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Au vingtième siècle et notamment avec Saussure, le lexique devient un système de valeurs, où chaque mot ne se définit que par ses rapports avec les autres mots :

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 96-100)

En d’autres termes, la langue en générale et celle du texte de fiction en particulier invitent toujours leur lexique à un dépassement de lui-même en tant que structure autonome pour intégrer, ou insérer une dimension imagée rendant possible une appréciation du réel dont elles parlent. L’image est l’élément de concrétisation de la donnée lexicalisée dans la mesure où elle participe de la socialisation du lexique en permettant au sujet locuteur de percevoir et d’expérimenter le côté sensoriel, positif et concret de la langue. Ainsi, tout en ayant comme matériau primaire le lexique, l’image se révèle être un élément complémentaire de celui-ci.

Cette relation de complémentarité caractérise et organise la structure interne de l’unité lexicale. En effet, comme le rappelle si bien Rossi Micaela :

Au vingtième siècle et notamment avec Saussure, le lexique devient un système de valeurs, où chaque mot ne se définit que par ses rapports avec les autres mots : comme les pièces du jeu d’échecs, toute unité lexical prend donc son sens des relations qu’elle entretient avec les autres.

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Autrement dit, le moment saussurien de la linguistique a permis de mettre en évidence le mode de fonctionnement du lexique. En particulier, Saussure a établi que le sens d’un mot ne peut être saisi que dans un processus de mise en rapport de celui-ci avec d’autres mots. Le linguiste démontre que le sens d’un mot ne trouve pas sa source dans l’isolement mais dans l’ouverture au monde. Dans cette perspective, le jaillissement du contenu sémantique d’une unité lexicale n’est possible que dans la mise en relation de ses différentes composantes, c’est-à-dire dans la mise en rapport des mots. Réciproquement, les mots tirent leurs sens de leur mise en rapport dans le lexique alors que pour sa part, l’unité lexicale trouve son sens dans les frottements sémantiques des mots qui la composent. Il y a donc un lien intime, il y a une relation fusionnelle, une proximité fondamentale entre le lexique et l’image faisant que :

On pourrait être tenté de mettre sur le même plan la structure d’un lexique et la structure interne d’une image. Si chaque terme pris en lui-même est la plupart du temps arbitraire, l’articulation de ces termes entre eux donne une sorte d’image du monde, comme une organisation de taches colorées, en elles-mêmes insignifiantes, peut former un tableau figuratif.

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Au-delà de leur différence formelle, le lexique et l’image peuvent donc être intimement rapprochés, si le sujet-pensant tient précisément compte de leurs structures et modes de fonctionnement internes. De la même façon que les mots considérés isolement sont insignifiants alors que réunis au sein d’une unité lexicale, leurs frottements permettent le jaillissement d’une certaine image du monde ; de même toute image, aussi nette soit-elle, n’est véritablement qu’une organisation, une mise en commun, une réunion de plusieurs particules colorées qui, prises de façon singulière, sont tout à fait insignifiantes. Ainsi, au-delà du fait que le lexique du texte littéraire constitue indéniablement le fondement du surgissement de l’image obvie, il apparaît que l’image est un élément complémentaire au lexique, parce qu’elle est le nécessaire dépassement de la structure formelle permettant le saisissement du sens véhiculé par l’unité lexicale.

Ensuite, il convient d’examiner les modalités à travers lesquelles l’image obvie se construit à partir de la signification. Il faut dire que la signification et l’image obvie sont intimement liées en littérature dans la mesure où la première constitue un des fondements de la seconde. En effet, ce sont les rapports sémantiques entre les composantes textuelles qui frappent, de par leur dimension référentielle, l’esprit du sujet-lisant et lui permettent de se projeter en images les discours et les actions régissant

l’univers diégétique

. Autrement dit :

L’image est vue, non pas comme le lieu de la signification, mais comme un instrument de figuration de la signification. (…) L’image exprime la partie figurable de la représentation sémantique, c’est une forme de représentation modale en ce qu’elle possède une organisation interne héritée d’une modalité sensorielle. Elle n’est pas prédicative. Elle n’est pas un instrument de description de la situation rapportée par l’énoncé, mais essentiellement un instrument de figuration.

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L’image ne doit donc pas être considérée comme la signification de l’énoncé, mais plutôt comme une figuration de celui-ci. L’image exprime l’aspect figurable de la signification.

Elle réduit considérablement le côté abstrait des rapports signifiant/signifié en rendant plus ou moins concret l’objet de ces rapports. L’image a un mode de fonctionnement principalement organisé par la modalité sensorielle du

voir.

Ainsi, elle ne constitue pas un autre discours sur celui déjà concrètement tenu par l’énoncé du texte littéraire.

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Pour ainsi dire, l’image est simplement un instrument de figuration des mots énoncés.

Dans les rapports entre signification et image, cette dernière ne constitue qu’une extension de la signification, elle n’est qu’un prolongement s’appuyant sur la signification. En réalité, lorsqu’elle accompagne les processus de compréhension, l’imagerie élabore des produits cognitifs optionnels plus ou moins concrets dont la nature et la structure restent foncièrement distinctes de celles des représentations qui codent la signification de l’énoncé. La part sémantique d’un énoncé étant une entité relativement abstraite, elle ne rend pas possible, en elle-même, une projection en images ou une figuration appropriée de ce qu’elle recoupe. C’est d’ailleurs ce lien intime entre la signification et l’image qui organise le fonctionnent des figures de tropes comme la métaphore dans la mesure où pour certains critiques « La métaphore prise au sens propre est d’autant plus forte quant elle est relayée par l’image (…) L’image exploite la pleine potentialité de signification du texte ».151

Autrement dit, ce qui constitue la force des figures de tropes comme la métaphore, c’est leur rapport à l’image du fait que cette dernière conforte et renforce la valeur sémantique des rapports entre les composantes du trope. Effectivement, si la métaphore en elle-même n’est qu’un agencement des mots, sa force persuasive vient de la dimension figurative qui, relayant la dimension sémantique des mots et des expressions, en constitue le prolongement. L’image rend donc possible la concrétisation de la dimension sémantique du texte ņ littéraire ou non ņ grâce à une exploitation rigoureuse et plus large de son potentiel de signification. Cependant, cette exploitation de la pleine potentialité du texte par l’image ne se fait pas d’un seul coup. Il y a en amont de la figuration des moments signifiants que souligne Wladimir Krysinki en ces termes :

«Les visions

ņ

au sens où l’entend Todorov, c’est-à-dire les points de vue

ņ

sont emboîtées selon l’ordre métonymique englobant-englobé, structuration qui crée l’image dont est pénétré l’esprit du lecteur. Cette image acquiert une dimension symbolique car elle renvoie aux configurations sémiques que nous avons relevées et qui fonctionnent comme supports du symbole que l’image véhicule dans la mesure où celle-ci reflète une expérience à l’intérieur d’un système axiologique. Cette même image renvoie à une spécificité des valeurs, point d’ancrage du symbole ».

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Autrement dit, l’image qui pénètre l’esprit du sujet-lisant au contact d’un texte littéraire est non seulement une conséquence de la mise en rapport de différents points de vue au sein de celui-ci, mais aussi et surtout de la structuration métonymique englobant-englobé qui en régit le fonctionnement. En fait, cette image est engendrée par une double-action intégrant successivement l’existence de visions différentes153 et leur imbrication. Cette double-action crée, au final, la vision que le sujet-lisant se fait de l’intrigue du texte. Il y a déjà en amont du moment de la figuration des données et des actions premières qui constituent des lieux expressifs de la signification. De ce fait, l’image que se projette le lecteur est à voir comme un symbole dans la mesure où elle ne constitue qu’un renvoi aux données et configurations signifiantes premières qui en sont le support et qui la conditionnent en réduisant son domaine opératoire dans un système axiologique précis. Le sujet-lisant ne se figure donc que ce que le texte lui donne à voir.

Ainsi, l’image obvie peut se construire sur le lexique général de la langue dans la mesure où elle émerge par la découverte de la dimension imaginale ņ sensorielle ņ des mots pendant la lecture littéraire. L’image obvie est donc déjà clairement inscrite dans la structure constitutive des mots du lexique général du texte. En fait, elle est produite par cette charge imaginale faisant que le sujet-lisant cesse de voir le mot comme un objet externe à lui en l’adoptant pour exprimer sa vision du monde. De même, l’image obvie se construit à partir de la signification parce que ce sont les rapports sémantiques entre les mots du texte qui permettent au sujet-lisant de se projeter en images l’univers diégétique de celui-ci. En fait, l’image obvie est l’instrument de figuration de la signification des mots non seulement en eux-mêmes mais aussi entre eux. Plus exactement, dans la lecture littéraire, l’image obvie exprime la partie figurable de la signification des énoncés. Pour ainsi dire, l’image obvie est le prolongement complémentaire du lexique général et de la signification de mots du texte littéraire. Cependant, l’expérience prouve que pendant la lecture littéraire le sujet-lisant n’est pas confronté qu’à l’image obvie car s’y manifeste aussi incontestablement l’image obtuse. Quelles sont les caractéristiques de cette dernière ? La réponse à cette interrogation organisera principalement la prochaine articulation de cette étude.

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4.3. Ce qui distingue l’image obtuse

L’image obtuse se caractérise principalement par l’ombre qui l’habite et par l’évanescence qui l’anime. Pour la clarté de l’analyse, il convient d’examiner plus en détails ces deux spécificités de l’image obtuse en commençant par l’ombre. Ce choix est logique dans la mesure où, pour de nombreux penseurs comme Léonard de Vinci, l’ombre n’est pas qu’un trait de caractère de l’image : elle est déjà elle-même une image à part entière :

Pour Léonard de Vinci, non seulement l’ombre est une image forme parmi toutes

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