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3.4 Résultats des deux premières années d’Auger

3.4.1 Anisotropies à basse énergie

3.4.1.1 Le centre galactique

Une première recherche d’excès en direction de la région du centre galactique a été publiée par la collabora- tion Auger à l’ICRC 2005 [50]. Il s’agissait essentiellement de tester les excès relativement localisés annoncés précédemment par AGASA et Sugar, et de placer une limite supérieure sur le flux en provenance directe du centre galactique aux alentours de l’EeV. Les événements T5 d’avant juin 2005, avecθ≤ 60ont été utilisés.

La carte de couverture a été calculée par scrambling, de la même façon que décrit dans les « prescriptions » proposées en 2003 [51] ; nous avons aussi fait l’analyse en utilisant les autres méthodes d’estimation de la cou- verture, mais étant donné que l’on recherche des excès localisés sur la sphère céleste, on est largement dominé par le bruit poissonnien et la manière de calculer la couverture n’est donc pas du tout critique ici : comme montré au chapitre précédent, l’incertitude systématique due à l’estimation de la couverture est de1%. On a obtenu les résultats négatifs suivants :

– Excès « Agasa ». Dans le disque de rayon20◦, centré dans la direction(α, δ) = (280◦,−17◦), AGASA

avait obtenu un excès d’amplitude ' 22% dans la bande d’énergie 1 ≤ E ≤ 2.5 EeV. Dans cette même direction et bande d’énergie, 1155 événements ont été obtenus par Auger pour1161± 12(syst.) ±

Un lien entre les excès à l’EeV et le centre galactique en γ ?

Un certain nombre de développements phénoménologiques ([48],[49]) ont été effectués afin de relier les sources galactiques à l’EeV suggérées par les résultats d’AGASA, Sugar et Fly’s Eye aux émissions γ à plus basse énergie, en particulier la source au TeV du centre galactique, dont le spectre a été précisément mesuré par HESS, ou la source EGRET qui en est proche (3 EG J1746-2851). Il s’agit donc de modèles hadroniques pour ces sources, par opposition aux modèles simplement électromagnétiques. Les détails des modèles diffèrent suivant les auteurs, mais nous pouvons résumer un « scénario » plausible ainsi :

• Des protons (ou des noyaux plus lourds) sont accélérés dans un objet de la région du centre galactique (pas forcément Sgr A*), jusqu’à quelques EeV, avec un spectre en loi de puissance∼ E−α, typiquement α∼ 2.2.

• Au voisinage immédiat de la source, ces particules interagissent avec les noyaux du milieu interstellaire (ISM), très dense dans cette région :pp−→ pp + π0,pp−→ pn + π+; il s’agit de diffusion inélastique proton - proton, dont la section efficace estσ ' 3 × 10−26 cm−2dans cette gamme d’énergie, et donc

le taux d’interactions est simplement gouverné par la densité de l’ISM notée nH. Dans le cas où les

particules accélérées sont des noyaux, il peut y avoir photodissociation (voir chapitre suivant) sur le fond infrarouge, très important dans cette région à cause de la densité d’objets massifs, ce qui génère des neutrons.

• Les photons issus de la désintégration des π0 forment une source quasi-ponctuelle deγ à haute énergie.

L’indice spectral de cette source doit être similaire à celui des protons accélérés.

• Les neutrons générés par les interactions se propagent en ligne droite. Ils ont le bon goût, à ces énergies de l’EeV, d’avoir une distance de désintégration de l’ordre de la distance du centre galactique à la Terre. Une source ponctuelle d’UHECRs à l’EeV peut donc apparaître.

• La désintégration des π+engendre des neutrinos dans la bande d’énergie du TeV - PeV, que l’on peut

donc aussi observer sous la forme d’une source ponctuelle.

• Les protons émis à la source, ou issus de la désintégration en route des neutrons, peuvent générer une anisotropie à grande échelle sur Terre à l’EeV après avoir diffusé dans les champs magnétiques galac- tiques.

En se basant sur le flux observé par EGRET ou par HESS, on peut prédire les flux associés aux autres com- posantes. Le flux de neutrinos prédit serait détectable avec un détecteur de la taille dukm3. L’amplitude des anisotropies à grande échelle, ou des sources étendues d’UHECRs, est elle difficile à prédire car elle dépend des modèles de champs magnétiques galactiques. Une anisotropie d’amplitude semblable à celle mesurée par AGASA est néanmoins plausible. Le flux de la source ponctuelle de neutrons peut par contre être calculé. En se basant sur le flux de HESS et en supposantα = 2.2, le flux de neutrons issus de la désintégration de protons vaut [49] : F1(En = 1EeV)' 5 × 10−28  nH 103cm−3  GeV−1cm−2s−1 De même, le flux issu de la spallation de l’hélium vaut :

F2(En= 1EeV)' 10−27  f 0.1   T 40K 3 GeV−1cm−2s−1

Ici,f est la fraction d’hélium dans le spectre d’injection de la source et T la température du fond infrarouge au voisinage de la source.

35(stat.) attendus d’après la carte de couverture. L’excès d’AGASA dans cette région précise n’est donc pas confirmé.

– Excès « Sugar ». Cet excès avait été obtenu dans la bande d’énergie0.8≤ E ≤ 3.2 EeV, dans le disque de rayon5◦ centré en(α, δ) = (274,−22). Il s’agissait d’un excès de pratiquement 100%. Dans ces

mêmes conditions, les données de première année d’Auger fournissent 144 événements observés pour 151± 2(syst.) ± 12(stat.) attendus. Là encore, avec une statistique décuplée, l’excès précédent n’est pas confirmé.

– Source ponctuelle vers le centre galactique. Dans la bande d’énergie0.8 ≤ E ≤ 3.2 EeV, en consi- dérant une fenêtre gaussienne de largeur 1.5◦ correspondant à la résolution angulaire du détecteur, on observe 24.3 événements pour23.9± 0.2(syst.) ± 5(stat.) attendus. Le nombre « d’événements » ob- tenus est non-entier à cause du filtre gaussien.

♠ Comme nous l’avons dit, les erreurs systématiques sont toujours inférieures aux erreurs statistiques pour les cibles considérées ici. Le choix de la méthode d’estimation de la couverture du ciel n’est donc pas critique pour cette analyse.

Ainsi, malgré une sensibilité complètement inégalée dans la direction du centre galactique, d’une part

nous sommes incapables de confirmer les résultats d’AGASA et de Sugar associés au centre galactique, et d’autre part nous ne pouvons observer de source de neutrons en provenance directe du GC.

L’absence d’excès dans la direction du GC peut être quantifiée sous la forme d’une limite supérieure sur le flux d’une éventuelle source dans cette direction. Le nombre d’événements attendus étantnexp = 23.9, la loi de

Poisson permet de calculer le nombren95

s tel que la probabilité d’observer moins de(nexp+ n95s ) événements

soit de 95%. On trouve n95s = 6.3, qui est ainsi une limite supérieure à 95% sur le nombre d’événements provenant de la source ponctuelle. Connaissant le fluxΦCR par unité d’angle solide du fond diffus de rayons

cosmiques, le flux associé dans la fenêtre gaussienne de largeur σ = 1.5◦ est 4πσ2Φ

CR. On peut alors en

déduire par une règle de trois le fluxΦsde la source ponctuelle :

Φs= 4πσ2ΦCR×

 ns

nexp



Cette relation est basée sur le lien de proportionnalité qui doit être le même entreΦCR et nexp d’une part,

etΦs etns d’autre part, et qui est fixé par l’acceptance du détecteur. En fait, la source ponctuelle recherchée

est a priori une source de nucléons (les neutrons), alors que le fond diffus contient probablement une fraction de noyaux plus lourds. Dans cette bande d’énergie les simulations de détecteur et de gerbes ont montré que l’acceptance dépend de la nature du primaire. La relation entre le flux et le nombre d’événements observés est donc peut-être différente pour le fond de rayons cosmiques et pour la source. On introduit pour paramétrer ces incertitudes un facteur dans l’estimation du flux de la source, avec ∼ 1.

♠ La probabilité de détecter une gerbe à basse énergie augmentant lorsque la densité de muons au sol aug- mente, l’acceptance du SD est plus élevée pour des noyaux de fer que pour des protons. Dans l’hypothèse où le fond diffus des rayons cosmiques à ces énergies est intégralement constitué de noyaux lourds, le facteur représente l’acceptance relative pour une gerbe de fer par rapport à un proton, et il est donc plutôt supérieur à l’unité. Les simulations montrent que l’ordre de grandeur est∼ 1.5 sous cette hypothèse « fer / proton » [21].

Par ailleurs on modélise le flux du fond diffus par :

ΦCR= 1.5 ξ (E/EeV)−3× 10−12EeV−1m−2s−1sr−1

ξ est un facteur de normalisation du spectre, qui permet de prendre en compte les incertitudes encore fortes liées à l’échelle d’énergie utilisée (voir chapitre 1) ; on aξ ∼ 1 pour l’échelle d’Auger CIC - FD. Au final, on obtient donc une limite sur le flux en provenance d’une source ponctuelle associée au centre galactique :

Cela correspond à un flux de∼ 2.5 × 10−28GeV−1cm−2s−1 et permet donc de contraindre les modèles qui

ont été présentés dans l’encadré ci-dessus. Les premières données d’Auger défavorisent donc fortement les modèles de type hadroniques avec un spectre allant jusqu’à1018eV pour expliquer le flux de photons au TeV en provenance du centre galactique.

L’analyse de l’ensemble des deux années de prise de données d’Auger confirme les trois points qui ont été mentionnés. Même en décalant les domaines d’énergie utilisés, aucun excès n’apparaît. Par exemple, la Fig. 3.12 montre la densité des rayons cosmiques àE≥ 1 EeV au voisinage du centre galactique, et ne révèle aucune structure statistiquement significative.

FIG. 3.12 : Carte d’excès lissée à1.5◦ des événements Auger de l’ensemble des deux premières années d’ac- quisition, pourθ≤ 60etE ≥ 1 EeV. La carte, en projection gnomique, est centrée sur le centre galactique et fait environ30◦de côté.

Nous pouvons commenter ainsi les résultats obtenus :

1. L’excès « Sugar », comme ses auteurs l’indiquent, n’a jamais été vraiment significatif et ne portait que sur une dizaine d’événements. Il peut donc probablement être oublié.

2. L’excès « AGASA », en tant qu’excès dans une région proche du centre galactique, qui est un domaine où l’acceptance d’AGASA était mauvaise, peut aussi probablement être oublié. Par contre, les résultats décrits ci-dessus ne concernent pas une éventuelle modulation à grande échelle, qui est essentiellement ce qu’AGASA a observé comme nous l’avons montré. Il faut donc rester très prudent à ce sujet.

3. Aucune source ponctuelle en provenance du centre galactique n’est visible pour l’instant, mais rien ne dit que ce sera toujours le cas avec 10 ans de prise de données ! La limite présentée ci-dessus pourra en particulier être largement améliorée.

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