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Le niveau de la secondéité est celui de l’objet, non pas l’objet du monde extérieur mais l’objet interne à la semiosis, objet dont le mode d’existence est

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1.2. Le surgissement des images sous les mots

La lecture du texte littéraire met le sujet-lisant face à un phénomène remarquable : le surgissement des images sous les mots du texte. En fait tout se passe comme si, au départ les images guettaient, à l’ombre des mots, les faits et gestes du lecteur avant de lui sauter au visage pendant la lecture. Ce phénomène est d’une importance tel que certains théoriciens de la littérature parle de l’existence d’ « images sous les mots »33. Cette formulation insolite rend certes compte de l’étrangeté du phénomène analysé ici, mais elle est aussi le titre d’une brillante étude menée par Gilles Thérien pour rendre compte de modalités de passage du mot à l’image pendant l’acte de lecture ; suivons ses pas.

D’abord, le passage du mot à l’image est rendue possible par le fait que ces deux entités constituent les composants complémentaires d’une seule et même réalité : le signe linguistique. Effectivement, Ferdinand de Saussure insistait déjà « sur l’image acoustique du signe linguistique »34

.

Cependant, même si ses travaux ont le mérite d’avoir révélé l’impossibilité de penser le signe linguistique en faisant abstraction de sa dimension iconique, ils se sont surtout orientés vers la langue. Autrement dit, du coté abstrait et normatif du signe linguistique.

C’est donc surtout avec Charles Sanders Pierce que la dimension imaginale du signe linguistique va être pointée à sa juste valeur. Pour Pierce, en effet, l’existence du signe passe obligatoirement par une triple relation mettant en jeu une

tiercéite

du signe s’appuyant sur une

secondéité

du signe qui se fonde elle-même sur une

priméité

du même

signe. Autrement dit, le signe linguistique ne peut exister que dans et par la relation complémentaire de ces trois dimensions qui le composent. Or, Gilles Thérien nous explique que :

Le niveau de la secondéité est celui de l’objet, non pas l’objet du monde extérieur mais l’objet interne à la semiosis, objet dont le mode d’existence est traduit par son caractère iconique, indiciel ou symbolique.

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En d’autres mots, la secondéité du signe linguistique dans la perspective Peircienne est la dimension imaginale de celui-ci. L’image interne que se fait le locuteur d’une langue à la prononciation ou à l’audition d’un mot ou d’une expression propres à cette langue dont il connaît le code et le mode de fonctionnement. C’est assez dire que le mot et l’image constituent déjà fondamentalement le recto et le verso d’une seule et même entité. Ils sont complémentaires et intimement liés dans la constitution du signe linguistique. C’est dans le prolongement de cette perspective peircienne que Gilles Thérien s’inscrit en définissant le signe linguistique, comme une réalité se donnant à voir sous deux aspects complémentaires :

Le premier appartient au code, au monde des normes et des règles. C’est cet aspect qui permet de se comprendre, d’échafauder des théories, de tenter des explications. Le second est la partie singulière du signe, celle qui l’enracine dans un sujet donné, qui fait qu’un signe est toujours en contexte et que, quel qu’il soit, il a par-devers lui une nature imaginale dont l’origine n’est saisissable que dans la démarche personnelle de l’accomplissement d’une semiosis.

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Autrement dit, le premier aspect du signe linguistique, c’est celui à travers lequel il se donne naturellement à voir dans le texte. C’est le mot tel qu’il est fixé dans sa forme et l’ensemble des significations et des désignations recensées dans le dictionnaire de la langue. C’est le mot en tant que moyen de nommer, en tant que code de communication ; le mot stable en lui-même dans les rapports signifiant signifié et référent mais aussi dans ses rapports avec les autres mots pour faire sens. En fait, le premier aspect du signe linguistique pointe le mot dans sa fonction utilitaire quotidienne : il s’agit du mot tel que l’utilise le locuteur de la langue dans la communication quotidienne pour comprendre et se faire comprendre. Ici le signe linguistique à une forme stable et un sens fixé par la société et la langue auxquelles il appartient. C’est, pour ainsi dire, la part collective du signe linguistique, celle qui sociabilise le sujet en lui permettant de rendre audibles, aux autres membres de sa communauté, ses pensées le plus intimes. Sur ce plan, le signe linguistique est un héritage partagé par l’ensemble d’une communauté linguistique donnée. C’est le

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̱ʹͺ̱

mot tel qu’il est utilisé dans les articles de presse, dans les revues scientifiques, dans les communications et échanges entre amis et parents... Par son premier aspect le signe linguistique est donc un code stable partagé par un certain nombre d’individus pour communiquer et s’informer avec un minimum d’ambigüités.

Quant au second aspect du signe linguistique il renvoie à sa dimension iconique : celle qui rend possible le surgissement des images sous les mots pendant l’acte de lecture. C’est un aspect singulier du signe linguistique dans la mesure où il le rend apte à l’expression de réalités diverses suivant le contexte de son émission. C’est cet aspect qui confère au mot la propriété de dire des choses différentes suivant le contexte dans lequel il est utilisé. Ceci explique que les mots signifient autrement en littérature, et cela, même s’ils ont chacun une signification établie par la société et usité dans les communications quotidiennes. En réalité, c’est la partie du signe linguistique qui caractérise le plus significativement le texte littéraire. Parce qu’elle rend possible non seulement la figuration de l’intrigue par le sujet lisant pendant l’expérience de lecture, mais encore parce qu’elle fait que cette figuration n’est jamais la même pour tous les lecteurs.

De même, cette figuration de l’intrigue littéraire varie à chaque lecture, même pour le même lecteur. La dimension imaginale du signe linguistique dépend de son contexte d’émission et elle est personnelle. C’est le lieu de la spécificité et de la singularité du mot dans son usage littéraire. Ici, un mot qui a un sens connu et fixe dans la communication quotidienne se charge dans le cadre du texte littéraire d’un sémantisme nouveau et spécifique. Ainsi, le mot recèle deux aspects intimement liés. Un aspect renvoyant à son sens propre, codifié, fixé par le dictionnaire et l’usage commun et un aspect renvoyant à son sens figuré, à sa dimension imaginale. C’est exactement cette proximité mot/image qui caractérise les langues négro-africaines. En effet, Senghor affirme en parlant de ces langues :

̱ʹͻ̱

Le mot y est plus qu’image, il est image analogique. (…) Il suffit de nommer la chose pour qu’apparaisse le sens sous le signe. Car tout est signe et sens en même temps pour les négro-africains (…).

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Autrement dit, chez le négro-africain, le mot porte déjà en lui-même la semence imaginale dont la manifestation par l’image se fait par la prononciation dudit mot. C’est aussi dans cette perspective d’idées que peut s’entendre Senghor lorsqu’il parle des langues de la poésie négro-africaine en ces termes :

Le vocabulaire a d’autant plus d’importance dans les langues

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