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L A PROTECTION DU FONCTIONNAIRE

B. L’établissement du lien matériel avec le service

2. Le dépassement du critère de l’effort physique

Ce dépassement s’est produit dans deux directions. Tout d’abord, le juge reconnaîtra progressivement un lien de causalité possible en dehors du cas de l’effort physique. Trois cas de figure ont été soumis au juge. Deux d’entre eux fondés respectivement sur le critère de responsabilité et sur celui de l’évidence nécessite ont été admis. Celui fondé sur le dommage non dénué de lien avec le service a été, semble-t-il, définitivement écarté. Ensuite et de manière plus radicale, le juge semble vouloir ouvrir la voie à la reconnaissance du critère de l’acte ordinaire de la vie courante.

a. Le critère de l’exercice de responsabilité

Afin de ne pas décourager l’expression des bonnes volontés lors des sorites scolaires par exemple, le juge regarde, au-delà de l’acte d’autorisation, si le lien au service peut être assuré par un exercice effectif de responsabilité306. Seul ce critère permet en dernière instance de déterminer si le fonctionnaire s’est trouvé ou non, au moment de l’accident, dans une situation d’indépendance ou motivée par un intérêt purement personnel.

Ce critère est toutefois à double tranchant : il semble permettre le rattachement au service d’accidents qui ne peuvent s’appuyer sur l’existence d’une obligation administrative expresse ou même tacite mais exclut du même coup toute idée de lien permanent avec le service pour ce type de mission.

304- C.E, 3 octobre 1997, Roux, préc. 305- C.E, 7 octobre 1981, Kuhn, req. no

23724, rec. 793, et C.E, 8 juillet 1992, Caisse des dépôts et consignations, req. no 79440.

Ainsi, lorsque le fonctionnaire intervient volontairement mais sans exercer des responsabilités dans le stage et se blesse, par exemple, au cours d’une descente à ski, son intérêt personnel jugé dominant empêche le rattachement au service307.

L’exercice de la responsabilité est inéluctablement une notion vague. Elle s’entend aussi de tout acte exigé par le service autre que la surveillance proprement dite et l’encadrement : elle renvoie même aux actes de précaution et de prévention tels que la « reconnaissance d’une piste de ski afin de vérifier si les conditions d’enneigement permettaient aux élèves de la classe de disputer une compétition sur cette piste »308.

b. La reconnaissance de l’évidente nécessité

Dans les cas d’accord ponctuel du supérieur hiérarchique ou d’autorisation administrative, il est souvent exigé une justification de la décision de l’autorité ou de l’activité dont il est difficile de mesurer la portée. Celle-ci s’appuie sur l’idée d’une évidente nécessité.

Dans l’affaire du policier blessé sur son parking privé309, l’autorisation de son chef d’aller chercher des affaires était justifiée par le caractère inopiné du déplacement. Toutefois peu d’espèces rendues laissent planer une incertitude relativement difficile à surmonter et qui ne peut qu’être partiellement et imparfaitement comblée par le recours aux décisions judiciaires310.

c. Le rejet de la notion d’événement « non dépourvu de lien avec le service »

À la fin des années soixante-dix, le juge fut tenté d’importer la notion d’acte « non dépourvu de tout lien avec le service » révélée dès 1949 dans la jurisprudence MIMEUR311, comme nous l’avons déjà vu, pour admettre l’engagement de la responsabilité de l’administration, par le tiers victime, lorsque cette dernière fournissait les moyens du dommage au fonctionnaire. Fut reconnue en effet l’imputation au service de l’accident dont fut victime un fonctionnaire communal, qui était « dû au réglage défectueux d’une perceuse électrique qu’il utilisait avec l’accord du responsable de l’atelier […] où cet appareil était en service ». Le fait que « l’intéressé fût normalement occupé dans un autre service de la commune et qu’il utilisât cet appareil à des fins personnelles » fut jugé indifférent.

Si nous pouvons estimer que l’activité accomplie dans un service organique était couverte par l’accord du supérieur hiérarchique, aucune décision confirmative n’a été rendue ; d’autres décisions, certes intervenues à propos d’activités accomplies en dehors des horaires et du lieu du service, laissent penser que la voie ouverte est désormais une impasse. Aussi a été écarté le cas du gardien

307- C.E, 6 mai 1977, Gaze, rec. 869. 308- C.E, 5 juillet 1978, Phalippou, rec. 292. 309- C.E, 15 novembre 1995, Gergot, préc.

310- V. M-B. Choisy, « L’accident de service : une définition à géométrie variable mais bien balisée », Gaz. Pal. 1999,

p. 56.

311- C.E, 18 novembre 1949, Mimeur, rec. 492 ; JCP G 1950, II, 5286, concl. Gazier ; D. 1950.667, note J.G ; RDP

de la paix stagiaire, involontairement blessé à l’abdomen alors qu’il se livrait à titre personnel, avec un collègue, à des manipulations d’armes, dans leur chambre d’hôtel, en dehors de leurs heures de service312. Le juge prit même soin de rejeter l’argument selon lequel les règles d’organisation du corps imposaient de conserver une arme de service au domicile.

d. La reconnaissance du critère de l’acte ordinaire de la vie courante

Si la reconnaissance du critère de l’acte ordinaire de la vie courante, est indiscutable pour les accidents de mission, la prudence est de rigueur pour les accidents survenus dans le service.

C’est par l’utilisation d’une nouvelle expression, non définie, celle d’ « accident survenu à l’occasion de son activité » que le Conseil d’État posa en 1997 cette jurisprudence qui est passée largement inaperçue.

Le juge a reconnu expressément que l’accident s’est produit sur les lieux de travail de l’intéressé, pendant les heures de service et « à l’occasion de son activité » est imputable au service313.

Toutefois c’est de manière négative que les deux décisions se sont construites. C’est en rejetant l’argument selon lequel les « circonstances que cet accident puisse être regardé comme survenu à l’occasion d’un acte ordinaire de la vie courante ne saurait lui faire perdre le caractère d’accident de service » que le juge affirma sa nouvelle position. Même si c’est souvent le cas lorsqu’il entend présenter ou annoncer un revirement jurisprudentiel, cette appréhension négative du problème semble prudente voire même timide.

Si, jusqu’en 1988, la jurisprudence refusait toujours l’imputabilité aux fonctionnaires en mission qui se blessaient au cours d’un acte de la vie courante314, dès 1996, la confirmation du Conseil d’État du jugement de la Cour d’appel de Bordeaux se résolut à prendre en compte les dommages survenus au fonctionnaire en cantonnement résultant d’un tel acte, comme le fait de prendre une chaise vraisemblablement pour s’asseoir315.

Cette jurisprudence à l’inverse de l’affaire DURAND précitée, n’excluant pas les accidents résultant d’actes ordinaires accomplis dans le service, s’est construite de manière positive puisque l’acte effectué a été explicite. Toutefois, le fait que le lien de subordination soit permanent et qu’il ait eu lieu en dehors du service organique habituel a sans doute été un élément déterminant de cette décision.

Avec l’arrêt du 3 décembre 2004, le Conseil d’État vient de redéfinir l’accident de service survenu en mission en ces termes : « Tout accident survenu lorsqu’un agent public est en mission, doit être regardé comme un accident de service, alors même qu’il serait survenu à l’occasion d’un

312- C.E, 23 avril 1997, Lens, req. no

144651, rec. 905 ; comparer à C.E, Ass, 26 octobre 1973, Sadoudi, rec. 603.

313- C.E, 19 mars 1997, Durand, req. no

133483.

314- C.E, sect., 30 septembre 1988, Bonmartin, rec. 320 ; Juris-Data no

1988-646565 ; AJDA 1988, p. 724 et p. 764, chron. Azibert et de Boisdeffre.

acte de la vie courante, sauf s’il a eu lieu lors d’une interruption de cette mission pour des motifs personnels […] »316. En l’espèce, un magistrat avait fait une chute dans la salle de bain d’une chambre d’hôtel alors qu’il était en mission. Le Conseil d’État a considéré que, bien que survenu à l’occasion d’un acte de la vie courante, cette circonstance ne lui faisait pas perdre le bénéfice de la qualification d’accident de service.

L’intérêt de cet arrêt se situe dans l’exception nouvellement admise à savoir « sauf s’il y a eu lieu lors d’une interruption de cette mission pour des motifs personnels ». Ce faisant, le Conseil d’État revient sur la jurisprudence BONMARTIN précitée qui refusait la qualification d’accident de service lorsque celui-ci était intervenu à l’occasion d’un acte de la vie courante. Désormais, ces actes pourront être pris en compte317.

Avec l’arrêt QUINIO, la Haute juridiction élargit le champ matériel des accidents de services.

Conséquemment, il améliore la protection des fonctionnaires. La solution retenue n’établit pas une présomption d’imputabilité, toutefois la formulation s’en approche sensiblement318. Cette évolution qui tend à une simplification de la qualification des accidents de service mérite d’être appréciée. Mais, il reste que la frontière juridique entre un acte de la vie courante et un acte dicté par des motifs personnels n’est pas établi par cet arrêt.

Il est souhaitable, dans un souci d’une meilleure protection, que cet arrêt étendra le nouveau principe aux fonctionnaires autorisés à exercer une partie de leur activité chez eux, qu’ils soient en mission ou qu’ils soient d’astreinte en dépit du caractère attractif du domicile.

Une fois l’accident est qualifié d’accident de service, le fonctionnaire a alors droit à conserver l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l’accident319. Le fonctionnaire hospitalier peut demander la consultation de la commission de réforme320.

La règle du forfait de pension, qui sera détaillée plus loin dans notre recherche, a vu son champ d’application restreint par la jurisprudence321. Désormais, le fonctionnaire peut engager la responsabilité de son employeur en cas de faute commise par celui-ci selon les règles du droit commun de la responsabilité administrative322.

316- C.E, sect., 3 décembre 2004, Quinio, req. no

260786, Juris-Data no 2004-067624 ; AJDA 2005, p. 189, chron. C. Landais et F. Lenica ; AJFP mai-juin 2005, p. 141, comm. M. Mankou ; JCP G 2005, II, 10027, note C. Moniolle.

317- C.E, 27 octobre 1995, Min. budget c/ Cloatre, req. no

154629, Dr. adm. 1995, comm. no 630; Juris-Data no 045608.

318- V. la note sur cet arrêt de C. Moniolle, JCP G 2005, II, 10027. 319- C.E, 4 décembre 1987, CHS de Montfavet, req. no

73337.

320- C.E, 10 décembre 1993, Administration générale de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris, rec. 840. 321- C.E, 15 juillet 2004, M.D.C., AJDA 2004, p. 2283, note G. Peiser.

322- C.E, sect., 15 décembre 2000, Mme Bernard et M. Castanet, AJDA 2001, p. 158, chron. M. Guyomar et P. Collin,

Comme nous l’avons mentionné, la notion d’accident de service enferme le cas des attaques et menaces dont le fonctionnaire peut subir au cours de ses fonctions. Face à de tels accidents, l’administration a une obligation de protection et de réparation du préjudice subi par ce même fonctionnaire.

§2.L

E CAS DES ATTAQUES ET DES MENACES

Le visage inhumain et froid de l’administration, dominant l’administré, ne cache pas le réalité des relations quotidiennes entre les usager et les services. Le fonctionnaire peut être en butte à l’hostilité de l’administré.

Le droit à la protection des fonctionnaires est une idée très ancienne. Il est instauré en 1946, complétée en 1959 et confirmé en 1983, et en cause du nombre limité de décisions jurisprudentielles, a soulevé quelques interrogations. Certains se sont demandés en l’absence de formulation expresse par le Conseil d’État dans un considérant de principe, s’il s’agissait d’un principe général du droit323 ou d’un simple droit en faveur des fonctionnaires324. Il suffit de relever que le juge administratif a une conception extensive de l’application de cette protection325.

Un ou plusieurs administrés peuvent manifester leur hostilité à l’égard d’un fonctionnaire. Une protection fonctionnelle a été donc mise en place qui oblige l’administration à le protéger, et le cas échéant, à réparer le préjudice qu’il a subi. Protégé de certains actes des administrés, il l’est aussi de certaines décisions de certaines décisions de l’administration.