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L A PROTECTION DU FONCTIONNAIRE

B. La faute personnelle

3. La faute grave non intentionnelle

La jurisprudence a toujours estimé que les insuffisances très graves dans les capacités du fonctionnaire devaient s’apparenter à une faute lourde de sa part et devaient être qualifiées de fautes personnelles détachables de ses fonctions. Il s’agit des défaillances majeures, des incompétences extrêmes, des maladresses et des négligences graves inexcusables.

Il en est ainsi du fait pour un médecin, attaché à un service public hospitalier, de s’abstenir de se rendre au chevet d’un blessé, est de nature à engager sa responsabilité personnelle162. Le Conseil d’État a considéré l’erreur du chef de service hospitalier qui n’a pas relevé une erreur de traitement

156- T.C., 19 mai 1954, Vve

Rezsetin, rec. 704 ; 23 avril 1975, Bart, rec. tables p. 1256.

157- C.E, sect., 12 juin 1953, Caisse nationale des marchés de l’État c/ Secrétaire d’État aux forces armées, rec. 282. 158- C.E, 7 juillet 1954, Monsaingeon, AJDA 1954, p. 384.

159- T.C., 21 décembre 1987, Kessler, rec. 456, AJDA 1988, p. 364, obs. X. Prétot. 160- C.E, 28 juillet 1951, Delville, rec. 464.

161- C.E, 7 juillet 1922, Le Glohaec, rec. 597 ; T.C., 14 décembre 1925, Navarro, rec. 1007.

162- C.E, 18 décembre 1953, Fresnais, rec. 368, et C.E, 4 juillet 1990, Sté d’assurances Le Sou médical, rec. tables, p.

médical commise dans son service, mettant ainsi en jeu la survie du malade, comme une faute personnelle163.

Constituent également une faute personnelle les tirs prohibés par les règlements auxquels se sont livrés des fonctionnaires de police, aux fins de s’entraîner, et au cours desquels ils ont blessé une passante164. C’est aussi le cas de l’imprudence grave commise par un fonctionnaire, qui a confié à un enfant son arme de service165.

Il n’est donc pas simple de donner une définition de la faute personnelle. Confronté à cette même difficulté, le commissaire du Gouvernement, Léon BLUM, voyait dans la faute personnelle celle « se

détachant assez complètement du service pour que cette faute puisse être recherchée et déclarée sans que, ipso facto, le juge soit forcé de s’immiscer à un degré quelconque dans le contrôle et la critique du service public »166. Mais cette formule, comme celle de Laferrière, est insuffisante pour en tirer certains critères précis. Cette recherche a été l’œuvre de la jurisprudence.

Ainsi, l’étude de ces deux formes – personnelle et de service – de la faute nous a mené à poser deux questions.

La première concerne la relation qui relie la faute personnelle et l’infraction pénale : peut-on parler d’un rétrécissement de la notion de faute personnelle ? Et la seconde, qui sera traitée dans la section II de ce chapitre, est de savoir si la faute personnelle forme toujours une faute disciplinaire et vice versa.

• Concernant la relation qui existe entre la faute personnelle et la l’infraction pénale. Pendant longtemps, l’infraction pénale fut considérée, et d’une manière absolue, comme une faute personnelle car on présumait exister une dangereuse intention criminelle chez son auteur.

Mais un changement a eu lieu avec un fameux arrêt de principe rendu par le Tribunal des conflits français qui a considéré qu’une faute pénale pouvait être qualifiée de « faute de service »167. Cette dernière faute était, en général, une faute non intentionnelle, qu’elle fût contraventionnelle ou délictuelle, tels les blessures ou homicides par imprudence. Sans s’arrêter sur les faits de cet arrêt qui sont très connus, nous signalons que par cet arrêt le tribunal des conflits a distingué la faute personnelle de la faute de service.

Pour sa part, la jurisprudence libanaise a suivi ce chemin en considérant le délit ou l’homicide par imprudence comme une faute de service168. Il est à noter que l’autorité de la chose jugée ne relie le juge administratif qu’en ce qui concerne les faits prouvés et dans l’attribution du crime au

163- C.E, 28 décembre 2001, Valette, AJFP juillet-août 2002, p. 24, obs. P.B ; AJDA 2002, p. 359 concl. R. Schwartz ;

Dr. adm. 2002, comm. no 57, note C. Esper.

164- C.E, 12 mai 1950, Epoux Giorgelli, rec. 287. 165- C.E, 19 décembre 1969, Houdayet, rec. 601.

166- L. Blum, concl. Sur C.E, 26 juillet 1918, Epoux Lemonnier, rec. 716 ; D. 1918, 3, 9. 167- T.C, 14 janvier 1935, Thépaz, S. 1935. 3.17, note Alibert ; GAJA, 14e

éd., 2003, p. 302.

défendeur seulement169. Le juge administratif reste libre pour l’appréciation de la responsabilité de l’administration et pour la détermination des dommages-intérêts que l’administration doit supporter170.

Nous devons signaler ici que la loi du 31/12/1975 en France, donc après la date de l’arrêt THÉPAZ, a mis les accidents des voitures administratives sous la compétence des tribunaux judiciaires. Alors que le législateur libanais était en avance de six mois sur son collègue français, c’est le 14/6/1975171 qu’il a donné compétence à la juridiction de l’ordre judiciaire pour traiter des accidents de voitures administratives.

Mais comme le souligne le dossier no 3 de la Direction des affaires juridiques portant sur la protection des fonctionnaires « la jurisprudence postérieure n’a pas non plus totalement exclu la possibilité de qualifier une infraction correctionnelle volontaire de faute de service, notamment si le délit a été dicté exclusivement par la considération de l’intérêt du service (C.E, 8 juin 1966, Les orphelins apprentis d’Auteuil) »172. Dans ce cas cité, le Conseil d’État avait qualifié de « faute de service » la perturbation, par un maire, d’une vente aux enchères, ce dernier ayant agi dans un but d’intérêt général.

Au-delà de cette reconnaissance d’une faute pénale volontairement commise par un fonctionnaire comme étant une faute de service, le juge des conflits, dans un arrêt récent173, est venu conforter cette position en l’adoptant contre les conclusions de son commissaire du Gouvernement.

En effet, Jerry DE SAINTE-ROSE174, s’inscrivant dans la ligne de la jurisprudence antérieure, avait souligné à la fois le caractère intentionnel du délit et l’extrême gravité de la faute commise par le fonctionnaire. Il en déduisait donc, très logiquement, que la faute, bien que commise dans l’exercice des fonctions, se détachait intellectuellement de celles-ci et concluait à la compétence de la juridiction judiciaire, dans la mesure où il s’agissait d’une faute détachable des fonctions du fonctionnaire.

Le tribunal des conflits n’a pas suivi ces conclusions et a considéré que la faute avait été commise dans l’exercice des fonctions, avec les moyens du service, et que le fonctionnaire n’était animé par aucun intérêt personnel. En conséquence, « qu’elle que soit sa gravité, la faute ne saurait être regardée comme une faute personnelle détachable du service ».

169- C.E.L, 9 décembre 1957, Al-Daher, rec. 1958. 14. 170- C.E.L, 28 novembre 1960, El-Hélou, rec. 1961. 6. 171- Loi portant sur le statut de Conseil d’État au Liban.

172- « La protection du fonctionnaire », Les Dossiers de la direction des affaires juridiques, dossier no

3, document mis à jour en février 2000, ministère des l’économie, des Finances et de l’Industrie, p.33.

173- T.C, 19 octobre 1998, Préfet du Tran c/ Cour d’appel de Toulouse, D. 1999, 2, 127, note Olivier Gohin. 174- Cité dans Le Courrier juridique des finances et de l’industrie, no

Cette décision a engendré un grand nombre de commentaires critiques de la doctrine175 qui y a vu un abandon de la notion de faute détachable des fonctions du fonctionnaire ayant commis une faute d’une exceptionnelle gravité.

Certains commentateurs176, dans une note consacrée à cet arrêt, ont vu dans un arrêt postérieur du Conseil d’État un revirement de cette jurisprudence.

En effet, dans un arrêt du 17 décembre 1999, la Haute Assemblée a considéré qu’une faute d’une extrême gravité commise dans l’exercice des fonctions devait être qualifiée de « faute personnelle détachable du service »177. En l’espèce, il s’agissait du décès d’un appelé du contingent lors d’une séance de tir à balles réelles. Cette tendance n’a nullement été confirmée.

La distinction entre faute de service et faute personnelle n’est pas sans limite. Cette limite est la conséquence d’un phénomène lié à une évolution jurisprudentielle bien connue au terme de laquelle la faute personnelle n’est pas plus exclusive de toute responsabilité de l’administration. À la suite de contorsions successives marquées par l’admission du cumul des fautes178 puis des responsabilités179 et enfin l’accueil fait à la notion de faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service180, le juge administratif en est venu à admettre qu’un même agissement est imputable au fonctionnaire qui est en l’auteur, car détachable du service, mais également à celui-ci car rattachable à ce dernier par certains liens.

Au terme de cette évolution, les droits des victimes sont certes renforcés et garantis, mais l’équilibre des rapports entre le fonctionnaire, l’administration et la victime est nécessairement rompu. En effet, la question qui nous intéresse est de savoir comment le juge administratif a élaboré la protection du fonctionnaire ? Est-ce vraiment une quasi-irresponsabilité des fonctionnaires se trouve-t-elle ainsi consacrée par la jurisprudence ?

§2.L

E CUMUL DES FAUTES ET LE RÔLE DU JUGE

La jurisprudence française, au XIXe siècle n’admettait pas le principe du cumul des responsabilités du fonctionnaire et de l’administration. On considérait que l’un d’eux, soit le fonctionnaire soit l’administration, était fautif, donc responsable. La faute du fonctionnaire et sa responsabilité masquaient la faute de l’administration et sa responsabilité et vice-versa.

Cette idée trouve son origine dans la distinction qui existait entre la faute de service et la faute personnelle. Ainsi, la non admission du cumul paraissait, juridiquement et logiquement, la solution

175- D. 1999, 2,129, note Olivier Gohin ; JCP, no

51-52, 22 décembre 1999, p. 2303, note Adhémar du Cheyron.

176- Le Courrier juridique des finances et de l’industrie, no

2, mars-avril 2000, p. 11.

177- C.E, 17 décembre 1999, Moine, JCP G 2001, II, 10508, note R. Pistra. 178- C.E, 3 février 1911, Anguet, rec. 146 ; S. 1911. 3.137, note Hauriou.

179- C.E, 26 juillet 1918, Lemonnier, S. 1918/19. 3. 41, concl. Blum et note Hauriou.

180- C.E, 18 novembre 1949, Mimeur, Besthelsemer, Defaux, rec. 492 ; JCP G 1950, II, 5286, concl. Gazier ; D. 1950,

la plus adéquate. Mais, en fait, l’application de ce principe aboutissait à une injustice vu que la victime d’une faute personnelle se trouvait devant un responsable insolvable qu’est le fonctionnaire. Ainsi, pour protéger les victimes, le juge administratif a construit ce régime du cumul. Mais, comme le système aboutissait à une protection excessive des fonctionnaires, la jurisprudence a évolué et les rapports de l’administration avec ses préposés ont été modifiés, dans un but de moralisation de la fonction publique181.