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4.2 Interactions sur les fonds cosmiques et particules secondaires

4.2.4 La violation de l’invariance de Lorentz

Un certain nombre de développements théoriques actuels laissent penser que les lois cinématiques de la relativité pourraient être violée de manière générique aux plus hautes échelles d’énergie. C’est le cas des cadres théoriques de la gravitation quantique qui sont actuellement les plus étudiés comme la gravitation à boucles, voire de modèles branaires. Il est naturel de penser qu’à l’échelle de Planck (MP l ∼ 1028eV), la structure de

l’espace-temps n’est plus la même qu’aux échelles usuelles de la physique des hautes énergies, et par consé- quent n’a plus les mêmes symétries : il se peut que la quantification de l’espace-temps lui confère une nature discrète.

Une telle violation de l’invariance de Lorentz (LIV) génèrerait une modification des règles de la cinéma- tique, et en conséquence pourrait déplacer au-delà de1020eV le « seuil » GZK associé à la photoproduction de

pions sur le CMB.

♠ Nous traitons de la LIV ici, car si elle n’est pas une interaction proprement dite, elle constitue un moyen ex- trêmement élégant, voire naturel, de contourner l’effet GZK. L’annonce par AGASA de l’absence d’atténuation GZK a été pour beaucoup dans le développement théorique des modèles de LIV. Si l’effet GZK est effectivement observé, ces développements ne seront néanmoins pas perdus : l’observation éventuelle de l’effet GZK posera des contraintes que toute théorie de gravitation quantique devra respecter.

La difficulté à l’heure actuelle est que les théories fondamentales ne sont pas assez évoluées pour fournir des prédictions précises. On trouvera par exemple dans [88] une discussion montrant comment la LIV est générée dans le cadre de la gravité à boucles. Intuitivement, aux plus petites échelles l’espace-temps acquiert une nature discrète qui brise donc l’invariance par rotation et par boost.

Du coup, un certain nombre de paramétrisations purement phénoménologiques de la LIV ont été proposées. Une façon naturelle d’introduire de la LIV est, dans le cadre d’une théorie effective de champs, de rajouter au lagrangien du modèle standard des termes correctifs violant explicitement la symétrie de Lorentz. Une classification systématique des extensions possibles existe. Deux types de termes correctifs existent pour QED : les termes renormalisables (dimensions≤ 4), comme par exemple cabΨγ¯ a∂bΨ pour les fermions, et les termes

non-renormalisables (dimensions≥ 5), pour lesquels on doit explicitement faire apparaître MP l. On montre

que les opérateurs de dimension 5 violant l’invariance de Lorentz dans le cadre de QED sont forcément de la forme : κ 2MP l uµFµν(u· ∂)uλF˜λν+ 1 2MP l uµΨγ¯ µ(λ1+ λ2γ5)(u· ∂)2Ψ

En rajoutant ces termes au lagrangien et en résolvant les équations associées pour les champs libres, on obtient que les relations de dispersion fondamentales de la particule libre (photon ou électron) sont modifiées. L’essen- tiel des cas est couvert par la paramétrisation suivante des relations de dispersion (qui dépend a priori du type de particule) : E2 = p2+ m2− 2dE2− ξ E 3 MP l − ζ E4 MP l2 |d|, |ξ|, |ζ|  1

Le premier terme correctif est associé à des opérateurs renormalisables en théorie effective des champs, les termes suivants à des opérateurs non renormalisables. Le fait que la LIV entraîne une modification des relations de dispersion n’est pas surprenant. On sait par exemple qu’en physique du solide, la non-linéarité des relations de dispersion des phonons est directement due à la structure discrète des cristaux (la relation de dispersion redevenant linéaire en approximation de milieu continu).

Conséquences phénoménologiques

On peut déduire de ces relations de dispersion modifiées des conséquences phénoménologiques directement testables [89]. Nous en décrivons maintenant quelques-unes. Ces conséquences sont généralement obtenues en écrivant explicitement la conservation du quadrivecteur énergie-impulsion (il s’agit là d’une hypothèse supplé- mentaire forte, non garantie a priori par la théorie).

– Un résultat important est que le signe du coefficientξ change en fonction de l’hélicité du fermion et du photon. La relation de dispersion étant fonction de l’hélicité, on peut donc parler de biréfringence du

vide, analogue à ce qui se produirait en présence d’un champ magnétique. Le plan de polarisation d’un

photon polarisé rectiligne tourne alors au cours de sa propagation, d’un angle dépendant de son énergie. Du coup, un paquet d’ondes (non monochromatique) initialement polarisé rectiligne doit être dépolarisé au cours de sa propagation sur des distances cosmologiques. La mesure de lumière polarisée émise par des sources lointaines pose ainsi directement des contraintes surξ.

– La vitesse de groupevg = dEdp est modifiée. Le terme −ξ E 3

MP l entraîne par exemple, dans le domaine

m E  MP lqui nous intéresse en astroparticules :

vg = p

E + 2M3ξE2

Comme par ailleurs on ap = E 1 +2MξE

P l , on en tire au premier ordre :

vg = 1−

ξE MP l

Cela génère des délais temporels dans l’émission de signaux provenant d’une source située à une distance cosmologiquer, dont l’ordre de grandeur est le suivant :

∆t' ξ  r 100 Mpc   E TeV  sec

Des contraintes surξ peuvent ainsi être obtenue grâce à l’observation multi-longueur d’onde de GRBs [90]. – Enfin, la modification des règles de la cinématique change les seuils de réactions. Des modifications

substantielles de la cinématique sont typiquement attendues lorsque le terme correctif de LIV devient comparable àm2 (nous pensons ici naturellement à une réaction de type photoproduction de pions). Dans le cas du terme enξ, cela a lieu pour :

ξ∼ 10−14 m GeV

2 E 1020eV

−3

On voit ainsi l’ordre de grandeur des paramètres de LIV qui vont pouvoir être sondés par la (non)- observation de l’effet GZK. La (non)-observation d’une coupure au TeV dans le spectre en photons de sources lointaines (réaction γγfond −→ e−e+ décrite à la section précédente) poserait aussi des

contraintes, qui seraient néanmoins plus lâches. Le calcul exact des modifications de seuil est un bel exercice de cinématique. En rajoutant uniquement le terme enξ comme correction de LIV, on peut poser x = pseuil/pseuil,0, avecpseuil,0= m4π(2mN+ mπ) pour le seuil GZK des protons et pseuil,0= m

2 e  pour

le seuil au TeV des photons (voir sections précédentes). Dans ce cas, on obtient une relation de la forme : x− 1 = αx3 où α∝ ξ

Le coefficientα dépend du seuil considéré. L’observation de x∼ 1 permettra donc de conclure α ≤ 1 et de contraindre ainsiξ.

♠ A l’heure actuelle, la non-observation de la biréfringence du vide grâce à la lumière UV polarisée de galaxies lointaines permet d’avoir la limite|ξ| . 2 × 10−4. L’observation de lumière polarisée provenant

d’un GRB lointain permettrait, grâce au phénomène de modification de la vitesse de groupe, de limiter|ξ| . 2× 10−15; mais ce résultat est controversé et n’a pas été confirmé par d’autres équipes [91]. Il est par contre très probable que l’observation de l’effet GZK permette de tester de manière fiable le domaine|ξ| ∼ 10−14.

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