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Que je sois berger de ma bergère par les tanns de Dyilôr où fleurissent les Morts Que j’éclate en applaudissements quand entre dans le cercle Téning-Ndyaré et

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 144-147)

souvient en ces mots : « Moi qui poussais comme blé de printemps, qui m’enivrais de la verdeur de l’eau, du ruissellement vert dans l’or du temps ».236

En effet, lorsque les temporalités interne et externe se synchronisent dans ce poème, le sujet-lisant voit surgir automatiquement des images de la vie heureuse et épanouie que le poète avait dans le passé. Plus exactement, se donne à voir au sujet-lisant les traits d’une vie heureuse que Senghor a perdue et dont il souhaite retrouver les plaisirs dans le futur :

Toi seigneur du cosmos, fais que je repose sous Joal-l’Ombreuse Que je renaisse au Royaume d’enfance bruissant de rêves

Que je sois berger de ma bergère par les tanns de Dyilôr où fleurissent les Morts Que j’éclate en applaudissements quand entre dans le cercle Téning-Ndyaré et

[Tyagoum-Ndyaré

Que je danse comme l’athlète au tamtam des Morts de l’année.

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Plus précisément, le déploiement harmonieux des temporalités interne et externe donne naissance à un univers de félicité, à un espace euphorique. Cependant, lorsqu’un blocage de la temporalité interne du poète vient enraillé la machine harmonieuse des temporalités, surgit un univers de souffrances et de peines : un espace dysphorique. En effet, lorsque le temps interne du poète s’arrête, lorsqu’il devient répétitif, sans progression, la vie de Senghor aussi s’immobilise avec lui. Par conséquent, la nécessaire et vitale alternance physiologique entre l’éveil et le sommeil n’est plus respectée. En fait, lorsque l’énergie vivante de l’éveil déborde ses frontières pour coloniser des lieux temporels naturellement affectés au sommeil, la vision interne du sujet-lisant est tout de suite frappée par le spectacle d’un poète «debout, lucide étrangement lucide »,238 « vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et les yeux ouverts ».239 Autrement dit, le sujet-lisant se projette en voir proprement interne les souffrances d’un insomniaque confronté à « l’Enfer, l’absence de sommeil ce désert du poète/ Cette douleur de vivre, ce mourir de ne pas mourir ».240 Le sujet-lisant aperçoit intérieurement l’image d’un poète « crucifié sur la pierre par les païens ». En fait, le poète, comme tous prophètes, souffre de l’incrédulité des Hommes qu’il tente de sauver par l’instruction.

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Plus précisément, le sujet-lisant aperçoit le poète confronté à une vive souffrance dont il souhaite être délivré par la « Douceur du poignard en plein cœur, jusqu'à la garde/ Comme un remords ».241 Mais cela n’est qu’un souhait, comme il le dit bien, « Ce n’est qu’une prière ». En réalité, Senghor garde l’espoir de dormir « du sommeil de la mort qui nourrit le poète » lorsque « viendra la paix viendra l’Ange de l’aube, viendra le chant des oiseaux inouïs/ Viendra la lumière de l’aube ».242 C’est ici la vision d’une résurrection du poète sur ses propres ruines tel phœnix renaissant de ses centres. En un mot, la lecture de ce poème donne à voir deux modes temporels ņ interne et externe ņ qui organisent l’univers diégétique différemment selon qu’ils évoluent en harmonie ou pas.

En effet, lorsque les temporalités interne et externe s’écoulent harmonieusement, les images de la lecture tracent un univers diégétique euphorique. Cependant, lorsque cette harmonie des temporalités est brisée, c’est un monde de souffrances, un univers dysphorique qui surgit des mots du poème. C’est assez dire que la lecture de ce poème senghorien donne à voir une temporalité à la fois fixe et mouvante ; un temps qui tout en étant fermée sur lui-même se répète identiquement. De ce fait, l’univers diégétique du poème oscille incessamment entre différents pôles sémantiques ņ vie/mort, espoir/désespoir etc. En d’autres mots, durant l’expérience de lecture de ce poème, le sujet-lisant se fait des images dont la présence au monde est irrégulière et discontinue.

Ainsi, il apparaît que la mutation continuelle de la temporalité est une des sources de l’apparition discontinue des images senghoriennes. Le temps chez Senghor est à la fois allongé et/ou comprimé, interne et/ou externe, mobile et/ ou immobile. Il y a, dans la poésie senghorienne, une instabilité temporelle qui contamine toutes les réalités qu’elle évoque. Par conséquent, les images de ces corps immergés dans une temporalité toujours changeante ne peuvent s’offrir à la conscience imageante du sujet-lisant que de manière discontinue. Par ailleurs, si la responsabilité de la temporalité dans l’apparition discontinue des images que se fait le sujet-lisant pendant l’expérience de lecture des poèmes senghoriens est désormais assez clairement perceptible, il reste encore à mettre en lumière celle non moins importante de la spatialité. Le cheminement de cette analyse conduit donc désormais aux lieux où se donne à voir la part du traitement de la spatialité dans la construction discontinue des images de la poésie senghorienne.

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2.3. Des spécificités de la spatialité senghorienne

Dans la poésie senghorienne, l’espace est traité de telle manière qu’il porte toujours en lui les germes de l’intelligence sémantique et figurative des textes. Dans les poèmes senghoriens, l’évocation d’un lieu n’est jamais anodine. L’espace chez Senghor porte le mystère et/ou la légèreté des activités qui s’y font : il est toujours déjà consacré. C’est d’ailleurs ce qui justifie l’évocation féérique ou magique que fait le poète de Joal, sa ville natale. Effectivement, dans la narration de ses souvenirs d’enfance, les joaliens et leurs activités quotidiennes acquièrent des traits quasiment divins comme en témoignent, par exemple, ces images lointaines des « signares à l’ombres vertes des vérandas/ Les signares aux yeux surréels comme un clair de lune sur la grève ».243 Ces traits divins caractérisent aussi les souvenirs qu’a le poète des cérémonies mortuaires durant son enfance joalienne, avec leurs spectacles de « festins funèbres fumant du sang des troupeaux égorgés/ Du bruit des querelles, des rhapsodies des griots ».244 En réalité, cette vision mythique que le poète a du Joal de son enfance explique l’évocation mythifiante et/ou mystifiante qu’il en fait. L’écriture de l’espace dans les poèmes de Senghor détermine donc, dans une certaine mesure, le caractère discontinue des images que s’en fait le sujet-lisant. Pour l’illustrer, l’analyse s’intéressera, tour à tour, au traitement de la spatialité dans les poèmes intitulés « Visite », « Neige sur Paris » et « Luxembourg 1939 ».

D’abord, le poème titré « Visite ». Ce texte montre que l’espace chez Senghor n’est pas une catégorie isolée. Au contraire, il est un carrefour à la fois géographique et temporel. En fait, chez ce poète l’espace ne s’autodéfinit pas : il est définit par ce qui s’y passe. Plus exactement, dans la poésie senghorienne le cadre spatial change suivant les circonstances et les individus. Ainsi, selon qu’il soit ou non habité par des mirages, selon que s’y manifestent ou non des esprits, l’espace change tout en restant lui-même.

Autrement dit, l’espace est à la fois en perpétuelle mutation et assure une pluralité de

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fonctions. Ainsi, il rend simultanément possibles les perceptions justes et l’illusion perceptive. De même il abrite à la fois les hommes et les esprits, les vivants et les morts.

C’est l’idée de cette perpétuelle variabilité spatiale que pointe le poète en ces mots :

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