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L A PROTECTION DU FONCTIONNAIRE

A. La protection du fonctionnaire vis-à-vis des administrés

1. La teneur de l’obligation de protection

La mise en œuvre de la protection juridique, aux termes de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, fait apparaître la notion de « fonctionnaire victime d’une agression ou d’une attaque », et la protection juridique apparaît comme une obligation à laquelle est tenue l’administration, pour peu que les attaques soient dirigées contre le fonctionnaire à raison de ses fonctions ou en sa qualité d’agent public336. De plus, compte tenu de l’absence d’exhaustivité de l’énumération des atteintes visées par la loi, le juge sera amené à interpréter les dispositions légales afin de déterminer les attaques protégées et celles qui ne le sont pas. Il devra aussi mesurer la gravite de ces dernières, apprécier, outre le préjudice qui en résulte pour la victime, l’imputabilité du dommage à son auteur, et identifier celui-ci.

C’est bien en ce sens que l’a étendu le Conseil d’État qui, dans un arrêt du 14 février 1975, a considéré que la décision de refus d’accorder la protection juridique à un fonctionnaire, objet d’une diffamation, devait être annulée compte tenu du fait que « les dispositions législatives […] établissent à la charge de l’État ou de la collectivité publique intéressée et au profit des fonctionnaires lorsqu’ils ont été victimes d’attaques relatives au comportement qu’ils ont eu dans l’exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général »337.

Peu importe la forme revêtue par les attaques dirigées contre le fonctionnaire. Elles peuvent résulter d’imputations calomnieuses ou diffamatoires338, de propos tenus verbalement339 ou par écrit contenus dans des lettres anonymes340, des tracts341, des articles de presse342 ou des ouvrages343. Elles peuvent être constituées par des agissements matériels ou des violences physiques comme l’atteinte portée aux biens et au patrimoine du fonctionnaire par détérioration, destruction344, vol345, spoliation346 ou pillage347. Elles peuvent porter atteinte à l’intégrité physique du fonctionnaire

335- S. Salon et J.C. Savignac ; La fonction publique, Sirey, 1985, p. 178 et s. 336- C.E, 10 décembre 1971, Sieur Vachais-Desvernais, rec. tables p. 758.

337- C.E, 14 février 1975, Teitgen, rec. 111 et C.E, 17 mai 1995, Kalfon, Rec. jur. CIDG de la Petite Couronne, 1996, p.

403.

338- C.E, 9 décembre 1970, Commune de Neuilly-Plaisance, rec. 738, et C.E, 16 décembre 1977, Vincent, rec. 507. 339- C.E, Ass., 30 mars 1962, Bertaux, rec. 238 ; AJDA 1962, p. 695, obs. V.S.

340- C.E, 26 mars 1965, Villeneuve, rec. 207. 341- C.E, 13 février 1959, Bernadet, préc. 342- C.E, 24 juin 1977, Dame Deleuse, rec. 293. 343- C.E, Ass., 14 février 1975, Teitgen, préc. 344- C.E, Ass., 16 octobre 1970, épx Martin, préc. 345- C.E.L, 13 avril 1995, Zablite, rec. 1996, II, 465. 346- C.E, 10 janvier 1969, Grafmüller, préc.

comme une séquestration ou des coups348. La seule condition imposée par le juge est, outre la réalité des faits, que la victime doit prouver le caractère intentionnel de l’attaque et l’affectivité de son préjudice349.

Dès lors que les conditions de la protection juridique sont remplies, l’administration se trouve quasiment dans le cadre d’une compétence liée pour accorder cette protection, sauf à démontrer l’existence d’un intérêt général tendant à justifier un refus. Cette position a été réaffirmée à de nombreuses reprises par le juge administratif350.

La jurisprudence est allée plus loin dans son raisonnement, dans la mesure où elle a admis que, quand bien même les faits à l’origine de la demande de protection juridique auraient disparu ou se seraient atténués au moment où le fonctionnaire sollicite cette protection351, cela n’était pas de nature à permettre à cette administration de rejeter la demande de l’intéressé, dès lors que les conditions étaient remplies au moment des faits. Le Conseil d’État dans son arrêt du 16 décembre 1977 retient : « […] que par suite, la circonstance qu’à la date à laquelle le sieur Vincent […] a demandé à son supérieur hiérarchique le bénéfice de la protection […] les attaques […] avaient cessé n’est pas de nature à justifier le rejet de cette demande »352.

Par ailleurs, cette protection est également due lorsque l’administration a décidé de sanctionner disciplinairement les fautes qui auraient été commises par le fonctionnaire353.

Le Conseil d’État libanais a estimé que lorsque le fonctionnaire est atteint ou attaqué pour des actes ou des faits liés à l’exercice de ses fonctions, il a droit à la protection de l’administration dont il dépend354.

a. Les modalités de l’obligation de protection

Si la protection juridique accordée par l’administration doit aboutir à une aide concrète apportée au fonctionnaire, l’administration conserve une certaine latitude pour mettre en œuvre les moyens les plus appropriés à chaque cas d’espèce355.

Les considérants de la plupart des décisions rendues laissent apparaître la volonté implicite du juge de ne pas empiéter sur la liberté de l’administration en la matière, tout en conservant le

347- C.E, 6 novembre 1968, Benejam, préc. et C.E, 16 octobre 1970, epx. Martin, préc. 348- C.E, 21 novembre 1980, Daoulas, rec. 771.

349- C.E, 24 février 1995, Vasseur, Rec. jur. CIDG de la Petite Couronne, 1996, p. 400.

350- C.E, sect., 24 juin 1977, Dame Deleuse, rec. 293 et C.E, 16 décembre 1977, Vincent, rec. 507 et C.E, 17 janvier

1996, Mlle Lair, req. no 128950.

351- C.E, 17 mai 1995, Kalfon, préc. 352- C.E, 16 décembre 1977, Vincent, préc.

353- C.E, 28 octobre 1970, Delande, rec. 620 ; AJDA 1971, p. 366.

354- C.E.L, 13 avril 1995, Zablite, rec. 1996, II, 465 et C.E, 6 novembre 1968, Benejam et Morichère, préc.

355- C.E, 21 novembre 1980, M. Daoulas, rec. 771 et C.E, 18 mars 1994, M. Rimasson, rec. 147 ; AJDA 1994, p. 374

contrôle de son attitude vis-à-vis de la façon dont elle s’acquitte de son obligation de protection. La jurisprudence n’a pas eu, ainsi, à sanctionner la nature des moyens mis en œuvre à cet effet, mais seulement le refus de principe d’assurer la protection ; elle n’a donc pas entendu, par voie de conséquence, s’interroger sur leur efficacité réelle rapportée à leur objet356.

Il ne peut s’agir en l’espèce que de moyens de nature à donner immédiatement satisfaction au fonctionnaire intuitu personnae, en raison du caractère personnel de la protection instaurée, avant la recherche de toute finalité de caractère général, de nature sociale par exemple357.

Il importe donc que l’administration provoque dès l’origine, tous les moyens susceptibles par leur nature, leur contenu et leurs effets d’assurer la protection du requérant358. L’administration, par exemple, ne peut prétendre refuser la protection au motif que l’auteur des attaques est couvert par une immunité parlementaire359.

La collectivité publique doit couvrir son fonctionnaire des frais engagés pour assurer sa défense, adresser un communiqué à la presse ou un rectificatif de presse, le soutenir juridiquement et financement dans une action en justice ou l’action en justice directe360, voire faire appel à la force publique pour protéger le fonctionnaire en danger361.

Dans sa jurisprudence dégagée de l’arrêt Gilles MÉNAGE362, le Conseil d’État a rappelé, d’une part, que l’administration avait un devoir de conseil ; d’autre part, que la consultation juridique auprès d’un avocat, et non pas seulement l’assistance, devait être prise en compte par l’administration.

Dans leur commentaire sous cet arrêt, M. M. Pierre MOREAU et Bernard CAZIN précisent qu’ « il faut noter le contenu de l’obligation, à savoir des honoraires de consultation, […]. L’activité de consultation juridique suit donc désormais le régime des honoraires plus traditionnels. A contrario, on peut déduire de cette solution […] que l’administration doit non seulement assister son agent lorsqu’il est mis en cause dans une affaire pénale à raison de l’exercice de ses fonctions, mais encore lui fournir tous les renseignements juridiques utilise (sic) sur le procès et qui sont susceptible de faire l’objet d’une consultation »363.

356- C.E, 7 janvier 1983, Coudert et autres, Rev. adm. 1983, p. 43. 357- C.E, 16 décembre 1977, Vincent, préc.

358- J.-M. Breton, « La protection fonctionnelle des agents de l’administration », AJDA 1991, p.188. 359- C.E, 28 mars 1969, Jannès, rec. 190 ; D. 1969, p. 536 note C. Leclercq.

360- Cf. les exemples cités par B. Cavigliol, rapport de recherche, DEA de droit public interne, Le droit à la protection

des fonctionnaires, Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, 1996, notamment à propos des agents de la direction de la solidarité départementale du département de l’Hérault ou du rectorat de l’académie d’Aix- Marseille.

361- C.E, 21 novembre 1980, Daoulas, préc.

362- C.E, 28 juin 1999, M. Ménage, AJFP janvier-février 2000, p. 30.

Dans ce domaine, l’administration n’a pas le droit d’imposer un avocat au fonctionnaire en vue de le défendre. Le juge a considéré que le choix de l’avocat relève de la liberté du fonctionnaire364.

L’administration doit soutenir son fonctionnaire dans la poursuite pénale ou civile, comme par exemple lorsqu’elle a fourni sa protection à un magistrat en poursuivant disciplinairement l’avocat qui a conduit envers ce dernier des accusassions dangereuses et irréelles365.

Il nous parait bien évident que cette obligation de protection qui pèse sur l’administration n’est pas le résultat d’un comportement fautif de sa part. En d’autres termes, ce n’est pas parce que l’administration a commis une faute qu’elle doit la protection à ses fonctionnaires. Elle est tenue d’agir en application des dispositions statutaires éclairées par le juge administratif366. Mais cette protection n’est pas sans limites.

b. Les limites de l’obligation de protection

Outre la limite que nous avons déjà examinée, relative au principe de la qualification de la faute personnelle détachable des fonctions et qui tend à justifier un refus d’accord de la protection367, une autre limite a également été posée par le juge administratif.

Le principe qui ressort de la jurisprudence est que l’obligation pesant sur la collectivité publique ou sur l’administration, ne saurait, dans l’intérêt du fonctionnaire, connaître d’autre dérogation que celle tenant à l’intérêt général. L’administration ne pouvant à l’inverse refuser sa protection pour des motifs spéciaux à partir du moment où les exigences statutaires sont satisfaites. La référence à l’intérêt général est donc ici déterminante, puisqu’elle est seule de nature à exonérer l’administration de l’obligation de protection. Il est alors fondamental pour le juge d’en préciser le contenu et la portée, compte tenu du rôle imparti à cette notion, imprécise368 et incertaine, dans la mise en œuvre du régime juridique de la protection fonctionnelle.

Cette jurisprudence repose essentiellement sur l’arrêt TEITGEN369, d’après lequel le Conseil d’État a été amené à considérer, au terme d’un raisonnement a contrario, que la décision de refus d’accorder la protection juridique à un fonctionnaire qui avait fait l’objet d’une diffamation dans l’exercice de ses fonctions ne pouvait être justifiée « […] que pour des motifs d’intérêt général ». Cette position a été réaffirmée par le Conseil d’État en de nombreuses occasions370.

364- C.E, Ass., 9 avril 1999, Mme

Toubol-Fischer et M. Bismuth, rec. 125.

365- C.E, 21 novembre 1996, De Maillard, rec. 48. 366- C.E, 26 mars 1965, Villeneuve, préc. 367- V. supra, Section I.

368- V. Pontier (J.-M.), « l’intérêt général existe-t-il encore ? », D. 1998, chron. pp. 327-333 ; Conseil d’État Rapport

public 1999 ; L’intérêt général, La Doc. franç. 1999.

369- C.E, 14 février 1975, Teitgen, rec. 111.

370- C.E, 25 juillet 2001, Fédération des syndicats généraux de l’Éducation nationale et de la recherche publique, req. no

Néanmoins, le Conseil d’État n’a nullement précisé les critères qui devaient être pris en compte au titre de l’intérêt général susceptible de justifier un refus de protection juridique.

En effet, dans tous les cas de jurisprudence où la Haute Assemblée a fait état de la possibilité de faire jouer la notion d’intérêt général afin de rejeter une demande de protection juridique, elle a retenu cette notion en rappelant que l’argumentation de l’administration n’était pas fondée, sans pour autant donner une définition explicite de l’intérêt général. Le Conseil d’État retient que « […] le souci de l’administration des postes et télécommunications d’appliquer une politique d’apaisement à la suite de la longue grève de l’automne précédent ne pouvait constituer en l’espèce un motif d’intérêt général autorisant le directeur départemental du Finistère à refuser au sieur Vincent la protection qu’il sollicitait »371.

Dans ses conclusions sous l’arrêt sieur VINCENT, le commissaire du Gouvernement Renaud

DENOIX DE SAINT MARC indiquait que jamais le Conseil d’État n’a « considéré que l’administration s’était trouvée dans un cas où elle tait fondée à s’abstenir […] seuls des motifs tout à fait sérieux et inspirés par la bonne marche des services publics peuvent légalement dispenser l’administration de son devoir de protection ».

Il appartiendra donc aux diverses administrations de faire une interprétation de ce qu’elles considèrent comme devant être qualifié d’intérêt général impliquant le refus de la protection juridique à un fonctionnaire, sachant que celle-ci a de fortes chances d’être rejeté par la Haute Assemblée.

Malgré la rareté de décisions, concernant le droit à la protection, rendues par le Conseil d’État ; nous pouvons très clairement remarquer l’évolution de sa jurisprudence. Dans un premier temps, la Haute juridiction administrative n’a vu dans la protection incombant à la collectivité qu’un palliatif de l’action judiciaire conjointement ouverte à la victime, en ne lui reconnaissant de légitimité qu’à titre supplétif372. Le juge abandonne par la suite cette position pour reconnaître une portée générale et absolue au droit en cause373.

L’évolution de la jurisprudence s’est donc réalisée dans le sens d’une interprétation de plus en plus libérale des droits des fonctionnaires et donc de plus en plus contraignante de l’obligation pesant sur l’administration374.