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L A PROTECTION DU FONCTIONNAIRE

A. La protection du fonctionnaire vis-à-vis des administrés

2. La réparation du préjudice

La réparation du préjudice du fonctionnaire constitue le second volet, alternatif ou complémentaire, de l’obligation de protection de l’administration vis-à-vis du fonctionnaire, et repose sur la nature du dommage allégué dont la seule existence suffit à fonder le droit à indemnité.

371- C.E, 16 décembre 1977, Vincent, préc.

372- C.E, 9 décembre 1970, Commune de Neuilly-Plaisance, rec. 738. 373- C.E, Ass., 14 février 1975, Teitgen, préc.

Les limites qui peuvent lui être opposées se situent autant au niveau de l’action ouverte au requérant qu’à celui du contenu et des modalités de la réparation elle-même. La réparation prévue par la loi est essentiellement de type indemnitaire, sans pour autant qu’il s’agisse là du seul moyen de donner satisfaction au demandeur au vu préjudice subi, même si celui-ci préfère dans la grande majorité des cas obtenir des compensations pécuniaires.

La réparation peut revêtir plusieurs formes, selon que le fonctionnaire ait subi un préjudice matériel par dégradation ou détérioration, voire destruction de ses biens propres, ou qu’il subi un préjudice corporel, ou même un préjudice moral que l’administration est tenue de prendre en compte.

a. La réparation du préjudice matériel

L’obligation de réparation du préjudice parait devoir s’appliquer dans l’hypothèse où le fonctionnaire aurait été victime d’une détérioration, d’une dégradation, d’une destruction ou d’une perte de ses effets personnels375. Néanmoins, il appartiendra au fonctionnaire d’établir le lien entre les atteintes dont résulte son préjudice matériel et l’exercice de ses fonctions376.

Par ailleurs, il convient de préciser que cette prise en charge de la réparation de l’entier du préjudice subi par le fonctionnaire n’intervient que si l’auteur des faits est insolvable, mettant le fonctionnaire dans l’impossibilité de récupérer les sommes équivalentes à la dégradation de ses effets personnels.

Dans cette hypothèse, l’administration serait dans l’obligation d’accorder sa garantie au fonctionnaire et donc de procéder au remboursement des effets personnels détériorés ou perdus dans le cadre du litige ayant opposé le fonctionnaire à un particulier.

La jurisprudence, en la matière, est bien établie et considère que le fonctionnaire doit être indemnisé même si l’administration ne peut obtenir la restitution des sommes versées de l’auteur des faits377.

La jurisprudence de principe en la matière est issue de l’arrêt de la Haute Assemblée, JANNÈS qui

considère que « les fonctionnaires ont le droit d’obtenir de leur administration la réparation des dommages qu’ils ont subis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, sans que ce droit soit subordonné à la possibilité pour l’administration d’exercer un recours contre l’auteur desdits dommages ; […] et que l’État soit tenu de réparer les dommages ainsi à l’un de ses agents […] ».

Dans la mesure où il n’est pas possible, pour les fonctionnaires, de trouver les sources de la réparation des dommages, qu’ils peuvent subir, dans les règles qui régissent leurs apports avec l’administration, et plus particulièrement celles liées à la protection juridique des fonctionnaires, ils doivent pouvoir bénéficier des règles de la responsabilité publique de droit commun.

375- C.E.L, 4 janvier 1996, Chidiak, RJA 1977, I, 281.

376- C.E.L, 13 avril 1995, Zablite, préc. et C.E, Ass., 6 novembre 1968, Benejam, préc. 377- C.E, 28 mars 1969, Jannès, préc.

Les jurisprudences française378 et libanaise379 ont été amenées à consacrer implicitement la théorie du « risque professionnel » qui permet de considérer que si un fonctionnaire subit un dommage, il peut être indemnisé sans avoir à prouver la faute de l’administration. Mais le Conseil d’État a considéré, ultérieurement, qu’en l’absence de faute, la responsabilité de l’administration ne pouvait être engagée380.

Une nouvelle évolution de la jurisprudence est intervenue engageant explicitement la responsabilité de la puissance publique en l’absence de toute faute de l’administration381, mais ces arrêts ont une spécificité dans la mesure où ils invoquent l’existence d’un « risque exceptionnel ».

Le Conseil d’État libanais a considéré que l’administration doit réparer le préjudice subi par l’investigateur militaire résultant du manque la protection suffisante de sa maison lors des événements qui ont eu lieu en 1958 et qui ont été la cause des dommages graves subis par la maison382.

La jurisprudence administrative libanaise est bien établie en ce sens. Ainsi il a été jugé que les vols, du meuble et des biens de la maison offerte par l’administration à un fonctionnaire durant la guerre, n’expriment pas une faute de la part du fonctionnaire, ainsi l’administration est en obligation de réparer le préjudice383.

Si le principe est que l’administration doit réparer l’entier préjudice subi par son fonctionnaire, il apparaît que, pour les dommages occasionnés aux biens, le principe de l’évaluation du dommage impose que cette évaluation prenne effet le jour où il était possible de procéder à la réparation ou à la reconstruction des biens endommagés384.

Ces règles s’appliquent pour l’évaluation de tous les dommages aux biens, mobiliers ou immobiliers, et quels que soient l’origine des dommages et le fondement de la responsabilité. En ce qui concerne les biens immobiliers, le Conseil d’État rejette toute indemnisation fondée sur la valeur de replacement385 et procède à un abattement pour vétusté386.

378- C.E, 21 juin 1895, Cames, rec. 509, concl. J. Romieu. 379- C.E.L, 6 juin 1996, El-Khoury, RJA 1997, II, 687.

380- C.E, 22 février 1952, Sieur Simon, rec. 131 et aussi C.E, 22 février 1952, Sieur Leycuras, rec. 132.

381- C.E, 19 octobre 1962, Sieur Perruche, rec. 555 et C.E, Ass., 16 octobre 1970, épx. Martin, rec. 593 et C.E, 4 février

1976, Lai Cong Phuoc, rec. 80.

382- C.E.L, 9 janvier 1967, Noujeim, rec. 123.

383- C.E.L, 4 décembre 1996, Achidiak, RJA 1997, II, 281.

384- C.E, 2 juin 1944, Compagnie générale des eaux, rec. 162 et C.E, 31 octobre 1990, Ville de Marmande c/ M.

Denennes, req. no 81941.

385- C.E, 1er

mars 1985, Gaz de France, Dr. adm. 1985, no 206.

386- C.E, 2 décembre 1987, GDF c/ Ets Marchal et fis, req. no

En ce qui concerne les biens meubles, la Haute Assemblée semble considérer dans un arrêt Ville de Roubaix387 que dès la commission des faits engendrant un dommage, l’étendue de ce dommage peut être connue et donc l’évaluation de l’indemnité établie.

La jurisprudence a été amenée à considérer que les cas de pillage et de spoliation devaient être pris en charge par l’administration au titre de la substitution de l’État à l’auteur des faits388.

b. La réparation du préjudice physique

Le principe de la protection juridique et de la prise en charge de la réparation de l’intégralité du préjudice subi par le fonctionnaire, fait que le préjudice physique subi doit également être réparé. Le mécanisme de la mise en place de cette réparation n’est pas exclusif à la protection juridique mais concerne tous les préjudices subis en service.

Néanmoins, sur un plan juridique, une difficulté subsiste lorsque le fonctionnaire est blessé soit lors d’une intervention, soit en exécutant ses fonctions, l’agression étant, par ailleurs, prise en compte au titre de la protection juridique dont il peut bénéficier.

Lorsque l’accident a été reconnu imputable au service et lorsque la blessure est consolidée, le fonctionnaire a la possibilité de solliciter de l’administration l’attribution d’une allocation temporaire d’invalidité.

Or, selon la règle du forfait de pension définie par la doctrine et avalisée par la jurisprudence, « dès lors qu’un dommage subi à l’occasion du service par un agent public est susceptible de donner lieu à réparation à son profit ou à celui de ses ayants cause, […] La réparation découlant du régime de pension applicable présente un caractère forfaitaire qui fait automatiquement échec à toute demande de réparation intégrale du préjudice subi fondée sur le droit commun de la responsabilité administrative »389.

La jurisprudence a été constante en la matière. Elle a considéré que l’indemnisation forfaitaire était censée couvrir l’ensemble des chefs de préjudice, y compris le pretium doloris390. Dans ces conditions, le versement de toute autre indemnité complémentaire au titre des dommages corporels ayant ouvert droit à réparation était donc exclu391.

Selon la jurisprudence du Conseil d’État, la nature du droit à pension, la qualité du bénéficiaire, ainsi que le volume des droits importent peu, seul, comptant le principe du droit à pension392.

387- C.E, 26 juillet 1947, Ville de Roubaix, rec. 370.

388- C.E, Ass., 16 octobre 1970, épx. Martin, JCP 1971, II, 16577, concl. Braibant ; et C.E, 6 novembre 1968, Benejam,

rec. 545 ; AJDA 1969, p. 27.

389- M. Benoît, « Forfait de pension et droit commun de la responsabilité administrative », JCP 1956, no

1289-1290.

390- C.E, 2 octobre 1964, Bouchon, rec. 445. Pretium doloris : prix de la douleur. 391- C.E, 27 avril 1984, Beorchia, rec. tables p. 686

Toutefois, des jurisprudences récentes ont tendance à revenir sur cette conception du forfait de pension. En effet, par un arrêt du 15 décembre 2000393, le Conseil d’État a écarté l’application de la règle du forfait de pension dans les litiges mettant en jeu la responsabilité hospitalière.

Cette entorse à l’application de la règle du forfait de pension, bien qu’effectuée dans un cadre très précis, puisqu’il s’agit, en l’espèce, d’un fonctionnaire ayant subi un traitement médical dans un service de la collectivité qui l’employait, n’en a pas moins ouvert la possibilité d’une modification de la jurisprudence en la matière.

Dans un arrêt394 plus récent, en date du 15 juillet 2004, le Conseil d’État a considéré que la règle du forfait de pension ne faisait obstacle « ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire le réparant des chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique, ni à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à la faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien incombait à celle-ci ».

Si la modification des textes concernant le forfait de pension ne parait pas possible en elle- même, bien qu’il suffise d’une simple volonté du législateur pour y parvenir, le juge a amorcé une modification profonde de sa jurisprudence qui s’applique, sans aucun doute, aux fonctionnaires, et il est souhaitable que le législateur en tire, dans un avenir proche, toutes les conséquences.

c. La réparation du préjudice moral

Il ressort clairement que dans l’hypothèse où le fonctionnaire a droit au paiement de dommages- intérêts, mais il ne peut obtenir le versement de cette somme de l’intéressé, peut demander à son administration le paiement de ladite somme en lieu et place de l’auteur lui-même.

En effet, la jurisprudence du Conseil d’État a confirmé cette obligation qui pèse sur l’administration dans un arrêt précité qui, bien qu’ancien, conserve toute sa valeur juridique et qui précise, par ailleurs, que même si l’administration ne peut récupérer lesdites sommes, elle n’est pas déliée de cette obligation. En effet, dans cet arrêt, la Haute Assemblée considère « que les fonctionnaires ont le droit d’obtenir de leur administration la réparation des dommages qu’ils ont subis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, sans que ce droit soit subordonné à la possibilité pour l’administration d’exercer un recours contre l’auteur desdits dommages ; […] et que l’État

393- C.E, sect., 15 décembre 2000, Mme

Bernard et M. Castanet, AJDA 2001, p. 158, chron. M. Guyomar et P. Collin, RFDA 2001, p. 701.

394- C.E, 15 juillet 2004, M.D.C, req. no

soit tenu de réparer les dommages ainsi causés à l’un de ses agents […] »395. En l’espèce, le Sieur Jannès avait demandé à l’administration concernée la réparation du préjudice moral qu’il a subi.

Plus récemment, le Conseil d’État a eu l’occasion de réaffirmer sa jurisprudence concernant le préjudice moral. En effet, dans son arrêt RIMASSON396, le juge retient que « Considérant, d’une part,

qu’il résulte des pièces et les appréciations injurieuses portées sur son comportement dans l’exercice de ses fonctions constituent des attaques […] considérant, d’autre part, que l’obligation, imposée à la collectivité publique peut avoir pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu’il a subis […] que, dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice matériel et moral subi par M. Rimasson en fixant l’indemnité due à 10000 francs […] ».

La plus Haute juridiction administrative a donc tranché, au fond, sur le principe d’une indemnisation du préjudice moral397 et une substitution de l’administration au paiement de celle-ci lorsque l’auteur est inconnu, non interpellé ou insolvable, ou fait l’objet d’une indemnité.

S’il est vrai que les fonctionnaires ne doivent pas constituer une catégorie privilégiée de citoyens à l’abri de toutes les critiques, il n’en demeure pas moins que la protection obéit à des justifications particulières : souci de ne pas laisser le fonctionnaire sans défense face aux menaces ou attaques des administrés ; protection de la continuité et du bon fonctionnement du service public à travers son volet administratif. C’est la dans spécificité des fonctions que trouve principalement sa justification le caractère particulier et renforcé de la protection instaurée.

L’administration tirant un avantage direct de la collaboration de ses fonctionnaires, sans laquelle l’accomplissement de ses missions ne s’avérerait pas possible, l’équation risque/profit occupe implicitement une place prépondérante dans cette construction juridique, qu’elle soit appréhendée en tant que telle de façon indirecte par le biais de notions connexes ou parallèles par le juge administratif.

Mais un problème peut se poser à partir du moment où le fonctionnaire estime que la protection demandée à l’administration lui a été indûment refusée. Ainsi, l’atteinte à ses droits provient de l’administration elle-même. Alors, quels seront les moyens disponibles pour protéger le fonctionnaire et ses droits face à l’administration ?

395- C.E, sect., 28 mars 1969, Jannès, rec. 190.

396- C.E, 18 mars 1994, Rimasson, rec. 147 ; AJDA 1994, p. 374 note Touvet et Maugüé. 397- Lecture a contrario de C.E, 10 février 1993, Min. solidarité nat. c/ Wagner, req. no

37419, Dr. adm. 1993, comm. no 187 et C.E, 9 novembre 1994, Mac Kenna, req. no 72322 cité chez J.-P. Didier, « Le droit de la fonction publique : 10 ans de jurisprudence (1990-2000) », Dr. adm., hors série, décembre 2000, Litec, p.40, et C.E, 17 décembre 2004, Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et des Libertés locales, AJFP juillet-août 2005, note C. Moniolle, p. 203.