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6. Les fonctions des emblèmes

7.5. Imitation et variation : un procédé de création

leviter mihi curae est, qui imitator potius sim quem interpres […].478

C’est ainsi qu’Alciat lui-même définit, dans sa correspondance, le processus de création de ses épigrammes et expose ses in-tentions littéraires : être un imitateur émule des Anciens plutôt qu’un traducteur fidèle. André Alciat fait parvenir une liste de corrections à son ami Boniface Amerbach, chargé de contrôler et de superviser la future édition de ses poèmes dans les Selecta

epigrammata de J. Cornarius, imprimés à Bâle en 1529. Il s’agit

ici d’une modification du texte dans une épigramme éditée dans la collection de J. Cornarius, puis transformée en emblème, par 477 Charlet, « Les épigrammes d’Alciat », pp. 103-116. Ce commentaire n’avait pas pour objectif d’étudier en détail les particularités métriques d’Alciat dans les Emblemata qui pourraient faire l’objet d’une étude future.

478 alCiatus, Le lettere, n° 47,30-31 et n° 45,39-42 mitto igitur ad te

opus una cum auctario non sane modico epigrammatum meorum, quae e graeco partim translata sunt, partim ad graecorum imitatio-nem facta […].

l’ajout de l’inscriptio In eum qui sibi ipsi damnum apparat.479

À la Renaissance, la traduction était un exercice scolaire très prisé par les humanistes et l’apprentissage des langues latine et grecque se fondait sur l’imitation des modèles antiques. André Alciat n’échappe pas à la règle et a, semble-t-il, pratiqué dans sa jeunesse ce type d’exercice. En effet, dans une lettre adres-sée à son ami Francesco Calvo, il évoque un manuscrit auto-graphe renfermant plusieurs de ses traductions de jeunesse d’épi-grammes de l’Anthologie grecque.480 Ce processus d’imitatio et

variatio, souvent comparé au travail des abeilles qui recueillent

le nectar de fleur en fleur, puis le transforment en miel,481 com-prend trois niveaux ascendants :482 sequi qui consiste à « suivre » de près les modèles antiques par une traduction mot à mot,

imitari qui consiste à « imiter » l’original, en le transformant,

et aemulari qui consiste à « rivaliser » avec le modèle et à le surpasser, par l’invention, mais non au sens moderne de créa-tion ex nihilo, mais de réassemblage d’éléments empruntés à différentes sources classiques pour former un tout original. En matière d’imitation, il convient toutefois d’éviter de suivre les modèles de trop près, afin de créer son propre style, de ne pas les reproduire servilement, mais de se les approprier, les trans-former, selon le processus de l’innutrition ou de mellification et

479 Embl. 64 In eum qui sibi ipsi damnum apparat (commentaire p. 322). 480 Voir introduction pp. 7 et 11.

481 Cette métaphore remonte à l’Antiquité : sen. Epist. 84 engage à imiter les abeilles qui récoltent le suc des différentes fleurs et en façonnent le miel par un processus qui leur est propre, semblable à la digestion des aliments chez l’homme. La métaphore a été souvent utilisée par les auteurs de la Renaissance pour définir l’imitation des modèles antiques (production d’une substance nouvelle, différente de la matière pre-mière), dès Pétrarque (Fam. 1,8,17-23), puis par Ange Politien (Oratio

super Fabio Quintiliano et Statii Sylvis, éd. E. Garin, pp. 878-880)

et Érasme dans le Ciceronianus (ASD I,2 p. 652). À propos de cette image et des autres relatives à la pratique de l’imitation, voir PiGman, « Versions of Imitation », pp. 1-32.

482 La division sequi, imitari et aemulari pourrait être due à Érasme de Rot-terdam, voir à ce propos PiGman, « Versions of Imitation », pp. 3, 25-26.

enfin, de ne pas se fonder sur un modèle unique.483 Ces quelques conseils de Pétrarque serviront de base aux réflexions et aux dé-bats des humanistes des siècles suivants. Dans les Emblemata, Alciat se livre à un tel exercice, notamment, lorsqu’il traduit en latin des épigrammes de l’Anthologie grecque, en procédant à des modifications affectant le fond et la forme, en usant d’une langue latine inspirée de modèles très divers, ou lorsqu’il crée de toutes pièces des épigrammes, semblables à celles de

l’Antholo-gie grecque, basées pourtant sur d’autres sources littéraires

an-tiques.484 Il pratique un éclectisme dans le choix de ses modèles, les réélabore de façon active, de sorte que les emprunts textuels dépassent rarement une ou deux expressions isolées, voire un seul mot. Le titre même se son recueil, les Emblemata, évoque une des nombreuses métaphores utilisées par les humanistes pour définir le processus d’imitation, à savoir la mosaïque.485

Cette image, au contraire de celle des abeilles fabriquant le miel, ne sous-entend pas la notion de transformation complète, mais insiste davantage sur la combinaison de fragments divers pour réaliser une œuvre d’art nouvelle.

483 PetrarCa, Fam. 1,8,17-23.

484 Voir les conclusions de l’étude de tunG, « Alciato’s Practices », p. 241 In all phases, he exibits mastery of providing copiousness and variety, as well as invention and wit, while steadily gaining independance from his models, the ultimate goal of the art of imitation.

485 Une des premières utilisations de cette image, pour illustrer la « poé-tique de l’éclectisme » se rencontre dans le préambule du livre III des

Profugia ab aerumna (1442) de Léon Battista Alberti, voir Poétiques de la Renaissance, pp. 441-443 et 491-494 (pour le texte italien et la

traduction française). Plus tard, Ange Politien, l’utilise dans sa préface des Miscellanea pour définir sa technique de composition (Politianus,

Opera, Bâle, 1553, p. 214 vermiculata interim dictio, et tessellis

plu-ricoloribus variegata). La métaphore remonte à CiC. Brut. 274 ; De