sateur, il n'en est pas pour autant un amour platonique. La passion ardente qui les anime est empreinte d'une grande sensualité, et pour s'en convaincre, il suffit de se souvenir de la nuit où Dona Maria- Diane se donne à Bernard :

Ah ! oui, c'est mon corset. Sainte Vierge ! Comment ferai-je ? J'ai coupé tous les lacets avec votre poignard. Il faut en demander à la vieille. Ne bougez pas, laissez-moi faire. Adios, quejido Bernardo! (Ch, p. 211)

La description de ces scènes reste toujours dans les limites de la décence. Pour-tant, on peut constater combien cette femme est faite pour l'amour et surtout pour l'amour sensuel :

Cher Bernard, lui disait-elle un soir, appuyant sa tête sur l'épaule de son amant, tandis qu'elle enlaçait son cou avec les longues tresses de ses cheveux noirs ; cher Bernard, tu as été aujourd'hui au sermon avec moi. Eh bien ! tant de belles paroles n'ont-elles produit aucun effet sur ton cœur ? Veux-tu donc rester toujours insen-sible ? […] Méchant ! je veux t'étrangler. Et, serrant légèrement une natte de ses cheveux, elle l'attirait encore plus près d'elle. (Ch, p. 233)

Une telle attitude s'accorde d'ailleurs parfaitement avec son tempérament de femme énergique et séductrice. Mais il ne faut surtout pas s’y tromper, il n'y a aucune contradiction entre la sensualité de cet amour et son côté évangélisateur, il y a au con-traire un accord parfait entre ces deux tendances. Car, pour mener son amant à la reli-gion catholique, Diane n'hésite pas à se servir de ses charmes et fait de son alcôve et de son lit une chaire :

Au reste, s'il conservait sa croyance, il avait de rudes combats à soutenir, et Diane argumentait contre lui avec d'autant plus d’avantages qu'elle choisissait ordinaire-ment, pour entamer ses disputes théologiques, les instants où Mergy avait le plus de peine à lui refuser quelque chose.» (CM, p. 233)

Il est normal que Diane cherche à établir un compromis entre l'amour humain et l'amour divin. En effet, le narrateur a souligné à maintes reprises que les choses du cœur et les choses de l'âme pouvaient fort bien se concilier :

Si tu veux te mettre sur les rangs, n'oublie pas, à la sortie du sermon, de te placer à la porte de l'église pour lui offrir de l'eau bénite. Voilà encore une des jolies céré-monies de la religion catholique. Dieu ! que de jolies mains j'ai pressées, que de billets doux j'ai remis, en offrant de l'eau bénite ! (Ch, p. 110)

Mais la comtesse renverse ces pratiques, elle n'utilise pas la religion à des fins amoureuses, mais l'amour à des fins religieuses. Elle se sert de ses propres péchés comme d’un instrument de son propre salut et de celui de son amant :

Oui, je le sais bien. Mais, si je pouvais sauver ton âme, tous mes péchés me se-raient remis ; tous ceux que nous avons commis ensemble, tous ceux que nous pourrons commettre encore,... tout cela nous serait remis. Que dis-je ? nos péchés auraient été l'instrument de notre salut ! (Ch, p. 234)

Diane aspire à une seule chose : la conversion de son amant protestant, et pour atteindre son but elle est prête à des grands sacrifices. En effet, elle accepte de doubler le nombre des années qu'elle doit passer en purgatoire. L'objectif que Diane s'est assigné est difficile à atteindre dans la mesure où Bernard est un protestant convaincu. C'est un homme pour qui la religion prime sur tout, même sur l'amour. Ainsi relever le défi que chez lui l'amour sera plus fort que la religion est une entreprise à haut risque. Certes, Diane peut nourrir l'espoir, surtout au début de leur aventure, de convertir son amant protestant dans la mesure où des signes encourageants se manifestent :

Mais, ce qui semblait encore plus concluant, et ce qui surprenait tout le monde, c'était de voir le jeune huguenot, ce railleur impitoyable de toutes les cérémonies du culte catholique, aujourd'hui fréquentant les églises avec assiduité, ne manquant guère de processions, et même trempant ses doigts dans l'eau bénite, ce que, peu de jours auparavant, il aurait considéré comme un sacrilège horrible. (Ch, p. 232)

Mais Bernard est ici uniquement jugé de l’extérieur, et le narrateur précise bien vite que cette participation aux rites catholiques est purement formelle. En réalité, son cœur n'est pas atteint, et il en faut beaucoup plus pour qu'il accepte de se convertir. Diane, sans doute, espère qu'à l'issue d'un âpre combat entre la foi et l'amour, ce sera ce dernier qui l'emportera et que Bernard acceptera de se faire catholique. Ce combat n’a jamais eu lieu dans le cœur de Bernard.