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L A PROTECTION DU FONCTIONNAIRE

B. L’encadrement de l’appréciation hiérarchique

2. Le vice de procédure

Le but d’une mesure personnelle est d’obliger l’administration à mettre le fonctionnaire en mesure de réclamer la communication de son dossier. Dès que le juge a qualifié de telle une décision administrative, il se prononce sur la réalité de cette communication pour éventuellement conclure à l’annulation pour vice de procédure lorsque cette « formalité » n’a pas été observée par l’autorité administrative. Il est alors possible de se demander s’il n’est pas vain de créer jurisprudentiellement une catégorie aussi difficile à cerner pour finalement n’aboutir qu’à la constitution d’un vice de procédure. La légalité interne de la décision n’étant jamais en question, la contrainte s’avère finalement assez faible pour l’autorité administrative972.

L’administration doit seulement informer l’intéressé de manière à ce qu’il ne puisse pas se méprendre sur la nature de la mesure qu’elle entend adopter973. L’on serait alors tenté de minimiser

971- C.E, 26 avril 1967, Sieur Ploix, préc.

972- Cf. Braibant (G), Le droit administratif français, Dalloz, 1992, p. 369. 973- C.E, 5 juin 1959, Sieur Dufay, rec. 345.

l’intérêt d’une telle jurisprudence. Cette opinion serait renforcée par les contraintes auxquelles la procédure contentieuse soumet le moyen tiré de la violation de l’article 65.

Tout d’abord, ce n’est pas un moyen d’ordre public. Si le requérant omet de le soulever en première instance, le juge ne peut le faire d’office et il ne lui est ensuite plus possible de l’utiliser en appel974. Ainsi, la reconnaissance de la nature d’un acte administratif dépend directement du contenu de la requête.

Ensuite, le refus de communication du dossier n’est pas en lui-même un acte susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le moyen tiré du défaut de communication ne peut être invoqué qu’à l’appui d’un recours contre un acte portant atteint à la situation du fonctionnaire975. La possibilité offerte par l’article 65 de la loi de 1905 d’obtenir la communication du dossier reste donc limitée au cas d’une procédure contentieuse. Le fonctionnaire qui souhaiterait en bénéficier, sans pour autant demander l’annulation de la décision dont il fait l’objet, ne peut alors que chercher à se situer dans le champ d’application de la réglementation sur l’accès aux documents administratifs.

Si toutes les conditions sont remplies pour que le vice de procédure soit reconnu, la conséquence immédiate est l’annulation de l’acte pour excès de pouvoir. L’illégalité affecte la décision personnelle ; elle peut aussi s’étendre aux autres actes administratifs qui en dépendaient. De cette manière, le juge peut par exemple annuler un déplacement non précédé de la communication du dossier et « par voie de conséquence la nomination du remplaçant de l’intéressé et le refus de réintégrer celui-ci dans le poste dont il a été privé ou, sur sa demande, dans un emploi équivalent »976. Il est arrivé que des requérants réclament, sur cette base, l’attribution de dommages et intérêts pour le préjudice que leur a causé une telle faute administrative. Il est rare que le juge administratif accepte le bien fondé d’une telle requête. Soit parce qu’il considère que la mesure n’étant pas illégale au fond, la faute n’ouvre pas droit à réparation977, soit parce qu’il s’agit d’un emploi à la discrétion du Gouvernement. Le Conseil d’État a cependant admis une fois que « le défaut de communication constitue une faute de service de nature à engager la responsabilité de l’État » reconnaissant l’existence d’un préjudice causé par le non-respect de cette procédure en confirmant et allouant une indemnité de 5000 F.F en réparation « des conséquences de la faute commise »978.

En guise de conclusion, il serait injuste d’affirmer que la reconnaissance de la catégorie des mesures personnelles n’a que des conséquences contentieuses limitées au vice de procédure et

974- C.E, Ass., 13 juillet 1965, Gauthier, rec. 436.

975- En 1953, le Conseil d’État a refusé de statuer sur une requête demandant l’annulation de la décision par laquelle le

ministre de la France d’outre-mer avait rejeté une demande de communication du dossier à un chef du bureau affecté en Afrique équatoriale française « s’il appartient au fonctionnaire qui n’a pas obtenu la communication préalable de son dossier de se prévaloir ».

976- C.E, 17 juin 1953, Moreuil, rec. tables p. 676. 977- C.E, 18 juin 1986, Mme Krier, rec. 166.

s’avère en pratique relativement inefficace. L’obligation de mettre l’intéressé en mesure de demander la communication de son dossier a pour but final, au-delà d’une annulation contentieuse pour vice de procédure ou d’une attribution d’indemnités, de prouver un éventuel détournement de pouvoir. Puisque le juge se refuse à exercer un contrôle normal sur les motifs d’une mesure personnelle, le requérant qui souhaite obtenir l’annulation de la décision dont il est l’objet au titre de sa légalité interne ne peut qu’invoquer le détournement de pouvoir. Le fait pour l’administration d’être obligée de communiquer au fonctionnaire son dossier peut l’aider à prouver cet éventuel détournement.

Cette catégorie de mesures a ainsi un rôle indirect important. En développant son utilisation et en généralisant ses caractéristiques, le juge administratif impose à l’administration le respect d’une formalité de nature à faciliter, par une plus grande transparence administrative, la preuve du détournement de pouvoir.

Il n’est alors plus possible de douter de l’utilité réelle de la notion jurisprudentielle de « mesures prises en considération de la personne ». Elles ne servent pas seulement à avertir les intéressés979 et ont un rôle plus important que celui d’introduire dans les rapports entre les supérieurs hiérarchiques et leurs subordonnés « un souci très pratique de moralité et d’efficacité administratives »980. Par une interprétation extensive de la lettre de l’article 65 de la loi de 1905, le Conseil d’État renoue avec l’esprit du législateur qui a voté ce texte. Les mesures personnelles sont un moyen indirect pour le juge d’assurer aux fonctionnaires une certaine protection contre les abus de l’autorité administrative sans empiéter sur le pouvoir discrétionnaire de cette dernière, « réduisant à la fois les risques d’arbitraire et ceux d’erreur »981. Au-delà des incertitudes juridiques que suscite l’apparente incohérence ou hétérogénéité de la liste des jugements utilisant cette qualification d’actes, un mouvement jurisprudentiel se dégage dans le sens d’une plus grande prise en considération du principe général des droits de la défense du fonctionnaire victime d’une décision de son supérieur hiérarchique. Dans cette perspective, il ne fait pas de doute que cette évolution se poursuivra et que l’utilisation de cette catégorie se généralise.

979- J. G. a conclu sa note sous l’arrêt Nègre, précité, par ces mots « peut-être ne retireront-ils [les intéressés] pas grand

avantage juridique de la communication d’un dossier le plus souvent laconique. Mais ils y trouveront au moins ce profit que mentionne l’adage ‘Un homme averti en vaut deux’ ; D. 1949, J., p. 571.

980- Concl. R. Odent sous C.E, 26 octobre 1945, Aramu et autres, S. 1946. 3. 3. 981- Idem.

C

ONCLUSION

En guise de conclusion de ce titre, il nous semble que le droit à la protection du fonctionnaire occupe une place très importante au sein de l’esprit du juge administratif. Cette protection s’est manifestée dans les jurisprudences française et libanaise sous deux formes : en cas de fautes et dans les poursuites disciplinaires.

D’ailleurs, c’est en forgeant les principes régissant la qualification de la faute et de accidents, d’une part ; et les principes régissant la procédure disciplinaire et ceux des mesures personnelles, d’autre part, que le juge administratif français s’est montré comme un véritable défenseur des droits du fonctionnaire en le protégeant de l’abus de l’administration et de son pouvoir discrétionnaire.

Le juge libanais, en ce domaine, n’a fait que reprendre et appliquer ces principes. À l’exception des principes concernant les mesures personnelles qui demeurent, jusqu’à présent, étrangers à la jurisprudence libanaise.

Notre étude des jurisprudences nous a conduit à remarquer que le droit à la protection n’est pas le seul droit dont joui le fonctionnaire durant sa vie de carrière. Mais il existe d’autres droits à caractère pécuniaire et social qui ont été renforcés par l’apport du juge administratif.

Ces droits ont été conçus dans le but de garantir au fonctionnaire une vie décente, pour satisfaire à ses besoins alimentaires, au logement, à ses loisirs et autres nécessités à caractère social.

TITRE II