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3.4 Résultats des deux premières années d’Auger

3.4.1 Anisotropies à basse énergie

3.4.1.2 Modulations à grande échelle

Nous menons ici l’étude d’éventuelles anisotropies à grande échelle avec les données de basse, voire très basse énergie du détecteur de surface. Il s’agit de loin de l’analyse la plus délicate pour les anisotropies, pour

les raisons suivantes que nous avons déjà mentionnées : d’une part, la reconstruction des événements à basse énergie est forcément de qualité moyenne puisqu’en général seules trois cuves sont impliquées dans ces évé- nements. D’autre part, la détermination de la couverture au pourcent près est chose délicate essentiellement à cause des divers effets de seuil qui compliquent l’acceptance.

Afin d’être le moins contaminé possible par des systématiques incontrôlées, nous considérons maintenant, sauf mention explicite du contraire, le lot d’événements de référence construit au chapitre précédent (événe- ments 3ToT de 2005 avec cuves de numéros inférieurs à 600, et « mauvais jours » éliminés). La comparaison des différentes méthodes d’évaluation de la couverture du ciel nous amène à utiliser les couvertures suivantes pour ce lot d’événements :

– À titre de référence, la couverture invariante en ascension droite, calculée en supposant l’acceptance constante au cours du temps, et notéeW0.

– La couverture calculée à partir du modèle d’acceptance construit au cours du chapitre précédent. Pour ce lot d’événements de référence, nous avons a priori confiance dans ce modèle car il a été montré qu’il permet très correctement de décrire l’évolution temporelle du taux d’événements, à l’échelle d’une année comme à l’échelle d’une journée. On note Wm cette couverture. On a vu en particulier qu’un modèle

d’acceptance de type « FAM » donne une couverture très semblable.

– La couvertureWecalculée en conservant intégralement la distribution en temps sidéral des événements.

Avec une telle couverture, on est sûr de prendre en compte toutes les systématiques sur l’évolution temporelle de l’acceptance mais en même temps on est certain d’absorber en grande partie une éventuelle anisotropie à grande échelle.

La Fig. 2.27 montre la différence entreWm etW0, et la Fig. 2.28 montre la différence entreWeetW0. On a

déjà remarqué queWmetWene coïncident pas, et nous allons en voir les conséquences.

Modulation en ascension droite pour l’ensemble des événements

On considère ici l’ensemble des événements du lot de référence, sans coupure en énergie. Cela revient donc à considérer des événements de très basse énergie, typiquement de l’ordre de5× 1017eV (échelle d’énergie du

FD).

♠ Nous faisons ici une analyse des ascensions droites des événements, c’est-à-dire une analyse de Rayleigh (voir la première section de ce chapitre), mais en prenant en compte les non-uniformités de la distribution en ascension droite attendues d’après les cartes de couverture.

La Fig. 3.13 (gauche) montre la distribution de la densité des événements en fonction de l’ascension droite. On observe une modulation d’amplitude 2.8%, significative à7σ. La distribution en ascension droite attendue en utilisant la couverture W0 est représentée par une ligne continue, et elle est obtenue en intégrant cette

couverture pour chaque bin d’ascension droite ; est bien sûr plate. Le rapport de la distribution observée par la distribution attendue d’après la couverture est représenté à la Fig. 3.13 (droite), et est ajusté par une simple fonction sinusoïdale. La Fig. 3.14 compare la distribution en ascension droite observée avec celles prédites par les couverturesWmetWe. Le résultat est très intéressant :

– Dans l’hypothèse isotrope, la couverture Wm prédit bien une modulation en ascension droite, mais la

modulation en ascension droite de la distribution des événements observés est différente de celle prédite. Ainsi, même après correction des effets d’acceptance par les modèles les plus élaborés à notre

disposition, il reste une modulation en ascension droite du taux d’événements, d’amplitude 2.1%, significative à5σ. En utilisant la couverture « FAM », on obtient pratiquement le même résultat, avec une modulation d’amplitude 2.3%.

– La modulation prédite par la couvertureWecorrespond raisonnablement à celle observée, si bien qu’en

utilisantWela modulation résiduelle du taux d’événements n’est plus significative.

Quelle couverture est la bonne ? La question reste ouverte à l’heure où ces lignes sont écrites. On peut formuler deux hypothèses :

FIG. 3.13 : Gauche : modulation en ascension droite du taux d’événements pour l’ensemble des événements

du lot de référence (points avec barres d’erreur poissonniennes), et modulation prédite par la couvertureW0

(ligne continue) ; celle-ci n’est pas parfaitement plate à cause d’effets de pixellisation. Droite : ajustement du rapport entre la modulation du taux d’événements et celle de la couverture par une sinusoïde.

FIG. 3.14 : Figures construites sur le même principe que la Fig. 3.13 : à gauche, distributions des événements,

observée et prédite par la carte de couverture ; à droite, le rapport de ces deux distributions est ajusté par une sinusoïde. Haut : utilisation de la couvertureWm. Bas : utilisation de la couvertureWe. En haut à gauche, la

1. Le modèle d’acceptance utilisé pour calculerWmest incorrect, ce qui fait qu’il n’absorbe qu’en partie la

modulation en ascension droite du taux d’événements qui serait alors totalement due à des systématiques. Cela reste complètement possible car les événements considérés ici sont à très basse énergie, largement en-dessous de la zone d’énergie « nominale » pour Auger.

2. Le modèle d’acceptance utilisé pour calculerWm(qui a été testé) est correct, et il y a effectivement une

anisotropie à grande échelle sur le ciel. Cette anisotropie est alors complètement absorbée parWe, ce qui

explique les résultats obtenus.

On peut aussi voir ces effets en calculant le spectre de puissance angulaire des événements avec les diverses couvertures considérées. Le résultat, représenté à la Fig. 3.15, peut être interprété de la même façon que pré- cédemment : le large dipôle obtenu en supposant l’acceptance constante est atténué, mais pas éliminé, avec les modèles d’acceptance les plus élaborés sur le marché. Ce dipôle est par contre complètement éliminé avec la couvertureWe.

FIG. 3.15 : Spectre de puissance angulaire des événements du lot de référence, calculé avec diverses couver-

tures. Le dipôle le plus élevé correspond àW0. Les deux dipôles « intermédiaires » sont calculés avecWm et

la couverture « FAM ». Le spectre en noir est calculé avecWe.

Tests de cette modulation à très basse énergie

Nous avons ainsi montré qu’à l’heure actuelle rien ne permet d’exclure l’existence d’une anisotropie à grande échelle de l’ordre de 2% à des énergies inférieures à l’EeV. Cette structure doit être testée avec des lots d’évé- nements indépendants. Ne disposant pas pour l’instant d’un autre lot de données « nettoyé » semblable à celui utilisé jusqu’alors, nous utilisons maintenant l’ensemble des événements 3ToT sur la période 2004-2005, sans coupure sur le numéro de cuve. Cela permet de doubler la statistique disponible, au prix de l’augmentation de systématiques incontrôlées. L’inhomogénéité du taux de ToT sur le réseau nous conduit à utiliser préfé- rentiellement la couverture « FAM »,WFAM, qui prend en compte directement l’évolution séculière du taux

d’événements observé (voir chapitre précédent). On utilise aussi la couvertureWepour comparaison.

La Fig. 3.16 montre les modulations en ascension droite obtenues. Les tendances sont identiques à la Fig. 3.14. Il est très encourageant de remarquer qu’avec deux fois plus de statistique, la modulation obtenue avecWm pour le lot de données de référence reste la même : même amplitude de 2%, et même phase.

FIG. 3.16 : Même courbes qu’en Fig. 3.14, pour l’ensemble des données de 2004-2005. Haut : couverture

« FAM ». Bas : couvertureWe.

Pour pouvoir confirmer cette modulation à grande échelle, il faudra utiliser les données de l’année 2006, et s’assurer qu’aucune systématique encore inconnue ne pollue les données de très basse énergie.

♠ Il sera peut-être difficile d’établir de façon certaine si cet excès est une vraie anisotropie ou une systé- matique. La statistique n’est en effet pas vraiment un problème ici. Cette situation évoque la modulation de l’expérience DAMA : le taux d’événements de cette expérience de recherche directe de matière noire du halo galactique présente une modulation annuelle très significative, qui a été interprétée comme un signal de WIMPs mais pour laquelle il semble difficile d’exclure le fait qu’il s’agisse d’un effet systématique.

La Fig. 3.17 cartographie les excès obtenus. La représentation en coordonnées galactique de la carte d’excès par rapport à la couvertureWm montre en particulier que la modulation à grande échelle constatée pourrait

être interprétée, s’il s’agissait réellement d’une anisotropie sur le ciel, comme un excès en provenance de l’hémisphère sud galactique.

Données à E ≥1 EeV

On se restreint maintenant aux événements dont l’énergie reconstruite (échelle FD) est supérieure à1018eV. On reste ainsi largement dans le domaine des « basses » énergies. On recalcule pour ces événements les cou- verturesW0,Wm etWe. La modulation en ascension droite des événements est comparée avec celle prédite

par la couvertureWm sur la Fig. 3.18. On observe alors queWm permet d’absorber complètement la mo-

FIG. 3.17 : Cartes lissées à15◦de l’ensemble des événements du lot de référence. Haut : carte des événements

en coordonnées équatoriale. Bas : carte d’excès par rapport à la couvertureWm, en coordonnées galactiques.

grande échelle est compatible avec l’isotropie. On observe une modulation en ascension droite, mais avec la

statistique actuelle, celle-ci est complètement expliquée par des effets systématiques d’acceptance.

Analyse de Rayleigh « à la AGASA »

Pour terminer cette étude, nous présentons une analyse de Rayleigh simple en ascension droite des événements du lot de référence, similaire à l’étude d’AGASA (voir sections précédentes). L’amplitude de Rayleigh et sa probabilité sont calculées pour les événements d’énergieE≥ E0, en faisant varier le seuilE0 (Fig. 3.19).

Les courbes obtenues semblent bien différentes de celles d’AGASA. Nous observons en effet une modu- lation en ascension droite significative, d’amplitude 3%, pourE ≤ 0.5 EeV seulement. Cela appelle quelques commentaires :

FIG. 3.18 : Modulation en ascension droite des événements àE ≥ 1 EeV. Même description que les Fig. 3.13 et 3.14. La couverture utilisée ici estWm.

FIG. 3.19 : Amplitude de Rayleighr en ascension droite (gauche), et probabilité P = exp(−Nr2/4) associée

(droite), en fonction du seuil en énergie (échelle FD) pour les événements du lot de référence. On peut comparer ces courbes à la Fig. 3.9.

– AGASA a observé une modulation d’amplitude 4% à E ∼ 1.5 EeV. On ne peut faire coïncider les modulations vues par Auger et AGASA qu’en admettant que l’échelle d’énergie d’AGASA est supérieure à celle d’Auger-FD d’un facteur largement supérieur à 100%, ce qui est tout de même un peu porté sur le fruit.

– Du coup, l’origine du pic de significativité à l’EeV vu par AGASA reste très mystérieuse. Nous ne voyons pas à l’heure actuelle d’explication claire de cet effet.

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