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L A PROTECTION DU FONCTIONNAIRE

A. L’établissement du lien formel avec le service

L’étude de la jurisprudence démontre que si le lien formel fonctionne généralement comme une condition nécessaire, il a rarement valeur de condition suffisante256. Il existe toutefois des cas dans lesquels le doute est non seulement permis mais la présomption d’imputabilité attestée.

1. Le lien formel est une condition nécessaire

Pour la recherche du lien formel il faut bien établir l’existence d’un acte administratif justificatif du temps et du lieu de travail. Deux types de liens formels doivent être envisagés, suivant qu’ils trouvent leur source dans une obligation administrative préalable formulée soit d’une manière générique, soit de manière ponctuelle. Toutefois, outre cette identification, c’est la question de

« véritable présomption d’imputabilité au service des accidents survenus dans de telles circonstances ». V. aussi M- B. Choisy, « L’accident de service : une définition à géométrie variable mais bien balisée », Gaz. Pal. chron. 22 mars 1999, p. 54, et A-J. Exbrayat, « L’accident de service hors du lieu de travail », AJDA 1986, p. 146. Certains juristes, en revanche, préfèrent ignorer totalement la question : Cf. C. Bernard, « Congés, prestations sociales, hygiène et sécurité », Jurisclasseur 1997, fasc. 182-12, pp. 4-7.

252- J. Moreau, « Dommages causés et subis par les fonctionnaires territoriaux », Jurisclasseur Collectivités

territoriales, Fasc. 95, p. 9, no 48.

253 C.E.L, 23 mai 2002, Dabousse / l’État, RJA 2005, II, 827.

254- L’étude de la jurisprudence laisse, en outre, paraître une réticence de principe des juges face à cette dernière

catégorie d’accidents.

255- notamment C.E, 25 janvier 1933, Bertonnet, rec. 105.

durée effective de ce lien qui, en l’absence d’informations précises de l’acte administratif, pose problème.

a. L’identification du lien formel dans une obligation administrative générique

Pour les fonctionnaires victimes d’un accident dans le cadre du service organique, leur présence obligatoire sur le lieu de travail et pendant les horaires de service est attestée par un acte administratif, autrement dit par un emploi du temps déterminé et par des locaux dûment affectés. Le Conseil d’État a considéré que l’accident subi par un militaire qui regagne son affectation avec un véhicule personnel, à l’issue d’une période de quartier libre, est un accident de service257.

Dans la plupart des hypothèses, il existe un acte administratif qui précise l’objet et la date du déplacement et, parfois même, l’heure et la durée de l’accomplissement de la mission. Tous ces éléments permettent de fonder facilement le lien formel : ainsi préalablement à l’exercice de l’activité sur le domaine public, à l’accomplissement de missions ponctuelles ou liées à des stages de formation professionnelle258, par exemple, existe un ordre de mission. Dans le cas de congrès syndicaux259 ou d’accompagnements et encadrements d’enfants lors de sorties scolaires existe une autorisation délivrée préalablement par l’administration260.

Le lieu de la mission est, comme le temps, un élément généralement indifférent. Ce sera celui figurant sur l’acte administratif : ce peut être même le domicile de la victime261.

La non production d’un tel document entraîne l’impossibilité de rattachement de l’accident au service. Ainsi, tel fut le cas dans un accident qui s’était produit après la fin du service et en dehors du lieu de travail, alors que la victime se procurait un sac de ciment dans le commerce de matériaux. Bien que la victime soutenait qu’elle avait reçu l’ordre d’en faire l’acquisition pour le compte de l’administration, elle ne put en apporter la preuve262.

b. L’identification du lien dans une obligation administrative ponctuelle

Si les actes accomplis au moment de l’accident ne sont pas compris dans ceux de la mission ou de service proprement dit, il faut qu’un ordre ou un accord de l’autorité hiérarchique puisse couvrir la victime. Autrement dit, il faut qu’existe une obligation administrative définie de manière ponctuelle qui puisse justifier une activité qui n’entre pas a priori dans celle du service.

257- C.E, 8 novembre 1995, Ferron, req. no

133060, rec. 664 ; Juris-Data no 046916 ; et dans le même sens C.E.L, 29 décembre 1971, rec. 41.

258- C.E, 5 juillet 1978, Bletterer, rec. 291. 259- C.E, 1er

avril 1998, Taillez, rec. tables p. 992.

260- C.E, 6 mai 1977, Gaze, rec. 869 et C.E, 14 novembre 1997, Arnaud, req. no

153016.

261- C.E, 5 juillet 1978, Bletterer, précité : dans le cadre d’un stage de formation professionnelle organisé par

l’administration devait être réalisé un travail matériel personnel en dehors des activités de formation ou des heures de cours. Le fait que l’accident se soit produit au domicile de l’intéressée et un dimanche n’a pas pour effet de faire disparaître le lien au service.

262- V. lecture a contrario de C.E, 28 juillet 2000, Laval, req. no

Tel est le cas d’un fonctionnaire qui avait préalablement reçu l’ordre d’effectuer un déplacement en province, a été admis l’accord du supérieur hiérarchique de passer à son domicile pour y prendre des affaires personnels et ensuite rejoindre immédiatement sa caserne. Ce fut justement à cette occasion qu’il subit un dommage263.

Au-delà de l’existence d’une obligation administrative proprement dite, ce sont les questions du début et de la fin de la mission et plus généralement de sa durée effective qui posent problème : de manière général il semble admis – cela n’a jamais été affirmé clairement – que la mission débute dès le départ du domicile et se poursuit bien après la fin de l’intervention proprement dite264. C’est souvent l’existence du ‘lien de subordination’ qui permet le rattachement au service.

Tel est le cas des fonctionnaires en mission de sécurité générale avec leur unité. Ils doivent se tenir à disposition de leur hiérarchie, notamment aux heures des repas puisqu’ils sont censés intervenir à tout moment. Il en résulte que le lien de subordination est en quelque sorte permanent265. Toutefois il est difficile de dire, en l’absence d’autres décisions, si le juge a entendu réserver cette jurisprudence aux fonctionnaires devant rester à disposition.

2. Le lien formel est une condition nécessaire et suffisante

Dans certains cas, le seul établissement du temps et du lieu de travail, ainsi que la preuve de la matérialité de l’accident, permettent l’imputabilité au service266. Si certains critères semblent indiscutables, tel celui de la cause irrésistible, d’autres, tels ceux fondés sur l’existence d’une chute ou sur le lieu d’exercice singulier des fonctions, peuvent toujours faire l’objet d’une discussion.

a. Le critère de la cause irrésistible

Ce critère est une véritable exception au principe de l’établissement du lien de causalité par la victime. Il n’y a jamais été souligné, semble-t-il, par la doctrine, bien que le juge y ait fait expressément allusion en soulignant nettement les deux causes ou critères alternatifs possibles prouvant le lien professionnel avec le service267.

Jusqu’à une date récente, les éléments constitutifs de ce critère, « l’intervention violente et soudaine d’un événement extérieur qui entraîne la lésion d’un organisme » étaient repris avec l’effort physique exceptionnel, en qualité de critère alternatif268 : le fonctionnaire qui a été blessé par un tel événement, véritable cause externe irrésistible, aux temps et lieu de service, est au nom de la nécessaire protection du fonctionnaire sur son lieu de travail, bénéficiaire d’une véritable

263- C.E, 15 novembre 1995, Gergot, req. no

128812: il était par ailleurs impossible de le qualifier d’accident de trajet.

264- C.E, 25 juillet 1975, Cts Patacchini, rec. 441 ; AJDA 1976, p. 48. 265- C.E, 6 octobre 1999, Roces-Fernandez, rec. tables p. 856 ; Juris-Data no

050931.

266- C.E.L, 20 mai 1997, Keyrouz et camarades, RJA 1998, II, 499. 267- C.E, 17 mai 1991, Cervenansky, req. no

89988.

268- Et donc seulement pour définir la notion d’accident. V. C.E, 18 février 1983, Goguet, req. no

22444 et C.E, 9 mars 1983, Grouin, préc. et C.E, 22 octobre 1986, Marzaguil, préc.

présomption d’imputabilité. La preuve de la matérialité de l’accident sur le lieu et pendant le temps de travail suffit puisque, dans ce cas il englobe le lien professionnel269.

Malgré la rareté des litiges, quelques décisions existent : ainsi lorsqu’une béquille de porte se referme brusquement sur la victime et entraîne la rupture du cristallin270, ou quand un fonctionnaire en mission au Cameroun est atteint d’une invalidité permanente à la suite d’une piqûre de mouche271.

À ce courant jurisprudentiel doit se rattacher la décision Société assurances Mutuelles de la France, précitée, qui a été lue comme illustrative du revirement jurisprudentiel établissant la présomption d’imputabilité. Or, même si elle traduit un assouplissement réel272, le caractère irrésistible de l’événement est flagrant : des fonctionnaires d’un centre hospitalier avaient été victimes d’une intoxication alimentaire, à la suite d’un repas servi au restaurant de l’établissement. L’intoxication était collective et irrésistible puisqu’elle « a frappé de manière soudaine et simultanée un grand nombre d’agents ». Elle ne s’assimile pas à « un phénomène à action lente ou répété auquel l’on ne saurait assigner une origine et une date certaine ». Par ailleurs, il est notable que l’élément de la violence était absent.

Il existe toutefois des limites à cette reconnaissance. Elle se trouve dans les actes détachables du service. Tel est le cas de ce professeur qui circulait à bord de son véhicule dans l’enceinte de l’établissement où il enseignait, en dehors des heures de service, et qui fut agressé par un collègue. Comme la raison de sa venue était étrangère au service et que cette agression – certes par définition purement subie et vraisemblablement irrésistible – s’identifiait, de par sa gravité, a un acte détachable du service, le dommage ne revêtait donc pas le caractère d’un accident de service ou survenu en service273.

b. Le critère fondé sur l’existence d’une chute

La jurisprudence des chutes s’est singularisée dès le milieu du XXe siècle. Certaines décisions font parfois penser qu’il existerait une présomption d’imputabilité au service des chutes survenues aux temps et lieu du service. En revanche d’autres soulignent méticuleusement la raison du déplacement ou de l’activité au moment de la chute. L’on peut toutefois retenir une souplesse jurisprudentielle constante dans l’admission des dommages consécutifs aux chutes.

269- C.E.L, 5 février 1998, Raya et autres, préc. 270- C.E, 30 décembre 1998, Teisseire, req. no

150993.

271- C.E, 8 mai 1968, Marcelli, rec. 291-292.

272- Celui-ci provient de l’absence de violence et du lieu de l’accident retenu, la cantine. S’il faut reconnaître qu’elle

était effectivement sous le contrôle du CHU, elle a été assimilée à un lieu de travail ; par suite, l’activité de prise de repas fut assimilée au travail, alors que l’on sait, au terme d’une jurisprudence constante, que le salarié n’est pas obligé de s’y rendre.

273- C.E, 3 avril 1995, Thibaud, req. no

La solution de principe résulte a contrario de l’arrêt COLONNA274, réaffirmée périodiquement.

Ainsi par exemple, dans une autre décision le juge précisa que le professeur victime d’une chute était en train de porter du courrier au centre de documentation lors de l’interclasse275.

Par ailleurs, il semble indéniable que le juge fait preuve d’une grande bienveillance lorsque la chute se produit hors du service organique. En effet, dès 1986, le Conseil d’État276, conformément aux conclusions du commissaire du Gouvernement Michel ROUX, admit le rattachement au service d’une chute survenue dans l’escalier d’un restaurant dont fut victime un professeur, en dehors des horaires de service et du lieu d’exercice réel de la mission. Incontestablement, si le lien de subordination n’était pas effectif, le fonctionnaire était globalement en déplacement pour le service. Par la suite, jurisprudence ne s’est jamais démentie277.

Pour d’autres décisions, c’est la nature mixte de l’accident qui permet de bénéficier du libéralisme jurisprudentiel. Nous estimons que c’était le cas de la décision BEDEZ, précitée, qui a été lue comme l’arrêt pionnier de la présomption d’imputabilité. Il s’agissait d’un fonctionnaire territorial qui fit une chute dans la cour de la bibliothèque, lieu de travail, pour aller prendre son service. Si le juge se fonda seulement sur les circonstances dans lesquelles cet accident s’est produit, il est indiscutable que même si la victime a franchi un seuil, celui de la cour appartenant au local administratif où elle travaillait, il n’est pas possible de dire qu’elle avait commencé effectivement ses fonctions. Elle était encore animée par l’intention d’aller travailler. L’idée de trajet à effectuer, qui est par définition protégé, n’avait pas encore totalement disparu278.

c. Le critère fondé sur les caractéristiques du lieu d’exercice des fonctions

Les caractéristiques des lieux d’exercice des fonctions jouent également un rôle important dans l’établissement d’une véritable présomption. Tel est le cas des accidents de mission survenus sur le domaine public.

Le Conseil d’État se fonde depuis 1995 sur les circonstances temporelles et spatiales spécifiques pour asseoir le rattachement au service, sans autres références plus précises. Ainsi, pour l’accident de circulation survenu, aux temps et lieu de travail, à un fonctionnaire territorial conduisant un camion-benne279, ou pour une chute sur la chaussée d’un gardien de la paix qui assurait la circulation devant une école280.

274- C.E, 17 novembre 1943, Colonna, rec. 375. 275- C.E, 29 juillet 1998, Nicol, req. no

144474.

276- C.E, 14 mai 1986, Dière, rec. tables p. 679 ; AJDA 1988, p. 724. 277- C.E, 1er

avril 1998, Taillez, préc.

278- C.E, 17 juin 1977, Cossic, rec. 877. 279- C.E, 30 juin 1995, Tronchon, req. no

133895.

280- C.E, 13 octobre 1997, Polledri, req. no

Cette attitude bienveillante s’exprime à la fois par une plus grande souplesse dans l’admission de la preuve281 et par le rejet, pour chaque espèce, d’argument selon lequel l’accident résulterait d’un malaise ou d’un état pathologique sans lien avec l’accident. Tel semble être aussi le cas lorsque l’on est en présence de déplacements et/ou de lieux d’exercice des fonctions inhabituelles et obligatoires. Ainsi un accident, dont fut victime un fonctionnaire désigné par une décision administrative pour assurer l’encadrement des enfants du personnel pendant les vacances scolaires dans un centre, fut accepté sans que fut explicité ni vraisemblablement recherché ce qu’il faisait au moment de l’accident282.

Toutefois, cette décision n’a pas eu une portée remarquable. Dans la plupart des autres cas, le juge s’interroge encore et toujours sur le lien matériel, qui fait alors figure de condition suffisante.