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L A PROTECTION DU FONCTIONNAIRE

B. La communication du dossier

2. La nature de la règle de communication

Afin de mieux garder le droit de la défense, la jurisprudence a dégagé, d’une part, les caractères de la règle de communication de dossier, et d’une autre part, elle a essayé de préciser l’obligation qui s’impose à la charge de l’administration afin de respecter cette règle.

635- C.E, 8 décembre 1999, Héry, req. nº 199217. 636- C.E, 10 juillet 1936, Bentz, rec. 766.

637- C.E, 9 janvier 1963, Broca, rec. tables p. 913 et 918 ; AJDA 1963, p. 373 et C.E, 23 février 1968, Benhamou,

AJDA 1968, p. 476.

638- C.E, 9 janvier 1963, Broca, préc. et C.E, 20 janvier 1967, Jarry, req. nº 65078.

639- C.E, 23 avril 1965, Vve Ducroux, rec. 231 et C.E, 8 février 1980, Dame Emprin, Dr. adm. 1980, nº 93. 640- Cf. Rapport de la Haute Commission pour la discipline au Liban, 2000, p. 23.

641- C.E, 9 janvier 1981, Dame Champetier de Ribes, req. nº 13724.

a. Le contenu de la communication

D’après l’étude des jurisprudences libanaise et française, nous pouvons établir trois sortes de caractères que doit revêtir la communication du dossier, ainsi elle doit être intégrale, confidentielle et utile.

1o. La communication intégrale

L’intégralité de la communication est très importante et principale, voire même fondamentale, pour assurer le droit de la défense d’une manière correcte et juste. Cela revient à dire que la communication ne doit pas être fictive, elle doit concerner l’ensemble du dossier643. En d’autres termes, elle doit comprendre toutes les pièces intéressant la situation administrative du fonctionnaire644. Le fonctionnaire doit être en mesure de prendre connaissance de tous les faits qu’on lui reproche645.

Toutefois, la jurisprudence considère que même si le fonctionnaire avait eu connaissance des griefs formulés contre lui et a pu s’expliquer verbalement ou par écrit, cela ne dispense pas l’administration de respecter son obligation646.

Ainsi, dans le cas où le fonctionnaire n’a pas été informé du rapport d’inspection ou au moins de son dispositif et le résultat auquel il a abouti avec les propositions de l’inspecteur, afin que ce fonctionnaire puisse présenter sa défense écrite, le Conseil d’État libanais a considéré qu’il y a un manquement aux formalités substantielles et un manquement aux lois et principes généraux et il a ainsi annulé la sanction disciplinaire prise en se fondant sur ce rapport647.

Mais, il est a remarqué que la jurisprudence est souple en la matière, en ce sens qu’elle est pragmatique. Ainsi, ni la communication de pièces sans rapport avec le débat648 ou superfétations649, ni la communication de documents administratifs étrangers au dossier si l’administration n’en fait pas état au cours de la poursuite650, ne sont obligatoires sous peine de nullité. Il faut et il suffit que la sanction ait été prise au vu de pièces figurant au dossier communiqué au fonctionnaire concerné651.

643- C.E, 22 mars 1944, Prats, rec. 95 ; et C.E.L, 14 mai 1998, Agha, RJA 1999, II, 501. 644- C.E, 30 octobre 1995, Schaeffer, req. nº 126121.

645- C.E.L, 8 mai 2002, Mansour, RJA 2005, II, 751.

646- C.E, 24 juillet 1987, Mme Bauchet, rec. 270 ; RFDA 1987, p. 867. 647- C.E.L, 10 mars 1993, Joseph Hanna, RJA 1994, p. 199.

648- C.E, 21 avril 1943, Lavigne, rec. 106 et C.E, 30 septembre 1983, Barré, rec. 394. 649- C.E, 13 mars 1959, Alaux, rec. 179.

650- C.E, 15 avril 1959, Faucon, rec. 235.

651- C.E, 13 juillet 1963, Quesnel, rec. 461 ; Dr. adm. 1963, nº 283 ; AJDA 1964, II, 41 et C.E, 8 décembre 1999, Pinte,

La communication, si nécessaire, peut être réalisée en plusieurs fois652 surtout lorsque de nouveaux éléments constituant des griefs au fonctionnaire ont surviennent653.

2o. La communication est personnelle et confidentielle

En principe, le caractère personnel de la communication signifie que le fonctionnaire doit prendre lui-même connaissance de son dossier654, sans pouvoir se substituer par un tiers. Mais, il peut, toutefois, demander d’être accompagné d’un tiers655 qui le défend656.

Le caractère confidentiel signifie que le fonctionnaire ne peut pas prendre copie des documents communiqués657, sauf toutefois, le cas des rapports médicaux que le dossier peut comporter658.

La communication confidentielle et personnelle659 doit être faite sur place, sans déplacement, sous réserve d’une consultation au consulat de France, dans l’hypothèse où l’intéressé réside à l’étranger et si l’administration ne s’y oppose pas660.

3o. La communication est utile

Pour que la communication soit utile, il faut accorder au fonctionnaire le droit d’être assister d’un avocat, ou n’importe quel défenseur, de son choix. D’autre part, la communication doit être faite au fonctionnaire dont la condition mentale et physique lui permet d’en tirer parti. Ainsi elle ne serait pas utile dans le cas où le fonctionnaire avait été « privé de ses moyens » à cause de son émotion ou par l’effet d’une syncope661.

Lorsque le fonctionnaire a des difficultés pour lire ou écrire, il lui appartient de se faire assister par un tiers662.

L’administration doit accorder au fonctionnaire un délai suffisant pour consulter son dossier. La jurisprudence apprécie le délai en fonction des circonstances663. Ce délai peut être déterminé par certains textes, par exemple, au Liban l’article 13 du décret nº 2862 du 16/12/1959 concernent les procédures d’inspection de la commission d’inspection centrale, dans lequel le délai était fixé à une

652- C.E, 23 décembre 1931, Morel, rec. 1151.

653- C.E, 2 juin, 1976, Jadraque, AJDA 1976, p. 629, note S. S et C.E, 15 novembre 1991, Catoire, rec. 1016. 654- C.E, 18 décembre 1936, Hurlaux, rec. 1126.

655- C.E, 27 mai 1987, Cadignan, rec. 182 ; AJDA 1987, p. 765, note J.-B. Auby et C.E, 11 juillet 1988, Coiffier, rec.

287 ; AJDA 1989, p. 48, note S.S.

656- C.E, 30 octobre 1959, Marcoulet, rec. 568 ; AJDA 1960, p. 60. 657- C.E, 16 janvier 1942, Cherchali, rec. 21.

658- C.E, 16 décembre 1994, Mme Parent-Hugues, rec. 560 ; Dr. adm. 1994, nº 5, obs. C. M. 659- C.E, 30 novembre 1962, Guigon, RDP 1963, p. 332.

660- C.E, 16 mars 1962, Audebeau, rec. 177 ; D. 1962, p. 439, note P. Ardant. 661- C.E, sect., 11 mai 1979, Dupouy, AJDA 1980, p. 196.

662- C.E, 27 mai 1987, Cadignan, préc. 663- C.E, 27 mars 1963, Corbin, rec. 213.

semaine et peut être réduit à trois jours dans certains cas. Le Conseil d’État libanais fait toujours application de ce délai sous peine de nullité de la sanction disciplinaire664.

La jurisprudence considère que le droit de la défense n’est pas assuré lorsque le délai accordé pour consulter le dossier est trop court665. Mais le délai considéré court dans une affaire peut être considéré suffisant dans une autre, tout dépend des circonstances de chaque dossier. Ainsi, si le fonctionnaire intéressé est obligé de voyager ou de se déplacer pour y consulter son dossier, l’administration doit lui accorder le temps nécessaire pour préparer sa défense. C’est le cas d’un notaire de Polynésie à qui on a accordé un délai de 24 heures pour consulter son dossier alors qu’il lui fallait se déplacer de Paris à Papeete pour consulter ses archives et recueillir des témoignages, le Conseil d’État n’a pas hésité à considérer que ce délai était insuffisant666.

Ce contenu de la règle de communication pose sur l’autorité administrative compétente, dans certains cas, une obligation d’informer le fonctionnaire des griefs formulés. La jurisprudence, en la matière est hésitante, voire même en contradiction.

b. Conditions d’application de la règle de communication de dossier

L’administration peut toujours prendre l’initiative pour communiquer d’elle-même son dossier à un fonctionnaire contre lequel des poursuites sont envisagées.

Mais il n’y a pas d’obligation pour elle de communiquer et de droit pour le fonctionnaire à obtenir la communication qu’en conséquence d’une demande de ce dernier667. Si le fonctionnaire ne demande pas la communication, il ne peut pas se prévaloir de l’irrégularité de la procédure668, de même qu’il ne peut pas blâmer l’administration et l’accuser de se désister de la faire669.

L’administration, d’après la jurisprudence, se sera acquittée de son obligation dès lors que le fonctionnaire aura été informé qu’une sanction était projetée 670. C’est le cas lorsque le fonctionnaire a été interrogé sur les fautes qui lui sont reprochées671 ou s’il a été invité à démissionner672 ou s’il a été informé d’un projet de le licencier673 ou encore il a reçu notification de sa suspension674.

664- C.E.L, 1er

juillet 1998, Kattar, préc.

665- C.E, 3 janvier 1968, Daens, rec. 3 et C.E.L, 10 mars 1993, Joseph Hanna, préc. 666- C.E, 7 mai 1975, Lejeune, rec. 282.

667- C.E, 27 avril 1966, Choux, D. 1966, 2, 261. 668- C.E, 5 janvier 1966, Cazaux, préc.

669- C.E, 13 mai 1981, Berton, Gaz. Pal. 1981, 2, somm. 319. 670- C.E.L, Ass., 4 avril 2000, Abed Es-Sater, RJA 2003, II, 508.

671- C.E, 28 juillet 1952, Huguet, rec. 414 et C.E.L, Ass., 4 avril 2000, préc. 672- C.E, Ass., 5 juin 1959, Dufay, rec. 345.

673- C.E, 15 février 1980, Brault, Dr. adm. 1980, nº 92 et C.E, 28 septembre 1984, ville de Bobiny, Dr. adm. 1984, nº

432, et C.E, 11 juillet 1986, Croissant, Dr. adm. 1986, nº 460.

Par contre la jurisprudence n’a pas considéré, informé, le fonctionnaire qui a reçu un projet de licenciement énumérant les fautes et les actes qui lui sont reprochés675 ou une demande d’explication sur la modalité de ses fonctions676.

Ainsi, à la lumière de cette hésitation jurisprudentielle qui existe, nous supportons l’idée du Professeur CHAPUS, d’après laquelle ce dernier propose l’incitation du juge à adopter une jurisprudence claire qui ne met pas les fonctionnaires en présence de devinettes, et que l’administration doit être toujours tenue d’informer le fonctionnaire qu’il est en possibilité de demander la communication de son dossier677.

D’ailleurs, la procédure doit commencer par une mise en demeure adressée au fonctionnaire678, par un avis679, une initiative à s’expliquer680, à présenter sa défense681, voire une simple lettre682, pourvu que ces documents lui parviennent avant le prononcé de la sanction683.

En général, si la mise en demeure est régulièrement effectuée, la procédure peut suivre son cours malgré le refus, de la part du fonctionnaire, de prendre communication du dossier684.

Si au terme de l’enquête il a été établi que le fonctionnaire a commis des fautes disciplinaires nécessitant des sanctions, soit que ces sanctions seront infligées par l’autorité hiérarchique compétente désignée par la loi ; soit que le prononcé des sanctions relèvera de la compétence du conseil disciplinaire compétent. Dans ce dernier cas l’autorité administrative compétente est obligée de différer le fonctionnaire intéressé devant ce conseil qui statuera sur l’affaire.

Cependant, la saisine du conseil disciplinaire ne prive pas le fonctionnaire de ses droits fondamentaux ni des garanties dérivantes des principes généraux.

§2.L

A PROTECTION DU FONCTIONNAIRE DANS LE PRONONCÉ DE LA SANCTION

Au droit de la communication de dossier s’ajoute des droits qui concrétisent la protection du fonctionnaire dans le prononcé de la sanction. Ces droits résultent essentiellement de la saisine d’un conseil disciplinaire.

En France, la seule perspective de l’intervention d’un tel organisme collégiale à composition mixte peut retenir l’autorité administrative d’engager des poursuites insuffisamment justifiées. Et

675- C.E, 12 novembre 1980, Dlle de Nantes Marie Jo, req. nº 17386. 676- C.E, 10 janvier 1947, Gomot, rec. 14.

677- Chapus (R) ; Droit administratif général, préc., p. 345.

678- C.E, 3 décembre 1917, Branger, rec. 737 ; AJDA 1972, p. 114, note Mail. 679- C.E, 23 octobre 1935, Rouxel, rec. 970.

680- C.E, 13 janvier 1937, Baehrel, rec. 39 et C.E.L, 8 février 2001, Neijm c/ L’État, RJA 2004, I, 327. 681- C.E, 16 février 1912, Roche, rec. 221.

682- C.E, 15 mai 1931, Rommaigne, rec. 765. 683- C.E, 18 décembre 1936, Hurlaux, rec. 1126. 684- C.E, 14 novembre 1941, Leroux, rec. 187

dans le cas où un fonctionnaire est frappé d’une sanction, il aura une certaine assurance qu’elle lui a été infligée à juste titre. Alors qu’au Liban le conseil disciplinaire siège en tant que « tribunal », qui ne formule pas d’avis, mais il rend des « jugements ».

Dès lors, nous pouvons dire que le conseil disciplinaire, en France, est un organisme consultatif alors qu’au Liban c’est organisme à caractère quasi-juridictionnel.

La protection du fonctionnaire dans le prononcé de la sanction est aussi importante que la protection du fonctionnaire au cours de l’instruction. Elle consiste, d’une part, à subordonner la sanction à l’avis préalable d’organismes administratifs ou parfois à la décision d’organismes à caractère juridictionnel, et d’autre part, à suivre une procédure d’après laquelle le fonctionnaire pourra se défendre dans des conditions particulièrement favorables. Mais cette protection est surtout présente au niveau du contrôle juridictionnel exercé par le juge tout au long de la procédure disciplinaire. D’après ce contrôle nous avons pu saisir les principes qui doivent régir cette procédure ainsi que les recours disponibles contre les sanctions infligées.