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Les droits et libertés du fonctionnaire dans les jurisprudences du Conseil d'État libanais et du Conseil d'État français

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Academic year: 2021

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F

ACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES SOCIALES

ÉCOLE DOCTORALE – SCIENCES JURIDIQUES – ED088

L

ES DROITS ET LIBERTÉS DU FONCTIONNAIRE

DANS LES JURISPRUDENCES DU

C

ONSEIL D

’É

TAT

LIBANAIS ET DU

C

ONSEIL D

’É

TAT FRANÇAIS

THÈSE POUR LE DOCTORAT EN DROIT

présentée et soutenue publiquement le 5 novembre 2008 par

Monsieur Haïtham S

AKR

DIRECTEUR DE RECHERCHE

Monsieur Stéphane BRACONNIER

Professeur à l’Université de Paris II (Panthéon – Assas) Directeur du Master Droit Public de l’Économie

SUFFRAGANTS

Monsieur Youssef S. EL-KHOURY

Professeur à l’Université de la Sagesse – Liban

Ancien Président du Conseil d’État libanais (Rapporteur) Monsieur Antony TAILLEFAIT

Doyen à la Faculté de Droit, d’Économie et de gestion d’Angers Maître de conférences à l’Université d’Angers (Rapporteur)

Monsieur Alain ONDOUA

Professeur à l’Université de Poitiers Monsieur Philippe LAGRANGE

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F

ACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES SOCIALES

ÉCOLE DOCTORALE – SCIENCES JURIDIQUES – ED088

L

ES DROITS ET LIBERTÉS DU FONCTIONNAIRE

DANS LES JURISPRUDENCES DU

C

ONSEIL D

’É

TAT LIBANAIS

ET DU

C

ONSEIL D

’É

TAT FRANÇAIS

THÈSE POUR LE DOCTORAT EN DROIT

présentée et soutenue publiquement le 5 novembre 2008 par

Monsieur Haïtham S

AKR

DIRECTEUR DE RECHERCHE

Monsieur Stéphane BRACONNIER

Professeur à l’Université de Paris II (Panthéon – Assas) Directeur du Master Droit Public de l’Économie

SUFFRAGANTS

Monsieur Youssef S. EL-KHOURY

Professeur à l’Université de la Sagesse – Liban

Ancien Président du Conseil d’État libanais (Rapporteur) Monsieur Antony TAILLEFAIT

Doyen à la Faculté de Droit, d’Économie et de gestion d’Angers Maître de conférences à l’Université d’Angers (Rapporteur)

Monsieur Alain ONDOUA

Professeur à l’Université de Poitiers Monsieur Philippe LAGRANGE

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REMERCIEMENTS

Ce travail a été réalisé grâce aux conseils, aux encouragements et à l’aide inappréciable

et multiforme de plusieurs personnes auxquelles vont tous mes sentiments de gratitude.

Je tiens à remercier d’abord le Gouvernement français pour la bourse dont j’ai

bénéficié.

Je souhaiterais également exprimer ma profonde gratitude à Monsieur le Professeur

Stéphane BRACONNIER qui a bien accordé à mes efforts une attention bienveillante ainsi il

a dirigé cette thèse en me traçant la marche à suivre, et dont les remarques et les conseils

scientifiques et méthodologiques ont enrichi cette recherche.

J’exprime mes remerciements les plus vifs, ma reconnaissance la plus profonde et ma

gratitude la plus sincère au Président Youssef S. EL-KHOURY, ancien Président du Conseil

d’État libanais, pour ses encouragements et pour son stimulant et paternel soutien.

Mes remerciements vont aussi aux éminents membres du jury qui m’ont honoré en

participant à la soutenance.

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Le fonctionnaire est un des principaux protagonistes de l’activité administrative. Il est habituel de l’étudier comme un des éléments de la fonction publique. Mais, surtout au Liban, il est rarement le centre d’intérêt des travaux de recherches.

Si l’administration a bien ou mal fonctionné, si elle se révèle avec ses forces et ses faiblesses, c’est que, derrière la façade anonyme et froide de l’édifice administratif, il y a des agents, des hommes et des femmes, qui agissent, administrent et décident. Long des décennies, les fonctionnaires ont conquis leur dignité et leur liberté par leur comportement individuel et collectif, tout en conservant le sens de l’intérêt général. Comme tout agent ou tout membre d’une collectivité, le fonctionnaire a des droits et des libertés protégés par le juge.

Ainsi cette thèse est une étude comparative des jurisprudences du Conseil d’État français et du Conseil d’État libanais et dont sa première partie est consacrée aux droits et libertés du fonctionnaire dans le cadre de son activité administrative ; et dans la seconde partie on étudiera ses droits et libertés qu’il en profite en tant que citoyen. Cette thèse vise à connaître les voies et les moyens employés, par les deux Conseils d’État, pour parvenir à l’acquisition et au renforcement des droits et des libertés du fonctionnaire.

Mots-clés

Accident – cumul – communication du dossier – discipline – droits politiques – égalité – faute – fonctionnaire – grève – indemnités – laïcité – liberté de conscience – liberté d’opinion – liberté religieuse – loyalisme – neutralité – pensions – protection – règle de service fait – rémunération – réserve – responsabilité – syndicalisme.

Summary

The public servant is one of the major protagonists of the administrative activity. When the public servant is the subject of a case study, he is usually seen as one of the Public Function’s elements. However, and especially in Lebanon, he is rarely the main focus of researches.

If the Administration well or badly work, if it shows signs of strength or weakness, it only means that, behind the anonymous and cold façade of the administrative building, there are male and female agents who take action, handle the administration and make decisions. For decades, public servants won their dignity and gained their freedom through both their individual and collective

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behaviors, while maintaining the sense of public interest. Moreover, public servants, as other agents or community members, have rights and freedoms protected by the judge.

This thesis is therefore a comparative study of jurisprudences of French Council of State and the Lebanese Council of State. It includes two parts: the first is about the public servant’s rights and freedoms when carrying out his administrative activity and the second part is consecrated to his rights and freedoms as citizen. This thesis’ aim is to know what ways and means both Councils of State use to succeed in acquiring and reinforcing the public servant’s rights and freedoms.

Keywords

Accident – plurality – file transmission – discipline – political rights – equality – fault – public servant – strike – indemnities – secularism – freedom of conscience – freedom of opinion – freedom of worship – loyalty – neutrality – pensions – protection – rule of service done – remuneration – reserve – liability – syndicalism.

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Table des abréviations

INTRODUCTION GÉNÉRALE

PREMIÈRE PARTIE

DROITS DU FONCTIONNAIRE – AGENT

Titre I – La protection du fonctionnaire

Chapitre I – La protection du fonctionnaire en cas de fautes et accidents Chapitre II – Droit à la communication du dossier

Titre II – Les droits pécuniaires du fonctionnaire Chapitre I – Le régime financier

Chapitre II – Le régime quasi-social

DEUXIÈME PARTIE

DROITS DU FONCTIONNAIRE – CITOYEN

Titre I – Les droits et libertés sociaux Chapitre I – Le droit syndical Chapitre II – Le droit de grève Titre II – Neutralité et droits de l’homme

Chapitre I – La liberté de conscience et la Laïcité Chapitre II – La liberté d’expression et la neutralité

CONCLUSION GÉNÉRALE

Bibliographie Index alphabétique Table des matières

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A. Juridictions

• C.C : Décision du Conseil constitutionnel

• C.E : Arrêt du Conseil d’État français (sous-section) • C.E, Ass. : Arrêt du Conseil d’État (Assemblée du contentieux) • C.E, sect. : Arrêt du Conseil d’État (Section du contentieux) • C.E.L : Arrêt du Conseil d’État libanais

• Cass.crim : Cour de cassation, Chambre criminelle

• CEDH : Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme

• CJCE : Arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes • T.C : Arrêt du Tribunal des conflits

B. Périodiques

• AJDA : Actualité juridique Droit administratif

• AJFP : Actualité juridique Droit de la Fonction publique • Cah. fonct. pub. : Cahiers de la fonction publique

• D. : Recueil Dalloz (Dalloz-Sirey depuis 1965) • DCE : Décisions du Conseil d’État libanais • Dr. adm. : Revue de Droit Administratif • Dr. soc. : Droit social

• EDCE : Études et Documents du Conseil d’État

• GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative • Gaz. Pal. : Gazette du Palais

• GDCC : Grandes décisions du Conseil constitutionnel

• J.O : Journal Officiel

• JCP A : La semaine juridique. JurisClasseur périodique Édition administrations et collectivités territoriales

• JCP G : La semaine juridique. JurisClasseur périodique Édition générale • JCP : La semaine juridique. JurisClasseur

• LPA : Les petites affiches

• Pouvoirs : Revue Pouvoirs

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• rec. cons. : Recueil des arrêts du Conseil constitutionnel

• rec. : Recueil des arrêts du Conseil d’État (français ou libanais) • Rev. adm. : La Revue Administrative

• RFDA : Revue Française de droit administratif • RJA : Revue de la Justice Administrative (en arabe) • RPP : Revue Politique et parlementaire

• RTDH : Revue trimestrielle des droits de l’homme

• S. : Recueil Sirey

C. Éditions

• CNRS : Centre national de la recherche scientifique • F.N.S.P : Fondation national des sciences politiques • I.F.S.A : Institut français des sciences administratives • I.I.A.P : Institut international d’administration publique • La Doc. franç. : La Documentation Française

• LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence • PUAM : Presses universitaires d’Aix-Marseille

• PUF : Presses universitaires de France

D. Autres abréviations

• Ad. : adde, ajoute

• aff. : Affaire • al. : alinéa • art. : article • Cf. : Conférer • Chron. : Chronique • Coll. : Collection • comm. : commentaire

• Concl. : Conclusions (du commissaire du Gouvernement)

• éd. : édition

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• Fasc. : fascicule

• I.R : information rapide (recueil Dalloz)

• Infra : plus bas

• Mél. : Mélanges offertes à…, ou Études dédiées à…

• no : numéro

• obs. : observations

• op. cit. : cité(e) avant

• ord. : Ordonnance • p(p). : page(s) • Pr. : professeur • préc. : précité(e) • req. : requête • s(s). : suivante(s) • Sté : Société • suppl. : supplément

• supra : plus haut

• synd. : syndicat

• T. : Tome

• Th. : Thèse

• V. : Voir

• vol. : volume

L’indication d’une page après une décision du Conseil d’État renvoie au Recueil Lebon, après une décision du Conseil d’État libanais renvoie au Recueil de ses arrêts ; après une décision du Conseil constitutionnel, elle renvoie au Recueil de ses décisions.

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L’enjeu fondamental du droit et de l’histoire est pour toute société la place qu’y tient l’homme. Car le progrès d’un peuple ne se mesure pas seulement aux découvertes de la science ni aux exploits de la technique ; comme toute l’activité politique, il provient de l’homme, il est réalisé par l’homme, il est pour l’homme. « L’homme, être libre et responsable, voilà la fin du pouvoir. Cet idéal d’origine religieuse a pénétré la philosophie rationaliste du siècle des Lumières. Il n’a rien perdu de son actualité »1.

Inséré dans son milieu, avec ses expériences et ses aspirations, l’homme vit en même temps dans la sphère des valeurs matérielles et dans celle des valeurs de l’esprit. À la suite d’une longue tradition, le droit français – ainsi que le droit libanais – saisit l’homme dans son intégralité. Depuis plus de deux siècles, il lui reconnaît des libertés et des droits « naturels, inaliénables et sacrés »2.

Le XXe siècle restera, plus que d’autres sans doute, celui des droits de l’homme. Jamais ils n’auront été autant bafoués. Et jamais ils n’auront davantage été espérés et proclamés. Si la Déclaration de 1789 en a ouvert le chemin, les chartes internationales et les textes internes ont, en quelques décennies, renforcé la protection et la dignité de l’homme. Cependant, la question qui se pose est celle de savoir le rôle qu’a pu jouer, de son côté, la jurisprudence administrative dans ce domaine.

Dix-huit ans après la guerre au Liban, on parle toujours de la nécessité d’une réforme administrative sans le moindre effort à la réaliser. Faute de l’occupant ?! Si ce prétexte peut être valable pour les quinze ans qui ont suivi la fin de la guerre, qu’en est-il ces trois dernières années ?!

D’ailleurs, il nous semble que ce problème de la réforme administrative, d’actualité « renouvelable et non épuisable », trouve sa pierre angulaire dans le droit de la fonction publique.

Dans tous les pays, l’État réalise son action par l’intermédiaire d’un grand nombre de services publics. Étendue dans son sens le plus large, l’expression « fonction publique » désigne l’ensemble des personnels qui sont à la disposition des pouvoirs publics pour assurer la marche de ces services publics3. Il existe une relation étroite entre la fonction publique et le degré de développement de l’appareil étatique. Les systèmes français et libanais de la fonction publique n’échappent pas à ce constat.

Ainsi, le statut juridique de la société résulte d’une lente maturation socio-politique qui traduit l’évolution de la société elle-même. Quel contraste, par exemple, entre les libertés dont bénéficient les fonctionnaires français et l’état de subordination dans lequel se trouvent les fonctionnaires libanais ! L’évolution des idées et de la démocratisation de la société ont incontestablement des incidents sur la fonction publique, donc sur les droits et libertés des fonctionnaires. « Le

1- Debbasch (Ch) ; L’État civilisé, Fayard, Paris, 1979, p. 20.

2- Préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ; texte dans Debbasch (Ch) et

Pontier (J.-M) ; Les constitutions de la France, Dalloz, 1983, p. 8.

3- Cf. EL Khoury (Y-S) ; Recueil du droit administratif, T. VI, la Fonction publique, livre II, 1ère

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fonctionnaire français suscite depuis longtemps l’envie et le mépris »4. Sa représentation dans la

littérature en apporte témoignage, oscillant entre critique, ironie, humour et éloge, admiration, respect5.

Bien que l’objet du droit de la fonction publique soit de déterminer les règles et principes qui régissent l’ensemble des personnels de l’administration. Son régime tient à la fois d’une multitude de textes, souvent modifiés et d’une jurisprudence accumulée depuis plus d’un siècle.

Dès lors, notre étude comparative se limite aux droits et libertés du fonctionnaire dans les jurisprudences du Conseil d’État libanais et du Conseil d’État français.

Mais, au préalable, il faut s’entendre sur la terminologie employée.

1. Définition du fonctionnaire

Le droit de la fonction publique et les auteurs6 distinguent nettement deux grandes catégories

d’agents publics, les fonctionnaires ou agents publics titulaires et les agents publics non titulaires. Cette dernière catégorie sera écartée de notre champ d’étude. Ainsi, durant toute cette étude les mots « fonctionnaires » ou « agents publics » désignent les agents titulaires compris au sens de la définition retenue par le droit public. Selon cette définition le fonctionnaire est la personne qui a été d’une part, nommée dans un emploi permanent, et d’autre part, titularisée dans un grade de la hiérarchie administrative7. Elle pose ces trois éléments cumulatifs permettant de caractériser un

fonctionnaire.

Ces trois éléments épuisent-ils la définition du fonctionnaire ? On peut tout à fait le soutenir. Il nous semble cependant que l’on omettrait un point tout à fait essentiel, qui est étroitement lié à deux au moins de ces éléments de définition – la nomination et la titularisation –, en n’évoquant pas ici le fait que « le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration, dans une situation statutaire et réglementaire »8.

Par suite, une analyse de la définition du fonctionnaire doit à la fois inclure celle de ses trois éléments cumulatifs de définitions puis l’évocation de la nature juridique du lien unissant le fonctionnaire à son administration.

a. Les éléments de définition du fonctionnaire

Le fait que le fonctionnaire doit être nommé pour acquérir cette qualité exclut évidemment que l’on puisse parler, sauf par facilité de langage, de fonctionnaires contractuels. Cela signifie-t-il pour autant que l’acte de nomination doit être comme un simple acte administratif unilatéral, reposant

4- Pisier (E) et Bouretz (P) ; Le paradoxe du fonctionnaire, Calmann-Lévy, 1988, p. 11. 5- Gerbod (P), « Le fonctionnaire dans la littérature du XIXe

au XXe siècle », Rev. adm. 1999, pp. 345-357.

6- Staïnof (P) ; Le fonctionnaire, T. III, Biblioth. de l’Institut international de droit public, Delagrave, 1993, p. 25. 7- Cette définition est retenue par les législateurs français et libanais, à l’article 2 de la loi du 11 janvier 1984 en

France ; et à l’article 1er du décret-loi no 112 du 12 juin 1959 au Liban.

8- Article 4 de la loi du 13 juillet 1983. Dans le même sens l’article 2 du décret-loi no

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ainsi sur la seule volonté de l’autorité de nomination ? C’est que l’on pourrait déduire d’une lecture rapide de nombre d’auteurs contemporains qui n’approfondissent guère cette question. Une telle analyse a d’ailleurs été vertement critiquée par Charles EISENMANN : « On peut être stupéfait, le mot n’est pas trop fort, que nombre de juristes de premier plan aient adopté et défendu (cette position) […] ; ils n’ont donc pas vu ce qu’elle signifierait nécessairement, à savoir que les personnes publiques peuvent incorporer d’autorité dans les cadres administratifs ceux-là même qui n’y voudraient pas entrer »9.

Conscients de l’impasse à laquelle conduisait une analyse exclusivement centrée sur l’acte de nomination, les auteurs classiques ont proposé différentes explications. Ainsi HAURIOU écrit-il que le fonctionnaire est rattaché à l’administration « par une réquisition consentie lui conférant un statut légal, réglementaire et moral »10. Cette analyse ne convainc cependant pas, ne serait-ce que parce que l’expression « réquisition consentie » est une contradiction terme à terme. Léon DUGUIT a quant à lui développé trois analyses successives11. Il a d’abord affirmé que la nomination est un

acte unilatéral. Il a ensuite considéré qu’il s’agit d’une union, d’une convention qui n’est pas un contrat et qui est « la condition de la naissance d’une règle ou d’une situation légale ». Il y a enfin vu un acte collectif, autrement dit « une somme de déclarations unilatérales de volontés concordantes ». Cette terminologie aujourd’hui peu usuelle renvoie à sa théorie de l’acte juridique.

Gaston JÈZE s’est démarqué de cette analyse, écrivant qu’il y a dans la nomination un « acte unilatéral, provoqué ou accepté » et que cette investiture « est l’œuvre de la seule volonté de l’autorité qui nomme […]. C’est en cela que l’acte unilatéral […] l’acceptation du fonctionnaire – presque toujours sous-entendue – n’a d’autre signification que le non refus de l’investiture. Elle joue un rôle secondaire. On ne la mentionne pas dans l’acte. La nomination […] produit son effet, en dehors de l’acceptation du fonctionnaire. Bien plus, le refus de la désignation n’a pas pour effet de faire disparaître la nomination […]. L’acte subsiste »12.

À ces analyses nous préférons une quatrième qui nous semble à la fois plus rigoureuse et la mieux rendre compte de la réalité des faits. Celle-ci précise la nature de l’acte de nomination du point de vue matériel puis de point de vue formel. Du point de vue matériel, il s’agit d’un acte-condition, acte attribuant à un individu déterminé une situation juridique générale et impersonnelle prédéfinie, autrement dit une situation légale et réglementaire. D’un point de vue formel, l’acte de nomination est un acte unilatéral soumis à une condition résolutoire. Ainsi l’acte de nomination

9- Eisenmann (Ch.), préface à David Ruzié ; Les agents des personnes publiques et les salariés en droit français, Étude

comparative de leur condition juridique, LGDJ, 1960, p. III.

10- Hauriou (M. et A) ; Précis de droit administratif et de droit public, 12è

éd., Sirey, 1933, p. 728.

11- Duguit (L) ; Traité de droit constitutionnel, T. III, 2è

éd., de Boccard, 1923, p. 221.

12- Jèze (G) ; Les principes généraux du droit administratif, T. II, 3è

éd., Giard, 1930, réimpression Dalloz, 2003, p.425.

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entre en vigueur et crée des droits13 au profit de son destinataire dès sa signature14. Par suite, son

retrait est impossible15 avant même qu’il ait été notifié – ou publié – et le fonctionnaire peut, dès sa

nomination, occuper son nouvel emploi16. Pour autant, cette nomination ne vaut que si son

destinataire l’accepte. S’il la refuse17, l’administration est tenue de retirer l’acte de nomination qui

sera ainsi réputé n’être jamais intervenu18.

Quant au deuxième élément de la définition : « l’occupation d’emploi », cette notion d’emploi permanent, que l’on retrouve dans les différents statuts, et qui est issue de la jurisprudence antérieure19, mérite au moins deux séries d’observations complémentaires.

La première a trait au fait que l’expression emploi permanent signifie non seulement que l’emploi doit être permanent mais aussi qu’il doit être occupé à titre permanent. Autrement dit, les agents occupant un emploi non permanent et ceux occupant un emploi permanent de manière non permanente20 ne remplissent pas cette condition nécessaire pour être qualifié de fonctionnaire.

La deuxième porte sur les rapports entre permanence et temps complet. Les statuts sont diversement rédigés sur ce point. Ainsi, pour la fonction publique de l’État, le législateur affirme que les fonctionnaires occupent un emploi permanent à temps complet21. Pour la fonction publique

territoriale, le législateur se contente, comme son homologue libanais, d’user de l’expression « emploi permanent »22 et pour la fonction publique hospitalière il précise que les fonctionnaires en

relevant sont nommés dans un « emploi permanent à temps complet ou à temps non complet dont la quotité de travail est au moins égale au mi-temps »23. Nonobstant ces différences de rédaction, la

permanence de l’occupation de l’emploi n’exclut pas la possibilité pour un fonctionnaire de travailler à temps partiel dans chacune des trois fonctions publiques. La rédaction de l’article de la loi du 11 janvier 1984 signifie simplement qu’alors que les emplois permanents à temps complet sont dans la fonction publique de l’État en principe occupés par des fonctionnaires, ceux à temps partiel devraient l’être par des agents contractuels.

13- Sauf s’il est obtenu par fraude : C.E, 29 novembre 2002, Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, RFDA 2003,

p. 235, concl. Gilles Bachelier et p. 240, note Pierre Delvolvé.

14- C.E, sect., 19 décembre 1952, Mattéi, rec. 594. 15- Sauf à ce qu’il ait été illégal.

16- C.E, sect., 10 janvier 1958, Delville, rec. 27.

17- Pour un refus incertain voir C.E, sect., 5 juillet 1957, Anglade, rec. 452.

18- Ces solutions de principes connaissent des exceptions lorsqu’un texte pose que la nomination deviendra définitive à

compter de sa publication ou lorsqu’un texte ou une pratique subordonnent l’investiture de compétence de l’agent à son « installation » dans son emploi. Cf. C.E, Ass., 27 avril 1973, Serre, rec. 302.

19- C.E, 9 mars 1923, Hardouin de la Forge, rec. 239. 20- Par exemple l’intérimaire ou le vacataire. 21- Cf. art. 2 de la loi du 11 janvier 1984.

22- Art. 2 de la loi du 26 janvier 1984 en France et l’art. 1er

du décret-loi no 112/59 au Liban.

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Quant au troisième élément, celui de la titularisation dans un grade de la hiérarchie administrative. La notion de grade, est un des éléments essentiels du système de la carrière. Le grade est en effet distinct de l’emploi. Il s’agit du « titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l’un des emplois qui lui correspondent »24. Ainsi, ce qui différencie le fonctionnaire de

l’agent public non-fonctionnaire n’est pas son appartenance à la hiérarchie administrative, les agents non titulaires en faisant également partie. La différence tient au fait qu’il appartient à un corps de fonctionnaires, le corps étant un ensemble comprenant un ou plusieurs grades et groupant les fonctionnaires soumis au même statut particulier ayant vocation aux mêmes grades, autrement dit à occuper les mêmes types d’emplois, à faire des carrières proches.

Dès lors, en cas de suppression de son emploi, l’agent non titulaire doit en principe trouver un autre employeur tandis que le fonctionnaire a lui vocation, dans des conditions variables suivant la fonction publique à laquelle il appartient, à être affecté dans un nouvel emploi.

b. La nature juridique de la situation du fonctionnaire

Cette nature juridique a longtemps été incertaine ou à tout le moins très discutée25. Ainsi, sous la

IIIe République, s’opposaient les auteurs affirmant la nature contractuelle de cette situation et ceux estimant au contraire que cette situation était de nature légale et réglementaire. Ces deux courants doctrinaux, qui se déclinaient sous différentes variantes, ont mené un débat souvent passionné entretenu par la jurisprudence du Conseil d’État, qui a développé la théorie dite du contrat de fonction publique, différent du contrat civil, afin de justifier l’interdiction du droit de grève. Cette théorie, vivement critiquée par les tenants de l’analyse légale et réglementaire26, visait à fonder

l’interdiction du droit de grève et l’inapplication de l’article 65 de la loi du 22 avril 190527 en cas de

grève. Puis le Conseil d’État, sans pour autant modifier sa jurisprudence en matière de grève, a rejoint la doctrine dominante28 et reconnu implicitement la situation légale et réglementaire des fonctionnaires dans son arrêt Minaire de 193729.

Le statut de Vichy va consacrer cette conception en des termes solennels, posant dans son article 4 que « le fonctionnaire est soumis dès son entrée dans les cadres, aux dispositions législatives et réglementaires régissant la fonction publique. Les modifications ultérieures lui sont applicables dès leur publication, sans que l’intéressé puisse se prévaloir de prétendus droits acquis résultant des textes antérieurement en vigueur ». Cet article peut constituer une traduction de l’article 2 du

24- Art. 12 de la loi du 13 juillet 1983.

25- Staïnof (P) ; Le fonctionnaire, préc., pp. 51-87

26- Pour une défense de la théorie du contrat de fonction publique voir Bichoffe (G) ; Qu’es-ce qu’un fonctionnaire ?

Fonction publique et contrat, Thèse Nancy, Sirey, 1927.

27- Cet article prévoit le droit à communication du dossier.

28- Duiguit (L) ; Traité de droit constitutionnel, préc., p. 103, et Hauriou (M. et A) ; Précis de droit administratif et de

droit public, préc., p. 736 et Jèze (G) ; Les principes généraux du droit administratif, préc., p. 244.

29- C.E, 22 octobre 1937, Demoiselle Minaire et autres, rec. 843, concl. Lagrange ; RDP 1938, p. 121, concl. Lagrange,

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décret-loi no 112/59 libanais. L’article 4 de la loi du 13 juillet 1983 précise que « le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration, dans une situation statutaire et réglementaire ».

Cette situation légale et réglementaire constitue, du point de vue matériel, le corollaire logique du fait que le fonctionnaire est, d’un point de vue formel, nommé par l’administration. Elle est aussi la conséquence, comme l’exposait très clairement Yves FAGON devant l’Assemblée Nationale

constituante dans son rapport sur ce qui allait devenir la loi du 19 octobre 1946, du fait que « la fonction publique n’est pas un métier, une profession comme les autres. Des intérêts publics, supérieurs aux intérêts privés, sont ici en cause […]. Le lien qui unit l’administration et le fonctionnaire ne saurait donc être considéré comme un contrat librement et entièrement débattu entre les parties et dont chaque clause peut être discutée et éventuellement adaptée aux situations personnelles »30.

Cependant, nous pouvons identifier trois conséquences de cette situation. Elles peuvent être formulables sur un mode négatif. Tout d’abord, les fonctionnaires ne peuvent invoquer aucun droit acquis au maintien de leur statut, lequel peut être modifié à tout moment par le législateur et le pouvoir réglementaire. Existe ainsi un principe de mutabilité de la situation des fonctionnaires, qui n’est rien d’autre qu’une application d’une des trois lois de Rolland31, la loi de changement. Le

principe d’adaptation constante ouvre en effet à l’administration toute une série de prérogatives32,

en particuliers vis-à-vis de ses agents et notamment des fonctionnaires. Cette mutabilité peut évidement jouer en faveur des agents mais aussi en leur défaveur. En tout état de cause, le débat politique et syndical sur la défense des « droits acquis » de telle ou telle catégorie de fonctionnaires n’a en principe rien de juridique.

Ensuite, ce caractère légal et réglementaire de la situation du fonctionnaire exclut que le fonctionnaire puisse être uni à son employeur par un contrat qui viendrait modifier les droits et obligations de l’un ou de l’autre.

Comme l’écrit Gaston JÈZE « le procédé du contrat n’intervient à aucun moment. Ce n’est pas un contrat qui fait entrer les agents du service public. Ce n’est pas un contrat qui règle les droits et obligations des individus au service public. Ce n’est pas un contrat qui fixe la durée des fonctions et les conditions de la sortie du service public. La sanction des droits et obligations des agents au service n’est pas celle des droits et obligations résultant d’un contrat »33.

30- Cf. Fagon (Y), rapport dans Rev. adm., numéro spécial 1995, p. 86.

31- Sur la base d’une analyse de la jurisprudence administrative et afin de démontrer que l’émergence des SPIC ne

ruinait pas définitivement l’unité de la notion de service public, Louis Rolland a dégagé, dans les années 1930, les trois lois suivants : loi du changement (dite aussi de l’adaptation constante ou encore de mutabilité) ; loi de la continuité et loi de l’égalité.

32- Cf. Lachaume (J.-F) et autres ; Droits des services publics, 3è

éd., Armand Colin, 2004, pp. 382-385.

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Plus largement, tout engagement34, même s’il ne se matérialise pas par un contrat, est nul. Une

telle situation pourrait en partie évoluer dans les années à venir si les pouvoirs publics suivent les suggestions faites par le Conseil d’État dans ses Perspectives pour la fonction publique parues en 2003. En effet, afin d’assouplir un cadre jugé trop rigide, de permettre une meilleure gestion des ressources humaines et de donner une plus grande importance à la notion d’emploi, le Conseil d’État propose de développer le « contrat d’affectation sur emploi »35. Ce contrat viendrait

s’ajouter au cadre statutaire et non s’y substituer.

Enfin, troisième conséquence du caractère légal et réglementaire de la situation du fonctionnaire, les accords collectifs passés entre l’administration et les représentants des agents, sont dépourvus de toute valeur juridique. Cette question mérite ici simplement deux remarques complémentaires. La première est que l’on assiste en la matière à une large discordance entre le droit et le fait. En droit, ces accords n’ont aucune valeur. Mais en fait on voit mal, pour des raisons politiques évidentes, un groupement signer un accord pour ensuite ne pas le mettre en œuvre via des dispositions réglementaires ou le dépôt d’un projet de loi. La seconde est qu’un débat est lancé sur le fait de savoir s’il ne faudrait pas reconnaître, au moins indirectement, une valeur juridique à ces accords par exemple en instaurant une procédure d’homologation des accords collectifs36.

Ainsi donc, la grande majorité du personnel des services publics industriels et commerciaux est donc exclue de la qualification de fonctionnaire puisqu’elle relève du droit privé37. De même, ne

sont pas fonctionnaires les agents des services publics gérés par des personnes privées, comme, par exemple, les employés du concessionnaire de service public. En outre, la notion de permanence de l’emploi et de son occupation entraîne l’exclusion des personnes suivantes de la catégorie des fonctionnaires : les collaborateurs extérieurs de l’administration, les agents intérimaires38 et les

agents temporaires.

Malgré que les stagiaires sont considérés comme de futurs fonctionnaires car ils ont vocation à être titularisés à l’expiration du stage, ils seront exclus de notre étude. Ainsi que les employés, ouvriers de l’administration, auxiliaires et les vacataires. Par contre, bien que les candidats à la fonction publique ne sont pas des fonctionnaires au sens adopté ci-dessus, une exception est faite, lorsqu’on étudiera la liberté de conscience des fonctionnaires. Ils feront partie de notre étude.

34- C.E, 11 janvier 1961, Barbaro et de la Marnière, rec. 25 et C.E, 6 février 1963, ministre de la France d’outre-mer c/

Bardou, rec. 856 et C.E, sect., 18 mars 1994, Verpeaux, rec. 141 et C.E, 28 décembre 2001, Van de Walle, Dr. adm. 2002, no 68, note D.P.

35- Conseil d’État ; Perspectives pour la fonction publique, in Rapport public 2003, EDCE, La Documentation

Française, 2003, p. 242.

36- V. Melleray (F) ; Droit de la fonction publique, Corpus, Economica, 2005, p. 198. 37- C.E, 16 janvier 1965, L’Herbier, rec. 60

(24)

2. Les droits et libertés concernés

Afin de mieux saisir le choix des droits et libertés qui rentrent dans le champ de notre étude, il nous semble important de dresser un petit aperçu historique concernant la conception de la fonction publique39.

Qu’on la qualifie de conception classique, traditionnelle, autoritaire, bonapartiste ou encore napoléonienne, cette conception repose sur une logique qui n’est pas sans rappeler celle de l’armée. A ainsi pu être employée au sujet de la fonction publique, de manière imaginaire, l’expression de « caserne administrative »40. Le fonctionnaire, au service de la puissance publique, lui est

strictement subordonné. On précisera, pour ne pas plus y revenir, que si ce modèle offre une description largement fidèle des règles applicables, il ne reflète qu’imparfaitement la réalité des pratiques administratives et politiques.

Au-delà des changements souvent brutaux de régime politique et des inévitables évolutions du droit positif en découlant, il est possible d’affirmer qu’a prospéré durant près d’un siècle et demi un modèle autoritaire de fonction publique, le régime juridique de la fonction publique civile empruntant largement à la logique de celui de l’armée. Le recrutement des fonctionnaires constitue ainsi selon HAURIOU une « réquisition », certes « consentie »41, et les agents de l’État sont

transformés en « agents du gouvernement »42.

Ce modèle repose avant tout sur une situation de forte subordination hiérarchique dont les auteurs classiques apportent à l’envi témoignage, spécialement à propos de l’interdiction du droit de grève dans la fonction publique. Cette situation persiste toujours au Liban où les droits sociaux sont interdits aux fonctionnaires. Léon DUGUIT, pourtant peu suspect d’autoritarisme, considérait ainsi

que la grève des fonctionnaires « est une violation parfaitement caractérisée de la loi du service, par conséquent un fait illicite, et constitue une faute disciplinaire grave. C’est même la plus grave des fautes disciplinaires. C’est même un crime »43. Quant à Maurice HAURIOU, il estimait que « le

droit de grève, c’est le droit de guerre privée qui reparaît. Et ce n’est pas une guerre privée accidentelle, c’est une guerre privée systématique, menée par une classe qui aspire à la souveraineté ». Et HAURIOU d’ajouter, « dès lors, si la coalition et la grève des fonctionnaires sont des faits révolutionnaires, des faits du guerre, on ne s’étonnera pas que le gouvernement (sic) leur ait appliqué le droit de la guerre et ait usé vis-à-vis d’eux de représailles »44.

39- Cf. Chavanon (Ch) ; Les fonctionnaires et la fonction publique, Cours IEP Paris, 1950-1951, Les Cours de droit, p.

29 et Jèze (G) ; Les principes généraux du droit administratif, T.II, préc., p. 205 et s.

40- Burdeau (F) ; Histoire de l’administration française du XVIIIe

au XXe siècle, 2è éd., Montchrestien, 1994, p. 323.

41- Hauriou (M. et A) ; Précis de droit administratif et de droit public, préc., p. 728. 42- Machelon (J.-P) ; La République contre les libertés ?, Presse de la FNSP, 1976, p. 329. 43- Duiguit (L) ; Traité de droit constitutionnel, préc., p. 221.

(25)

La manière dont HAURIOU traite de la fonction publique dans la 1er édition de son Précis de droit

administratif est également très instructive. Il place ces développements dans un titre intitulé « Les droits de puissance publique », dans un chapitre « les droits de police », souligne que « le fonctionnaire peut être révoqué ou déplacé d’une façon intempestive pour lui, sans avoir droit à aucune indemnité » et assimile la fonction publique à une dépendance du domaine publique, ajoutant que « du côté de la personne administrative, ce qui prédominera toujours, ce sont les droits de police »45.

M. Paul-Marie GAUDEMET s’inscrit dans une logique proche lorsqu’il décrit rétrospectivement,

pour regretter son abandon, le modèle classique : « création napoléonienne, notre Administration (sic) reçut une organisation toute militaire. […] Les fonctionnaires étaient semblables à des soldats. Comme les militaires ont leur grade dans l’armée, ils avaient leur rang dans la hiérarchie administrative. Ainsi que le corps des fonctionnaires formait une véritable armée. L’autorité était son principe, l’obéissance sa loi, la discipline sa force […]. Jouissant d’un large pouvoir discrétionnaire pour la nomination et l’avancement de ses agents, le ministre était assuré de leur loyalisme. Le pouvoir disciplinaire garantissait leur obéissance. Isolés, les fonctionnaires étaient forcés de se plier aux décisions de leurs supérieurs. Les groupements qui leur auraient permis de résister étaient interdits. Le code pénal réprimait les coalitions des fonctionnaires, les démissions collectives et le concert de mesures contraire aux lois, à leur exécution et aux ordres du Gouvernement. Dans l’administration du personnel le principe autoritaire était solidement établi »46.

Ce modèle autoritaire convenait en fait alors aussi bien à la plupart des libéraux qu’aux solidaristes et autres radicaux, et ce compte tenu de la conjoncture politique. En effet, ils se trouvaient unis contre un même adversaire, que l’on nommerait aujourd’hui communisme. La « peur du rouge », pour appeler ce sentiment par un nom, conduisait ainsi à nier toute analogie ou presque entre la situation du salarié du secteur privé et celle du fonctionnaire. C’est au contraire certains syndicats qui affirmaient la similitude de ces situations et exigeaient qu’il soit mis fin aux différences de traitement entre les salariés et fonctionnaires par une application à ces derniers du droit du travail.

Comme le relève M. Jean-Luc BODIGUEL « pour ces syndicalistes intégraux […] le moyen le plus sûr pour défendre les fonctionnaires est de les considérer comme des citoyens ordinaires liés par un contrat de travail à un employeur comme les autres. Au lieu de jouer la carte de la spécificité, c’est le droit commun du travail qui offre les meilleures garanties : tout renvoi intempestif sera sanctionné par le Code civil, les tribunaux ordinaires règleront les conflits et, surtout, comme tous les travailleurs, les fonctionnaires pourront s’organiser en syndicats et user du droit de grève. À l’inverse, et selon une logique qui peut sembler paradoxale aujourd’hui, l’idée de

45- Hauriou (M) ; Précis de droit administratif contenant le droit public et le droit administratif, Larose et Forcel, 1892,

p. 408.

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statut leur paraît renforcer les prérogatives étatiques dans la mesure où l’unilatéralité de l’acte laisse les agents de l’État en position de dépendance »47.

Afin de maintenir l’autorité de l’État, il s’avérait ainsi nécessaire de préserver ce lien hiérarchique fort. Qui aurait d’ailleurs pu s’opposer à cette volonté de la majeure partie de la classe politique ? Les socialistes n’en ont guère eu les moyens et les authentiques libéraux, niant la spécificité de l’État et estimant donc qu’il convient de rapprocher la situation des fonctionnaires de celle des salariés voire de les confondre, étaient tout sauf nombreux dans la mesure où l’on sait que le libéralisme français – c’est un de ses traits caractéristiques – est un libéralisme à tendance étatique qui doit bien en plus à GUIZOT qu’à TOCQUEVILLE et où l’individu est « effacé »48.

a. Le fonctionnaire n’est pas un citoyen comme les autres49

Maxime LEROY soulignait en 1907 que le fonctionnaire « est un citoyen diminué, un citoyen de second classe »50. Pour sa part, Léon DUGUIT estimait qu’il est soumis à un « statut négatif »,

ensemble de « restrictions à la situation normale du citoyen ». Ces restrictions sont d’une ampleur variable suivant qu’elles ont trait aux droits civils, aux droits politiques et aux droits civiques.

Pour ce qui est des droits civils et politiques, il les conserve dans leur « plénitude », leur « intégrité » à quelques exceptions près.

On relèvera tout de même qu’il était dans le ton de l’époque d’affirmer avec ce qui se voulait être de l’esprit : « les fonctionnaires qui aliènent leur liberté pour un traitement ne devraient pas voter, mais assister impassibles aux manifestations de la vie nationale comme des eunuques en présence de leur sultan »51. Comme le souligne François BURDEAU, « l’ampleur des atteintes aux libertés des fonctionnaires, habituelles au siècle dernier, nous semble d’un autre âge. La liberté privée était elle-même en cause. Il n’était pas rare alors, en effet, que la hiérarchie exerce un contrôle sur les choix matrimoniaux de ses employés. En 1880, un arrêté du ministre du Commerce dispose qu’une receveuse des PTT devait avertir ses supérieurs de son mariage, l’Administration (sic) se réservant le droit d’en apprécier la convenance. Dans certains départements imprégnés de l’esprit militaire – car la règle vaut traditionnellement pour les officiers – les Contributions indirectes, les Colonies, ces pratiques se sont poursuivies jusqu’en 1914 »52.

Leurs droits civiques sont par contre plus entamés. Certes, il est de principe qu’aucune restriction n’est apportée et ne doit être apportée à la liberté individuelle des fonctionnaires. Ils jouissent,

47- Bodiguel (J.-L) ; « Fonction publique et intérêt général », in Jean-Luc Bodiguel, Christian-Albert Garbar et Alain

Supiot, dir.; Servir l’intérêt général, PUF, 2000, p. 45.

48- Cf. Jeaume (L) ; L’individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français, Fayard, 1997. 49- Duguit (L) ; Traité de droit constitutionnel, T. III, préc., p. 210.

50- Leroy (M) ; Les transformations de la puissance publique. Les syndicats de fonctionnaires, Giard et Brière, 1907, p.

148.

51- Formule citée par François Burdeau ; Histoire de l’administration française du XVIIIe

au XXe siècle, préc., p. 321.

(27)

comme tous les citoyens, de toutes les garanties établies par les lois en faveur de la liberté individuelle. Pour autant, leur liberté d’expression est strictement encadrée, le respect de ce que l’on appellerait aujourd’hui le principe de neutralité des services publics se doublant d’une exigence de loyalisme strictement entendue à l’égard du pouvoir politique.

François BURDEAU souligne ainsi que « l’ampleur de la politisation de la fonction publique au

temps de la République radicale a nourri la révolte. Nul ne se sent à l’abri d’instructions politiques à même de briser une carrière. Et chez les fonctionnaires moyens, de plus en plus diplômés, le sentiment d’une injuste disqualification les mobilise contre un système, où les pratiques du ‘cabinettisme’ et du favoritisme attendent à leurs droits de s’élever dans la hiérarchie »53.

b. Le fonctionnaire n’est pas un travailleur comme les autres

Deux traits essentiels distinguent jusqu’en 1946 le fonctionnaire du salarié : l’absence de liberté syndicale et l’interdiction de faire grève.

Sur le premier point, le fait s’est progressivement écarté du droit. En effet, prenant appui sur la loi du 1er juillet 1901 reconnaissant la liberté d’association, des associations de fonctionnaires se sont développées. Supprimant l’exigence d’une autorisation administrative, cette loi a permis aux associations de fonctionnaires de prospérer, le juge reconnaissant leur aptitude à défendre devant lui les intérêts collectifs de leurs membres. Par contre, le législateur de la IIIe République s’est toujours refusé à admettre la possibilité pour les fonctionnaires de se syndiquer, suivi en cela par le juge malgré les invitations d’une partie de la doctrine.

L’arrêt BOISSON de 192254 synthétise de manière très explicite l’argumentaire juridique opposé

aux syndicats de fonctionnaires. Il mêle des arguments textuels, l’invocation de l’intention du législateur et l’affirmation de la spécificité de la fonction publique. HAURIOU ne pouvait que se

féliciter de cette prise de position car il était selon lui « inadmissible […] que le principe de la lutte des classes soit posé à l’intérieur de la hiérarchie administrative »55.

Prenant acte du développement de ces syndicats, les Gouvernements successifs, tout en persistant à ne pas légiférer sur ce point, ont opté à partir du milieu des années 1920 pour le dialogue avec les organisations dont le juge administratif a persisté à affirmer l’illicéité.

Cette méfiance vis-à-vis du syndicalisme s’explique par deux facteurs principaux : la crainte de ce dernier, construit alors sur une logique politique souvent très radicale de « lutte des classes », et le refus du droit de grève.

HAURIOU considère ainsi que « le syndicat déborde les intérêts de carrière du fonctionnaire et implique une emprise sur la fonction publique elle-même qui cesserait d’être pour devenir chose syndicale. […] le syndicat entraîne l’affiliation à la CGT et tendrait à subordonner l’administration

53- Burdeau (F) ; Histoire du droit administratif, PUF, 1995, p. 216. 54- C.E, 13 janvier 1922, Boisson, S. 1922. 3. 1, note Maurice Hauriou. 55- Hauriou note sous C.E, 13 janvier 1922, Boisson, préc.

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publique aux intérêts de la classe ouvrière. Enfin, parce qu’il est une organisation de lutte de classes incompatibles avec l’institution administrative qui exclut l’antagonisme des employeurs et des employés »56.

La jurisprudence du Conseil d’État fourmille de prises de positions radicalement hostiles au droit de grève. Une grand grève dans les services publics, celle des postes printemps 1909, a ainsi abouti à un arrêt qui a longtemps eu les honneurs des grands arrêts de la jurisprudence administrative : l’arrêt WINKELL57. Le Conseil d’État confirme l’illicéité de la grève.

Une autre grande grève dans les services publics, celle des chemins de fer de l’automne 1910, donnera également lieu à une jurisprudence sévère, le Conseil d’État affirmant la légalité d’une convocation de grévistes pour une période militaire58, moyen assurément radical de briser la grève

et de mettre les grévistes dans le « droit chemin ».

Le Conseil d’État, s’il a fini par abandonner la théorie du contrat de fonction publique59 de

laquelle il semblait déduire l’interdiction du droit de grève, a par contre réaffirmé cette prohibition jusqu’à la fin des années 193060. Comme le résume Henry PUGET en 1936 : « à moins de se résoudre au suicide, l’État ne peut pas admettre le droit de grève des fonctionnaires »61.

Cette situation bien qu’elle ait changé en France avec l’établissement du statut de la fonction publique en 1946, elle demeure la même pour le fonctionnaire libanais. Ce dernier se trouve toujours dans une situation de subordination dans laquelle il n’a pas droit à la liberté syndicale ni au droit de grève. L’article 15 du décret-loi no 112/59, clair et sévère, dispose dans ses alinéas 2 et 3, respectivement, qu’il est interdit au fonctionnaire « d’adhérer aux organisations ou syndicats professionnels » et « de se mettre en grève ou de provoquer autrui à la grève ».

Faire des hommes libres c’est l’ambition des grandes civilisations, libérer les hommes qui ne le sont pas c’est la tâche que se donnent tous ceux qui croient au progrès. Mais la liberté absolue n’existe pas, elle est impensable : la liberté du fonctionnaire a pour limite celle de l’État. Mais il appartient à l’État d’en favoriser la réalisation individuelle en garantissant l’exercice de toute une série de « libertés publiques » particulières dont la pratique et la réunion sont communément considérées comme la condition de la Liberté au singulier.

Les citoyens d’un État moderne libéral ont la liberté de penser à leur gré. Ils ont la liberté de s’associer afin de protéger leurs intérêts professionnels. Ils ont le droit d’être protéger dans la

56- Hauriou (M. et A) ; Précis de droit administratif, 12è

éd., préc., p. 746.

57- C.E, 7 août 1909, rec. 826 et 1296, concl. Jacques Tardieu ; RDP 1909, p. 494, note Gaston Jèze ; S. 1909. 3. 145,

note Maurice Hauriou. Voir plus loin 2ème partie, titre I, chapitre II, Section I.

58- C.E, 18 juillet 1913, syndicat national des chemins de fer de France et des colonies, rec. 882 ; RDP 1913, p. 506,

concl. Jacques Helbronner et note Gaston Jèze.

59- V. sur celle-ci Plessix (B) ; L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, éd. Panthéon-Assas,

2003, p. 630 et s.

60- C.E, 22 octobre 1937, Minaire et autres, rec. 843, concl. Maurice Lagrange.

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dignité humaine, de choisir leur résidence, de se marier, d’avoir des enfants, de se déplacer à leur gré, de travailler, de se reposer, etc.… Il n’est pas question bien entendu d’examiner chacune de ces libertés.

Le choix de ces libertés et droits se justifie, d’une part, par leur importance pour une étude comparative. D’autre part, du fait qu’ils ont été traités d’une manière assez répétée par la jurisprudence et du fait du rôle qu’il en a eu le juge administratif pour les renforcer et les consacrer.

Ainsi ils seront exclus du champ de notre étude les droits « purement » statutaires, tels les droits dans le déroulement de la carrière : les droits dans les diverses positions, l’avancement, la promotion et la notation ; le droit à la participation aux comités, les droits résultant du contentieux des évictions et les libertés individuelles.

3. Les contrôles exercés par les Conseils d’État

Il est de prime abord nécessaire de signaler que le choix de l’étude des jurisprudences des Conseils d’État, et non pas des autres juridictions administratives, se justifie par le rôle primordial que joue le Conseil d’État dans l’établissement de la jurisprudence administrative. D’autre part, ce choix se justifie par le fait que, jusqu’à présent, la seule juridiction administrative qui existe au Liban c’est le Conseil d’État.

a. Conseil d’État protecteur des droits et libertés

D’ailleurs, même s’il est resté sévère en matière de droit de grève, et même s’il s’est montré réticent au sujet de l’édiction d’un statut législatif durant toute la IIIe République, « craignant probablement que le Parlement plus sensible à des pressions corporatives ou syndicales fasse prévaloir un statut trop libéral – notamment à propos de la reconnaissance du droit syndical »62, le

Conseil d’État s’est progressivement affirmé comme le protecteur des fonctionnaires. Marie-Christine KESSLER a ainsi pu synthétiser son évolution en affirmant que « la position du Conseil d’État s’est axée autour d’une double sauvegarde, celle des prérogatives de la puissance publique primordiale au XIXe siècle, celle de la défense des droits des fonctionnaires, progressivement prise en considération à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle »63.

Le Conseil d’État s’est effectivement montré dans un premier temps très respectueux des prérogatives de la puissance publique, refusant d’examiner les recours formés contre les actes relatifs au recrutement dans la fonction publique et allant même jusqu’à sanctionner d’une amende les avocats se risquant à formuler une telle demande64. Si sa position s’est ensuite assouplie, elle est

tout de même restée très ferme comme en témoignent les appréciations déduites de la jurisprudence par Edouard LAFERRIÈRE et Maurice HAURIOU à la fin du XIXe siècle.

62- Gentot (M), « La jurisprudence et les conceptions du Conseil d’État », Rev. adm., numéro spécial 1995, p. 16. 63- Kessler (M.-Ch), « Conseil d’État et fonction publique de l’époque napoléonienne à la Libération », EDCE 1980, p.

147.

(30)

Le vice-président du Conseil d’État précise ainsi que « les erreurs ou les fautes commises par le supérieur hiérarchique à l’égard de l’inférieur ne donnent lieu à aucune indemnité contre l’État : et cela non seulement quand le supérieur abuse de ses pouvoirs discrétionnaires de discipline ou de révocation, mais encore lorsqu’il porte illégalement atteinte à un droit acquis »65. Quant au

professeur toulousain, il relève en 1893 que « sans doute, il importe à la liberté de l’Administration (sic) que les fonctionnaires soient dans sa main et puissent être révoqués ad nutum, mais il importe peut-être aussi à son bon fonctionnement que ces mêmes fonctionnaires soient assurés de certains égards »66. En 1899, il ajoute que « vis-à-vis des fonctionnaires qui n’ont pas d’état, c’est-à-dire

pas de garanties contre la révocation ou le déplacement, toutes les mesures sont valables de quelque appellation qu’on les dénomme » et « là où les règlements sont muets on retombe dans le principe qui est l’arbitraire. Jusqu’à ce que nous ayons une loi sur l’état des fonctionnaires, nous ne pouvons pas interpréter de façon extensive les quelques garanties concédées à quelques-uns d’entre eux »67.

Estimant que de très nombreux actes étaient insusceptibles de recours sur la base de la théorie des actes de pure administration, affirmant l’irresponsabilité de la puissance publique en matière d’actes d’autorité et entendant très restrictivement l’intérêt pour agir des fonctionnaires, le Conseil d’État faisait ainsi la part belle à l’administration.

Il va toutefois, aux débuts du XXe siècle, sensiblement évoluer. Cet activisme, tranchant avec la frilosité antérieure du juge, aboutit au développement d’une sorte de statut jurisprudentiel relativement protecteur. On peut d’ailleurs estimer que le Conseil d’État a alors avant tout souhaité développer son rôle de « tuteur » de l’administration. Ainsi, c’est en quelque sorte par ricochet de cette volonté de « moralisation » des pratiques administratives que les intérêts des fonctionnaires font l’objet d’une protection renforcée. Désireux de limiter les effets de la politisation de la fonction publique, le Conseil d’État a décidé d’ouvrir largement son prétoire.

Les ressorts de cette politique jurisprudentielle sont par exemple nettement précisés par HAURIOU en 1909 : « La crise de l’intrusion parlementaire va se produire. Elle commence à servir

avec le scrutin d’arrondissement rétabli en 1889. Les députés et les sénateurs assiègent les bureaux des ministères et le cabinet des ministres ; le cabinet, organe purement politique, entre en lutte avec la hiérarchie. Toutes ces forces coalisées font brèche dans la hiérarchie et rapidement la désorganisent ; elle est obligée de se plier aux mœurs de la recommandation politique ; elle résiste quelquefois, mais souvent elle cède ; il y a dans les bureaux des ministères des imprimés tout prêts pour répondre à l’homme politique »68.

65- Laferrière (E) ; Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, T. II, 1er

éd., Berger-Levrault, 1888, p. 175.

66- Hauriou, note sous C.E, 27 février 1891, Puissant c/ Ville de Gap, S. 1893. 3. 33.

67- Hauriou, note sous C.E, 6 août 1898, Fontin et C.E, 24 février 1899, Viaud dit Pierre Loti, S. 1899. 3. 105.

68- Hauriou, note sous C.E, 11 décembre 1908, Association professionnelle des employés civils de l’Administration

(31)

La liste des actes susceptibles de recours s’accroît, la théorie des actes de pure administration étant abandonnée ; le recours pour excès de pouvoir est désormais ouvert contre les actes susceptibles d’avoir une incidence sur la carrière des fonctionnaires ; la voie du recours pour excès de pouvoir, plus avantageuse que celle de la pleine juridiction, est ouverte à l’encontre des mesures purement pécuniaires ; l’intérêt pour agir des agents est entendu extensivement avec l’abandon de l’exigence de la violation d’un droit acquis et la simple exigence d’un intérêt lésé ; l’intérêt pour agir des associations de fonctionnaires est aussi valorisé ; enfin ; l’engagement de la responsabilité de la puissance publique est désormais possible avec l’abandon de la dichotomie actes d’autorité/ actes de gestion.

HAURIOU pouvait alors s’exclamer à propos du Conseil d’État en ces termes « partout il fait

reculer l’antique préjugé d’après lequel les fonctionnaires seraient dans la main de la Puissance publique au point de ne pouvoir ni discuter la légalité de ses actes, ni faire valoir contre elle des droits »69.

Si cette jurisprudence a pu ensuite fluctuer, « montrer un certain flottement »70, spécialement

suite au premier conflit mondial71 et dans la seconde moitié des années 193072, l’accès au juge

administratif est resté relativement aisé et d’une jurisprudence quantitativement très abondante est née une sorte de « statut général non écrit » portant notamment sur « les principes généraux auxquels doivent satisfaire […] les opérations de concours, les décisions de nomination, le régime de l’avancement, celui de la répression disciplinaire »73.

Certains auteurs ont même pu en déduire que le statut de 1946 consistait pour l’essentiel en une codification de la jurisprudence du Conseil d’État. Si cette assertion est peut-être vraie d’un point de vue quantitatif, elle l’est moins d’un point de vue qualitatif dans la mesure où le statut de 1946 rompt avec des éléments essentiels de la jurisprudence administrative74. Le lien de parenté entre la

jurisprudence de la IIIe République et le statut de 1946 n’en est pas moins réel et significatif.

Dans notre étude l’expression « juge administratif » employée désigne le Conseil d’État. Cette étude se limite aux droits et libertés du fonctionnaire, tels qu’ils ont étaient précisés au par avant, dans la jurisprudence du Conseil d’État libanais et du Conseil d’État français. Donc seront hors du champ de notre étude les droits et libertés qui ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative, tel par exemple le cas de la protection pénale du fonctionnaire qui relève de la compétence des juridictions pénales ; ou ceux qui relèvent de la compétence de la juridiction administrative, tel le cas du droit à la protection en cas de harcèlement, mais qui jusqu’à présent

69- Hauriou, note sous C.E, 29 mai 1903, 11 décembre 1903 et 15 juillet 1904, Le Berre, Villenave et Nivaggioni, S.

1904. 3. 12.

70- Duguit (L) ; Traité de droit constitutionnel, T. III, préc., p. 259.

71- Cf. Bigot (Ch) ; Introduction historique au droit administratif depuis 1789, PUF, 2002, no

184.

72- V. Chavanon (Ch) ; Les fonctionnaires et la fonction publique, préc., p. 49. 73- Chapus (R) ; Droit administratif général, T. II, 15è

éd., 2001, no 70.

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n’ont pas été traités devant le Conseil d’État. Il va de soi que cette étude ne retient pas tous les droits et libertés mentionnés aux textes législatifs. En outre une exception est faite, au niveau du droit syndical, vue la rareté des arrêts rendus en la matière d’une part, et l’importance de faire reconnaître au public libanais comment le système français a pu arriver à consacrer ce droit au sein de la fonction publique d’autre part, nous avons consacré une partie plus large pour la doctrine qui, en général dans cette étude, a quasiment cédé la place pour la jurisprudence.

b. La comparaison

L’importance de cette étude comparative, malgré toute sa difficulté, réside d’abord et essentiellement d’être sur le point et à connaître les voies et les moyens employés par les deux Conseils d’État pour parvenir à l’acquisition et au renforcement des droits et libertés du fonctionnaires. Mais il ne faut jamais oublier que cette comparaison ne se tient que lorsque les mêmes droits et libertés sont traités dans les deux pays. Le cas échéant, les droits et libertés seront exposés afin de parvenir aux solutions adoptées.

Dans cette perspective et afin de vaincre la maladie du confessionnalisme administratif et politique au Liban, il nous semble important d’en savoir comment le juge administratif français a pu préserver les droits et libertés du fonctionnaire tout en conciliant les principes de neutralité et de laïcité d’une part, et les libertés de conscience et d’expression d’autre part.

Si l’histoire de la séparation de l’Église de l’État est bien connue, il nous semble important de dresser, surtout pour le public français, un petit aperçu historique sur le confessionnalisme au Liban.

Durant l’occupation ottomane du Liban, la Sublime Porte75 a tout fait pour détruire l’autonomie

libanaise. La sagesse séculaire d’un peuple indépendant a toujours su percer les visées sournoises venant du Nord comme du Sud. Après l’échec de l’administration directe, la Sublime Porte se résigne à rétablir l’autonomie acquise en s’empressant d’ériger une certaine opposition indispensable entre deux religions différentes76 en système politique, réussissant ainsi à miner le

nouveau régime dont la religion fournit une mèche facile à allumer.

Le Liban par une décision prise le 29/11/1845 est divisé en deux Kaïmakamats77, l’une aux

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