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Emblème 15 La vigilance et la surveillance

Illustration, éd. fils Alde, Venise, 1546.

Illustration, éd. M. Bon-homme pour G. Rouille, Lyon, 1550.

Illustration, éd. P. P. Tozzi, Padoue, 1621.

Instantis quod signa canens det gallus Eoi et revocet famulas ad nova pensa manus, turribus in sacris effingitur, aerea pelvis42

ad superos mentem quod revocet vigilem. 5 est leo sed custos, oculis quia dormit apertis,

templorum idcirco ponitur ante fores.

1 instantis…Eoi : Auson. XV,26 2 revocet…ad nova pensa manus : oV. Am. 1,13,24 6 templorum…ante fores : horaPollo, Hierogl. 1,19

Parce qu’il donne, par son chant, le signal de l’Aurore qui s’approche et rap-pelle les mains serviles à de nouvelles tâches, le coq est représenté sur les

42 Dans la première édition de cet emblème, chez les fils Alde en 1546, ainsi que dans la plupart des autres éditions, notamment celle de M. Bonhomme (1550 et 1551), de Stockhamer (1556), la place des mots pelvis et mentem est inversée, ce qui éloigne l’adjectif épithète

aerea du substantif qu’il complète. La position de mentem en fin

du troisième vers pourrait souligner l’antithèse entre les mains, un membre du corps, et l’âme, en créant un parallèle avec le vers précé-dent qui se termine par manus. Nous adoptons cependant le texte de l’édition de Padoue (1621) et des éditions plus tardives, comme celle de Leyde (1591), car l’alliance des mots aerea pelvis se rencontre chez Alciat lui-même (Parergon iuris libri VII posteriores, 8,11) et semble plus logique au point de vue du sens.

tours saintes ; parce qu’elle rappelle l’âme vigilante qui aspire au ciel, la cloche de bronze y est aussi représentée. Quant au lion, il est placé comme gardien devant les portes des églises, parce qu’il dort avec les yeux ouverts.

Picturae

Toutes les images suivent le même schéma iconographique. Un coq qui fait office de veilleur est perché sur le clocher d’une église. Un lion monte la garde, couché devant la porte. Dans l’édition de P. P. Tozzi, tous les éléments sont dupliqués. La clo-che de bronze, bien qu’elle ne soit visible sur aucune des gra-vures, est suggérée par la présence du clocher.

Structure et style de l’emblème

La subscriptio de l’emblème Vigilantia et custodia décrit deux animaux, le coq et le lion, et un objet, la cloche, comme sym-boles de la vigilance, vigilantia, et de la surveillance, custodia. Chaque distique est consacré à l’un d’eux. La répétition du verbe

revocet souligne l’antithèse entre le coq qui réveille les mains

(manus), le corps, et la cloche qui réveille l’âme (mentem). Le titre se compose de deux substantifs dérivés l’un de l’adjectif

vigilem (v. 4), l’autre du nom custos (v. 5). Le coq, ales diei nuntius

Dans l’Antiquité païenne déjà, le chant du coq43 non seulement annonce le jour avant même le lever du soleil, mais a aussi une valeur apotropaïque, consistant à mettre en fuite les démons et les mauvais esprits. La symbolique chrétienne reprend à son compte ces deux caractéristiques auxquelles s’ajoute l’idée que le coq « réveille » la conscience de saint Pierre, après le renie-ment, et, à travers lui, celle de tous les chrétiens.44 Dans l’hymne

Aeterne rerum conditor, attribuée à Ambroise de Milan, et

dans une autre de Prudence, l’oiseau, messager du jour, devient 43 Pour une synthèse des sources antiques voir thomPson, Greek Birds, pp. 33-44, en particulier pp. 38-39 ; arnott, Birds, pp. 9-112 ; CaPPo

-ni, Ornithologia, pp. 260-264. 44 RAC 13,363.

le symbole du Christ lumière du monde, qui réveille par son cri les âmes des pécheurs engourdies par leurs fautes et les guide vers la vie éternelle.45 Dans la première strophe de l’hymne Ad

galli cantum de Prudence, plusieurs éléments peuvent être mis

en parallèle avec les deux premiers vers de la subscriptio, bien que le lexique soit différent :

Ales diei nuntius

lucem propinquam praecinit ; nos excitator mentium iam Christus ad vitam vocat.46

L’annonce par le chant du coq du lever imminent du jour chez Prudence, lucem propinquam praecinit, correspond à

instan-tis signa canens Eoi, dans l’emblème ; le coq qui réveille les

âmes, excitator mentium…ad vitam vocat pourrait suggérer les mots ad superos mentem…revocet (v. 4). L’adjectif

pervi-gil pour désigner le coq, dans la deuxième strophe de l’hymne

ambrosienne, rappelle le titre de l’emblème Vigilantia, l’esprit en veille, vigil spiritus, de l’hymne prudentienne, l’âme vigi-lante, mentem…vigilem de la subscriptio (v. 4).47 Cependant, dans ces deux hymnes chrétiennes, le coq réveille les âmes plus encore que les corps. Or, dans l’emblème, si le coq éveille le corps et l’appelle au travail manuel, c’est la cloche qui ré-veille l’âme.

Le premier vers contient également une référence directe au poète Ausone.48 Dans le Griphus ternarii numeri, il énumère tout ce qui va par trois, les trois Grâces, les trois Parques, les changements de saisons chaque trois mois et ajoute le coq qui « chante trois fois lorsque s’approche l’Aurore », avec les mêmes 45 ambr. Hymn. 1 ; Prud. Cath. 1. Voir à ce sujet Fontaine, J., Ambroise

de Milan, Hymnes, texte établi, traduit et annoté sous la direction de

J. Fontaine, Paris, 1992, pp. 143-175. 46 Prud. Cath. 1,1-4.

47 ambr. Hymn. 1,6 noctis profundae pervigil. Voir aussi Prud. Cath. 1,77 vigil vicissim spiritus.

mots instantis Eoi que dans l’emblème.49 Alciat habille le conte-nu symbolique chrétien de la langue des poètes païens. Le deu-xième vers est très nettement marqué de l’empreinte ovidienne. La treizième élégie du premier livre des Amores s’adresse à l’Au-rore qui rappelle « la main de la fileuse à sa tâche ». Plusieurs termes sont employés dans le même ordre – respectivement la même position métrique – et dans un contexte similaire :

lanificam revocas ad sua pensa manum.50

revocet famulas ad nova pensa manus.

Les similitudes lexicales et thématiques justifient pleinement le rapprochement entre ces deux passages.

L’appel de la cloche

Si le coq réveille les « mains serviles » pour le travail, la clo-che réveille l’âme. Dans l’Antiquité païenne, la cloclo-che a, tout comme le coq, le pouvoir de détourner les démons et sert de signal dans le monde militaire et civil. Si pour les hommes du XVIème siècle, la cloche qui résonne dans la tour des églises – qui lui doit d’ailleurs son nom de « clocher » – évoque im-médiatement la religion chrétienne, ce n’est pourtant que dès le VIIIème siècle, dans la Gaule franque et en Italie, que sont attestés dans des sources écrites les premiers clochers.51 Alciat n’utilise pas, pour désigner la cloche, le terme latin classique

tintinnabulum, mais une périphrase poétique aerea pelvis.

Le terme pelvis désigne habituellement un récipient, le plus souvent en métal, mais il se rencontre aussi isolément comme synonyme de tintinnabula. Dans le Parergon iuris, Alciat prend prétexte d’une question juridique pour développer une parenthèse historique sur le terme campana, la cloche. Il cite

49 auson. XV,26 ter clara instantis Eoi/signa canit serus deprenso Marte

satelles.

50 oV. Am. 1,13,24.

51 Sur toute l’histoire de la cloche, sa valeur symbolique et ses utilisations dans l’Antiquité païenne et chrétienne voir RAC 11,164-196.

à ce propos le proverbe Dodonaeum aes52 qui s’applique aux bavards et explique son origine, en citant la même expression,

aerea pelvis, que dans notre emblème :

Dodonaeum aes : quod in Dodona duae essent columnae, in altera pel-vis aerea, in altera puer cum flagro pelvim vento impellente percutiens, unde tinnitus in multas horas perdurabat.53

Dans la suite du passage, il cite un vers de Juvénal d’où pour-rait provenir le mot pelvis, employé dans le sens d’un objet qui produit du bruit lorsqu’il est frappé.54 Il est utilisé dans ce même sens dans un passage d’Ausone, auteur dont dérive également le premier vers de cet emblème.55 Alciat a pu s’inspirer de l’un de ces deux auteurs pour l’emploi particulier de pelvis dans l’expression

aerea pelvis, ou aussi de l’adage d’Érasme Dodonaeum aes. Le lion, un gardien à l’œil ouvert

La force du lion et son apparence majestueuse en font, dès les épopées homériques, un symbole de puissance, de courage et de pouvoir. Il revêt également une fonction apotropaïque, tout comme le coq, et souvent une statue de lion est placée devant les portes ou les tombeaux. Aristote et, à sa suite, les natu-ralistes antiques décrivent l’apparence et le comportement du grand fauve. Élien, Plutarque et Isidore relèvent qu’il n’a be-soin que de très peu de sommeil et que ses yeux restent ouverts

52 zen. 6,5 ; st. byz. δ 146,130 ; suid. δ 1445 ; erasmus, Adag. 7

Dodo-naeum aes (ASD II,1 p. 120).

53 alCiatus, Parergon iuris libri VII posteriores, 8,11 (p. 70) « À Dodone, se dressaient deux colonnes ; sur l’une était posé un chaudron d’airain, sur l’autre, un enfant avec un fouet qui frappait le chaudron, chaque fois que le vent le poussait, d’où vient que le tintement durait plusieurs heures. » L’expression pelvis aerea paraît être tirée de erasmus, Adag. 7 Dodonaeum aes (ASD II,1 p. 120).

54 iuV. 6,441 tot pariter pelves ac tintinnabula dicas/pulsari.

55 auson. XXVII,21,23-25 nec Dodonaei cessat tinnitus aeni,/in

nu-merum quotiens radiis ferientibus ictae/respondent dociles modulato verbere pelves.

quand il dort. Le verbe vigilant, chez Isidore, rappelle le titre,

Vigilantia et custodia :

cum dormierint, vigilant oculi ; cum ambulant, cauda sua cooperiunt vestigia sua, ne eos venator inveniat.56

La littérature chrétienne reprend l’ancienne symbolique du lion et lui confère une dimension nouvelle.57 Le lion, roi des ani-maux, est assimilé au Christ, Roi des rois. Ainsi, le Physiologus attribue au lion trois « natures » symboliques, dont la seconde est de garder les yeux ouverts, lorsqu’il dort dans sa tanière :

δευτέρα φύσις τοῦ λέοντος. ὅταν καθεύδῃ ὁ λέων ἐν τῷ σπηλαίῳ, ἀγρυπνοῦσιν αὐτοῦ οἱ ὀφθαλμοί· ἀνεῳγμένοι γάρ εἰσι. […] οὕτω καὶ τὸ μὲν σῶμα τοῦ Κυρίου μου καθεύδει ἐπὶ τοῦ σταυροῦ, ἡ δὲ θεότης αὐτοῦ ἐκ δεξιῶν τοῦ Θεοῦ καὶ Πατρὸς ἀγρυπνεῖ.58

Cette faculté étonnante fait du lion le symbole du « sommeil » de la nature humaine du Christ sur la croix, tandis que « veille » sa divinité à la droite de son Père. Ainsi, le lion, comme le coq et la cloche, donne à cet emblème une couleur chrétienne. L’interprétation allégorique de l’emblème se rattache certes à la tradition du Physiologus, mais bien plus perceptiblement aux Hieroglyphica d’Horapollon, parus chez Alde en 1505. Le commentaire iconographique des Antiquitates

Mediola-nenses, œuvre de jeunesse d’Alciat, témoigne en effet sans

équivoque de l’apport des Hieroglyphica.59 L’un des hiéro-glyphes représente une tête de lion qui désigne « celui qui reste 56 isid. Orig. 12,2,5. Voir aussi ael. NA 5,39 ; Plu. Moralia 670c. 57 Voir Voisenet, Bêtes et hommes, pp. 54-57, en particulier pour sa

capa-cité à dormir les yeux ouverts, symbole de la vigilance, pp. 55-56. 58 Physiol. 1 (pp. 5-6).

59 Voir le commentaire des Antiquitates Mediolanenses, cité d’après laurens, Vuilleumier, « Le recueil des inscriptions milanaises », p. 233- 234 note 81 leo vero custodiae typum gerit, quoniam id animal

aper-tis oculis dormit : unde et pro foribus templorum solet apponi ; cuius rei Horus auctor est. Alciat utilise ici les mêmes termes et expressions

que dans la subscriptio de notre emblème 15, mais sous une forme non versifiée.

éveillé » et le « gardien ». C’est pour cette raison que « l’on place symboliquement aux portes des temples des lions comme gardiens. »60 Cette dernière remarque fait écho à l’expression

templorum…ante fores de la subscriptio. De plus, le lion y est

qualifié de φύλαξ qui correspond au mot custos (v. 5).

Une signification religieuse

Plusieurs indices concordent pour guider le lecteur vers une in-terprétation chrétienne de l’emblème 15 Vigilantia et custodia. Il est classé, dès l’édition lyonnaise de 1548, dans la première sec-tion sur la religion. Toutes les picturae représentent une église. La subscriptio pourrait s’inspirer en partie d’œuvres chrétiennes, les hymnes d’Ambroise ou de Prudence, d’Ausone et d’Isidore. Le commentaire de l’édition de P. P. Tozzi voit dans ces trois symboles, le coq, le lion et la cloche, une allégorie qui rappelle les devoirs de l’évêque : ce dernier doit non seulement veiller sur son peuple, le détourner du péché et jouer le rôle de « gardien » du dogme de l’Église et de la bonne morale, mais aussi faire re-tentir la Parole de Dieu, comme la cloche qui appelle les fidèles aux offices.61 Cette interprétation va bien au-delà des intentions de l’auteur, mais témoigne de la polysémie des Emblèmes et de l’évolution vers une exégèse moralisante à la fin du XVIème siècle.

Conclusion

L’emblème Vigilantia et Custodia résonne d’une tonalité chré-tienne par le choix de trois symboles qui certes existaient déjà dans l’Antiquité païenne, mais que le christianisme a revêtus d’une signification nouvelle. Le coq, messager du jour nouveau, est assimilé au Christ, « éveilleur des âmes endormies par le péché », dans les hymnes d’Ambroise et de Prudence. Le lion, image de force et de majesté, est comparé au Christ dans le

Physiologus, mais signifie aussi « gardien » dans le langage

60 horaPollo, Hierogl. 1,19 ἐγρηγορότα δὲ γράφοντες ἢ καὶ φύλακα λέοντος γράφουσι κεφαλήν, […] διόπερ καὶ συμβολικῶς τοῖς κλείθροις τῶν ἱερῶν λέοντας ὡς φύλακας παρειλήφασι.

symbolique des Hieroglyphica d’Horapollon, source principale du troisième distique de la subscriptio. Sa capacité à dormir les yeux ouverts est attestée également chez quelques naturalistes. Enfin, la cloche, désignée par une périphrase poétique, tirée peut-être de Juvénal ou d’Ausone, n’est devenue un symbole chrétien que durant le Moyen Âge et renvoie donc plutôt à la symbolique de la Renaissance. La langue d’Alciat est imprégnée de la poésie d’Ovide et d’Ausone, des auteurs qui lui étaient fa-miliers, comme en témoignent deux emprunts textuels directs.

Emblema XVII Πῆ παρέβην ; τί δ’ἔρεξα ; τί μοι