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4. Les Emblèmes à la croisée de plusieurs genres

4.3. L’influence des naturalistes

4.3.1. Un regain d’intérêt pour les naturalistes à la Renaissance

Dans les années 1492-1493, deux ouvrages importants sur

l’His-toire Naturelle de Pline l’Ancien voient le jour : les Castigationes plinianae d’Ermolao Barbaro et le De Plinii et aliorum medico-rum in medicina erroribus de Niccolò Leoniceno. Barbaro

pro-cède à une approche philologique du texte et tente de le purger des erreurs de transmission accumulées au cours des siècles, tan-dis que Leoniceno, un médecin, s’intéresse davantage à l’exacti-tude des descriptions et des renseignements fournis par Pline. En dépit de leur point de vue différent, ces deux œuvres critiques at-testent l’intérêt naissant pour les sciences naturelles.265 Au début du XVIème siècle, Érasme de Rotterdam recommande aux maîtres d’école l’étude du naturaliste latin dans son De ratione studii,266

montrant ainsi que l’histoire naturelle antique fait partie du ba-gage culturel de l’humaniste au même titre que les poètes ou les philosophes. Son éditeur bâlois, Jean Froben, publie une édition de Pline, préparée par ses soins, en 1523, bientôt suivie de deux autres en 1530 et 1535. L’humaniste suisse Conrad Gesner est considéré comme l’un des plus importants naturalistes du début du XVIème siècle et son Historia animalium témoigne des débuts de la zoologie moderne. Dans cette œuvre, publiée entre 1551 et 1558, il présente chaque animal selon un plan clair et précis, de la nomenclature à la description de l’apparence extérieure et du comportement, en passant par l’étymologie et l’usage médi-cal ou culinaire. En bon humaniste, il cite plusieurs auteurs an-tiques comme Aristote, Élien, Dioscoride ou Pline l’Ancien. Il termine par un paragraphe consacré aux symboles véhiculés par l’animal, aux proverbes et aux fables. Ces éléments pourraient sembler incongrus dans un ouvrage de sciences naturelles, mais 265 oGilVie, Science of describing, p. 122. Voir aussi bianChi, « Le scienze nel Quattrocento » dans Le filosofie del Rinascimento, éd. P. C. Pissa-vino, Milan, 2002, pp. 104-105.

ils reflètent pourtant le goût de l’époque pour l’allégorie et les proverbes et une conception de la nature à la fois scientifique et didactique qui vise à l’instruction morale.267 Conrad Gesner em-prunte fréquemment des éléments aux Emblèmes d’Alciat qu’il cite par leur titre. Ainsi, les naturalistes sont également sensibles au langage allégorique de la nature et lui accordent une grande importance.268

4.3.2. Les œuvres des naturalistes dans les Emblèmes

André Alciat, bien qu’il soit juriste de formation, partage avec les humanistes de son temps un intérêt marqué pour les œuvres des naturalistes. Dans une lettre de mai 1528 à Boniface Amerbach, il se réjouit du travail philologique consciencieux de Beatus Rhe-nanus dans les Adnotationes in Plinium et appelle de ses vœux la publication d’une nouvelle édition corrigée et munie d’images des œuvres de Pline l’Ancien.269 De fait, la monumentale Histoire

Naturelle offre une source inépuisable d’informations sur tous

les sujets, avant tout la botanique et la zoologie, mais aussi la géographie, l’histoire, l’histoire de l’art et la géologie. Les livres VIII à XI sur les animaux terrestres, aquatiques, les oiseaux et les insectes fournissent de multiples correspondances, dans la langue et le contenu, avec des emblèmes de notre sélection, même si c’est d’une manière pour ainsi dire transfigurée par la poésie. Dans ces livres, Pline l’Ancien se fonde sur des sources grecques plus anciennes qu’il synthétise, essentiellement Aristote. Ces ouvrages scientifiques de l’Antiquité fournissent à Alciat et aux emblématistes une riche provision de faits étranges sur le monde vivant.270 Ils constituent un vaste répertoire de sujets, ces données brutes nécessitant cependant une transformation pour 267 harms, « On Natural History and Emblematics », pp. 81-82 ;

ashWorth, « Emblematic natural history », pp. 17-23.

268 harms, « On Natural History and Emblematics », pp. 69-70 et pp. 81-82 souligne les liens entre la littérature emblématique et les auteurs d’his-toire naturelle, en se focalisant sur J. Sambucus et J. Camerarius. 269 alCiatus, Le lettere, n° 42,62-73.

270 tunG, « Alciato’s Practices », pp. 215-218, 235-236 et 250-251 ; laurens, L’abeille, pp. 555-556.

devenir matière à emblème. En effet, les naturalistes décrivent la nature de la façon la plus exhaustive possible, en détaillant l’apparence extérieure, le comportement, l’habitat et toutes les caractéristiques de l’animal en question, en prose, dans un style dépourvu de figures rhétoriques élégantes, de sentences ou de métaphores. La composition de l’emblème implique la sélection d’une ou plusieurs caractéristiques de l’animal et son interpré-tation allégorique et morale, ainsi qu’une transposition en vers. Cette lecture moralisante des phénomènes naturels n’appa-raît pas, ou très peu, chez les naturalistes antiques Aristote et Pline, mais se manifeste plus nettement chez Élien,271 Oppien et Plutarque. Un deuxième groupe de sources relatives à la faune condense le savoir de l’Antiquité sur les animaux et offre à Alciat des modèles de lecture symbolique : l’exégèse biblique, en parti-culier Basile de Césaréeet Ambroise de Milan, Isidore de Séville et le Physiologus.272 Parmi ces sources, l’influence des

Hexamé-rons de Basile de Césarée et d’Ambroise de Milan, qui unissent la

pensée chrétienne aux connaissances scientifiques de l’Antiquité païenne à travers la contemplation des merveilles de la création, apparaît le plus manifestement. Les phénomènes naturels y sont 271 L’édition princeps d’Élien par C. Gesner date de 1556, soit après la mort d’Alciat. Plusieurs manuscrits se trouvaient en Italie et certains humanistes semblent les avoir consultés, tel Ange Politien. Voir par exemple, Politianus, Miscellanea chap. XCVI, pp. 638-639, où l’hu-maniste italien cite un passage d’Élien en traduction latine avec des références précises. Ce chapitre des Miscellanea pourrait d’ailleurs être l’une des sources de l’adage Mus albus (erasmus, Adag. 1608 [ASD II,4 p. 92]), auquel Alciat se réfère lui-même dans l’Embl. 79 Lascivia (commentaire pp. 384-385). Il n’est certes pas impossible qu’Alciat ait pu avoir accès à l’un ou l’autre de ces manuscrits. Mais, étant donné que dans la plupart des emblèmes où le De natura animalium pourrait se profiler comme une source, d’autres textes antiques présentent des renseignements identiques ou similaires, nous ne pensons pas qu’Alciat ait puisé dans l’œuvre d’Élien. Tout au plus a-t-il pu en avoir une connaissance indirecte via Politien ou Érasme.

272 Le Physiologus ne constitue pas une source des Emblèmes d’Alciat. En revanche, il est utilisé par d’autres emblématistes plus tardifs, comme Camerarius, voir à ce sujet Peil, « On the Question of a Physiologus Tradition », pp. 103-130.

lus à travers la lunette de la morale. Les animaux offrent aux hommes des modèles des vertus à imiter ou des vices à éviter. Cette lecture symbolique de la nature ressemble, au point de vue du fond, à celle des Emblèmes, bien qu’Alciat utilise relativement rarement les œuvres des Pères de l’Église comme modèle princi-pal d’un emblème.273

4.4. L’influence des œuvres d’Érasme de Rotterdam