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3. Définition de l’emblème

3.4. La question des inscriptiones

Alors même que le statut des picturae a suscité de nombreuses controverses, la question des inscriptiones n’a guère soulevé de débat.202 Comme nous l’avons déjà signalé plus haut, la forme très simple de certaines d’entre elles s’apparente aux titres at-tribués aux épigrammes de l’Anthologie de Planude ou à leurs traductions latines dans des recueils.203 Seuls certains des em-blèmes possèdent comme titre une sentence ou une maxime à valeur morale, ainsi Nunquam procrastinandum, Prudens

magis quam loquax ou Gratiam referendam. Or, les titres

moralisants de ce genre se rencontrent aussi dans les recueils de traductions de l’Anthologie. Les analyses détaillées de M. Tung montrent que, dans le nouvel Emblematum libellus de 1546,204 les titres sous forme de sentence sont même moins nombreux qu’auparavant : plusieurs nouveaux emblèmes ar-borent une inscriptio composée d’un mot simple, notamment une série traitant des vices et le groupe des emblèmes d’arbres. Ainsi, Alciat ne semble pas souhaiter voir évoluer systémati-quement ses inscriptiones vers des motti. E. Klecker y voit un certain manque d’intérêt de la part d’Alciat pour les titres, ainsi qu’un témoignage, venant étayer sa thèse, de sa volon-té de créer un dictionnaire de « hiéroglyphes ».205 Force est de constater que, dans leur grande majorité, les inscriptiones des emblèmes ressemblent à s’y méprendre à des titres d’épi-grammes traduites de l’Anthologie de Planude, que, parmi elles, les sentences – ou motti – sont moins fréquentes que 202 kleCker, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs », p. 44 estime

également que la question des inscriptiones est tout aussi légitime que celle des picturae.

203 Voir ci-dessus pp. 37-38.

204 TunG, « Alciato’s Practices », pp. 238-239.

205 kleCker, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs », p. 46 met en parallèle les inscriptiones simples et les titres des chapitres des

Hie-roglyphica d’Horapollon adoptant deux formes, soit quid…significet

pour désigner la res significans, soit quomodo…significent, pour indi-quer son interprétation. Voir ci-dessous à propos de cette thèse, p. 91.

pourraient le laisser présager les développements postérieurs du genre emblématique et qu’elles ne possèdent pas véritable-ment un caractère énigmatique.

En étudiant attentivement les emblèmes de notre corpus, plu-sieurs cas présentent des divergences entre le titre et le contenu de l’épigramme, de même que des erreurs flagrantes ont été re-marquées à propos des picturae non conformes aux

subscrip-tiones : l’emblème 49 In fraudulentos s’en prend en réalité non

seulement aux trompeurs, comparés au stellio, mais aussi aux jaloux, et invidiosos, comme suggère d’ajouter au titre le com-mentaire du XVIème siècle ;206 l’emblème 66 Oblivio paupertatis

parens tire du comportement étrange du lupus cervarius une

vérité générale appliquée à « celui qui néglige ses biens et re-cherche sottement ceux d’autrui » et ne correspond nullement au titre ;207 l’inscriptio de l’emblème 78 Inviolabiles telo

Cu-pidinis prétend « rendre invulnérables au trait de Cupidon »,

alors que la subscriptio affirme rendre inefficaces les philtres magiques de Médée ;208 l’inscriptio de l’emblème 175 Alius

peccat, alius plectitur, inspirée d’un adage érasmien, oppose le

coupable et l’innocent puni à sa place, tandis que la

subscrip-tio interprète l’anecdote du chien qui mord la pierre plutôt que

celui qui la lui a lancée, comme un exemple du manque de dis-cernement conduisant à confondre amis et ennemis.209 Toutes ces incohérences, ici répertoriées de façon non exhaustive, se-raient-elles volontaires ? Alciat chercherait-il à enrichir son message et à stimuler la réflexion du lecteur en lui ouvrant un plus large spectre d’interprétations de ses épigrammes ? Deux emblèmes dans notre corpus se fondent sur des sentences de célèbres philosophes grecs.210 Tous deux sont publiés pour la première fois dans l’édition aldine de 1546 avec un titre donné 206 Voir commentaire pp. 249-257.

207 Voir commentaire pp. 335-342. 208 Voir commentaire pp. 369-379. 209 Voir commentaire pp. 653-659.

210 Voir commentaire Embl. 17 Πῆ παρέβην ; p. 155 et 34 Ἀνέχου καὶ ἀπέχου p. 208.

uniquement en grec. Or, dans les éditions ultérieures,

l’inscrip-tio en grec est accompagnée d’une traducl’inscrip-tion latine, différente

toutefois de celle proposée dans la subscriptio.211 Est-ce un sou-ci de variatio de la part de l’auteur, afin de démontrer son in-ventivité ? Ou se pourrait-il que les titres aient été complétés par l’éditeur lyonnais, soucieux de toucher un plus large public, en insérant une traduction latine basée dans les deux cas sur un adage érasmien ?

Il arrive qu’Alciat cite certaines subscriptiones, sans mentionner leur inscriptio ou sous un titre différent. Ainsi, dans son

Parer-gon iuris, au terme d’un développement sur le sens de

l’expres-sion allectator avis, il cite sa propre épigramme, devenue dès l’édition vénitienne de 1546, l’emblème 50 Dolus in suos, sans son inscriptio.212 L’emblème 164 In detractores figure dans une

lettre d’Alciat et s’y intitule Zasii Budaei Alciati apologeticum

in Ranciscum Olidum. In Franciscum Olidum.213 Notons tou-tefois que dans ces deux cas, le texte des épigrammes présente également des variantes par rapport à celui des subscriptiones des emblèmes qu’elles sont devenues par la suite. Pas plus que pour la question des picturae, il ne nous appartient – et d’ail-leurs cela est-il seulement possible – de décider s’il faut attribuer à Alciat la paternité des inscriptiones et l’idée même de forger une unité artistique cohérente à partir des trois composantes de l’emblème. Alciat a-t-il créé l’emblème ou n’aurait-il pas seu-lement composé des épigrammes, illustrées pour le plaisir des yeux et plus aisément classées et repérées grâce à leur titre ?214

211 L’inscriptio grecque Πῆ παρέβην ; τί δ’ἔρεξα ; τί μοι δέον, οὐκ ἐτελέσθῆ ; est traduite en latin Lapsus ubi ? quid feci ? aut officii quid

omissum est ?, alors que la même sentence est traduite différemment

dans la subscriptio (v. 3 quo praetergressus ? quid agis ? quid omittis

agendum ?).

212 Voir commentaire pp. 258-265. Voir aussi alCiatus, Parergon iuris libri

VII posteriores, 9,11 (p. 84).

213 Voir commentaire pp. 609-620.

214 Nous retenons ici, en partie, les conclusions de kleCker, « Des signes muets aux emblèmes chanteurs », p. 52.

4. Les Emblèmes à la croisée de plusieurs