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3.4 Résultats des deux premières années d’Auger

4.1.3 Scénarios spéculatifs

Les modèles astrophysiques présentés ici souffrent de certains « défauts » : aucun ne permet de dépasser facilement la barre des1020eV (il faut généralement pousser les paramètres à l’extrême) ; la plupart seraient mis en défaut dans l’hypothèse où la coupure GZK ne serait pas observée. Un grand nombre de modèles alternatifs, basés sur de la physique essentiellement inconnue, ont été développés [66].

« Matière noire » superlourde

Il a été suggéré que les UHECRs pourraient être générés par la désintégration ou l’annihilation collisionnelle de particules reliques de l’Univers ancien, de massem > 1010GeV et dont la durée de vie doit forcément être comparable ou plus grande que l’âge de l’Univers.

La matière noire est en général supposée relativement légère, de masse mDM ≤ 100 TeV. Cela justifie

les recherches directes en cours ainsi que les recherches indirectes en astronomie γ [67], qui scannent des masses typiquement inférieures au TeV. En fait, pour une masse donnée, les contraintes d’unitarité imposent une section efficace d’annihilationσv maximale. Par ailleurs, il existe une relation directe entre ΩDMh2etσv

du fait que l’on suppose que la matière noire est une relique thermique de l’Univers primordial. Les contraintes les plus récentes surΩDMh2 (WMAP) imposent ainsi directement une contrainte sur la masse des particules

de matière noire :

mDM ≤ 34 TeV

Une matière noire superlourde n’en est pas pour autant exclue, mais ne doit donc pas avoir été en équilibre thermique au moment du gel de son abondance. De nombreux modèles de production de ces « wimpzillas » ont été proposés. Le plus courant est la production gravitationnelle de ces particules à la fin de l’inflation, à la suite de l’augmentation rapide du facteur d’échelle de l’espace-temps : le couplage entre un champ scalaire « X » et la métrique génère une densité de particules :

ΩXh2 ∼ (mX/1013GeV)2(109GeV/TR)

oùTRest la température du reheating consécutif à la désintégration de l’inflaton. Les wimpzillas peuvent donc

constituer la matière noire pour une gamme de masses1012GeV≤ m ≤ 1014GeV. Il est en particulier remar-

quable que l’échelle d’énergie des UHECRs observés coïncide avec la valeur deH à la fin de l’inflation. Cette matière noire, comme les autres, serait essentiellement concentrée localement dans le halo de notre ga- laxie. Elle pourrait aussi être concentrée en amas (les clumps) comme le suggèrent certaines simulations ré- centes de grandes structures. Elle génèrerait des UHECRs soit par désintégration, soit par annihilation collision- nelle, via la fragmentation de quarks en hadrons, générant au final nucléons mais surtout photons et neutrinos en copieuse quantité.

♠ À ces énergies, les processus exacts de fragmentation ne sont pas connus. Diverses extrapolations de QCD (incluant ou non la SUSY) existent pour estimer les fonctions de fragmentation, conduisant à des spectres d’injection relativement concordant entre auteurs ([68], [69]).

Défauts topologiques et autres

Les défauts topologiques sont des produits génériques des brisures de symétrie ayant lieu dans l’Univers primordial dans le cadre des théories de grande unification. S’il est maintenant prouvé que les défauts topolo- giques n’ont pas une influence gravitationnelle importante sur la formation des grandes structures, il n’en reste pas moins que leur existence est tout-à-fait possible. Ils pourraient générer un flux de particules à ultra-haute

énergie.

Parmi les nombreux autres modèles de production d’UHECRs, mentionnons le modèle de « Z-burst » qui fut un temps à la mode. Dans ce modèle, les UHECRs sont le fruit de la désintégration de bosons Z à l’intérieur de l’horizon GZK. Ces bosons Z sont eux-mêmes produits par l’interaction résonante de neutrinos d’ultra-haute énergie sur le fond diffus de neutrinos de basse énergie, de température(4/11)1/3TCMB. Ces neutrinos UHE,

d’énergieE ' M2

Z/(2mν) ' 4.2 × 1021eV(1 eV/mν), doivent être générés dans des objets lointains en tant

que secondaires de protons de plus haute énergie encore (rappelons en particulier que les données WMAP imposent maintenantΣmν .1 eV).

Prédictions et contraintes associées

Bien qu’extrêmement spéculatifs, et donc sujets à de fortes variations d’un auteur à l’autre, ces modèles ont le bon goût de prédire un certain nombre de phénomènes de manière générique.

1. Nature des UHECRs. Malgré les incertitudes sur les modes de désintégration, les quarks se combinent toujours plus facilement en mésons qu’en baryons. Les particules générées sont donc en majorité des photons et des neutrinos issus de la désintégration des pions. Les flux prédits de neutrinos sont en gé- néral tels que Auger ou IceCube devraient pouvoir en détecter. La fraction relative de photons dans les UHECRs est importante, et peut être confrontée avec les mesures des expériences. À l’heure actuelle, les valeurs limites sur la fraction de photons à 10 EeV et au-delà ne sont pas encore assez fortes pour exclure ces scénarios (voir Fig. 4.5, haut), d’autant plus que la discrimination expérimentale photons – hadrons reste non triviale. Cette situation est appelé à être améliorée très prochainement grâce à Auger.

2. Spectre des UHECRs. Les spectres typiques prédits sont plus durs que le spectre observé :dN/dE ∼ E−1.9 typiquement. Du coup, ces scénarios exotiques ne pourraient expliquer le spectre des UHECRs qu’au-delà des énergies GZK... Un ajustement fin des paramètres est nécessaire pour connecter les spectres sub-GZK et super-GZK. Ce problème de coïncidence est un lourd handicap pour ces modèles. 3. Anisotropies des UHECRs. Les UHECRs observés sur Terre dans les scénarios de matière noire super-

lourde proviennent du halo galactique (c’est ce qui permet de contourner l’effet GZK). Par suite, on attend une très forte anisotropie à grande échelle liée à la galaxie dans ces modèles, à des énergies de l’ordre de 1020 eV [72]. La statistique actuelle est déjà presque suffisante pour infirmer cette prédiction [73]. Le flux des UHECRs neutres (majoritaires à haute énergie) provenant de la direction (α,δ) se calcule suivant :

Φ(α, δ) Z

ligne de visée

dr [nDM(r)]k

oùk = 1 dans un scénario de désintégration et k = 2 dans le cas de l’annihilation collisionnelle. La forme exacte de l’anisotropie dépendra donc du choix du profil de matière noirenDM(r) (isotherme, NFW,...).

Par ailleurs, il a été suggéré que les anisotropies à petite échelle des UHECRs seraient expliquées dans ce cadre par l’existence de clumps de matière noire.

4. Fond diffus de photonsγ. Le flux copieux de photons à typiquement 1020eV générés par tous ces modèles entraîne la prédiction d’un flux diffus de photons secondaires à des énergies du GeV au TeV. En effet, sur des distances quasi-cosmologiques, les photons UHE génèrent des cascades électromagnétiques, que nous décrirons à la section suivante. Le flux ainsi prévu est tout-à-fait comparable, voire supérieur au fond diffus extragalactique mesuré par EGRET après soustraction des avant-plans galactiques [71], comme le montre la Fig. 4.5 (bas). Un certain nombre de modèles sont ainsi déjà plus ou moins exclus par cette contrainte (en particulier le modèle de Z-burst).

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 10 102 E0 (EeV)

photon fraction (%) for E

> E 0 10 30 100 limits at 95% CL A1 A1 HP HP A2 Auger SHDM ZB TD 1 102 104 108 1010 1012 1014 1016 1018 1020 1022 j(E) E 2 [eV cm -2 s -1 sr -1 ] E [eV] EGRET 1.8 0.2 1.8 0.2 1.8 0.2 γ ν i p

FIG. 4.5 : Contraintes sur les modèles exotiques. Haut : Fractions de photons prédites par des modèles de

matière noire, défauts topologiques et Z-burst, comparée aux contraintes Auger, AGASA et Haverah Park [70]. Bas : flux de protons (bleu), photons (vert) et neutrinos (rouge) prédits dans un modèle de défauts topologiques, comparé aux spectres des UHECRs et du fond diffus extragalactique au GeV [71].

En conclusion, certains de ces modèles exotiques ne sont pas exclus à l’heure actuelle, mais un ensemble d’indications fait qu’ils peuvent apparaître moins attirants qu’il y a quelques années encore : absence de cou- pure GZK remise en cause par HiRes ; absence pour l’instant d’observations de photons ou de neutrinos UHE ; contraintes EGRET... Nous privilégions donc une origine astrophysique des UHECRs, sans oublier les innom- brables problèmes que cette hypothèse entraîne.

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